Ingénierie patrimoniale / Indivision

Protéger le survivant des concubins propriétaires (I)

Stéphane Vieille, notaire à Bourg-en-Bresse, et Clotilde Lacotte, consultante au Cèdre, Groupe Monassier
Un couple de concubins a le projet d'acquérir un appartement devant constituer leur résidence principale, dont le financement sera égalitaire
Comment constituer ou conférer des droits au survivant ? Comment limiter, voire supprimer, la fiscalité de l'opération pour celui-ci ?

A l’heure du « mariage pour tous », le concubinage est pourtant un mode d’union qui se généralise. Les situations sont multiples, ainsi que les motivations : simple souci de demeurer libre, ou de ne pas s’engager trop hâtivement, expérience douloureuse d’un mariage… L’hypothèse traitée ici sera donc celle d’un couple de concubins (Mr X et Mme Y) ayant le projet d’acquérir un appartement devant constituer leur résidence principale, dont le financement sera égalitaire. Monsieur X (55 ans), a deux enfants d’une première union ; Madame Y (47 ans), n’a pas d’enfant. Le prix d’achat est de 300.000 euros. Nous raisonnerons par ailleurs à valeur constante et considérerons que cet appartement a la même valeur au décès du prémourant.

Que se passerait-il en cas de décès en l’absence d’une stratégie ? Quel que soit l’ordre des décès, le survivant n’aura aucune vocation successorale et ce sont donc les héritiers légaux qui recueilleront la quote-part indivise du prémourant : il s’agira pour Monsieur de ses enfants, et pour Madame, des membres de sa famille les plus proches en degré, au premier rang desquels les parents et les frères et soeurs, neveux ou nièces. Ces derniers souhaiteront vraisemblablement mettre fin à l’indivision et demanderont rapidement le partage, lequel est de droit. Deux problèmes se posent alors si le survivant souhaite racheter les droits indivis du prémourant : - Tout d’abord, l’incertitude quant aux intentions des héritiers. - Ensuite, le coût du rachat des droits indivis du prémourant car, en effet, encore faut-il que le survivant en ait les moyens ; ainsi, au prix (dans notre exemple 150.000 euros) s’ajouteront les droits de mutation à titre onéreux au taux ordinaire des ventes immobilières (5,09 %), soit 150.000 x 5,09 % = 7.635 euros. Si le survivant n’a pas les moyens financiers de racheter les droits indivis du prémourant, le bien sera vendu à un tiers, à l’amiable, ou, en cas de désaccord et à l’issue d’une action judiciaire, sur adjudication. Quelles stratégies peuvent être proposées pour améliorer le sort du survivant ? Bien entendu, le praticien ne manquera pas d’évoquer le mariage ; nous considérerons cependant pour acquis, puisque tel est notre thème, que cette solution est écartée par nos concubins. L’exercice nous conduira donc à explorer diverses autres solutions alternatives.

MAINTENIR L’INDIVISION : LA CONVENTION D’INDIVISION

Le schéma. L’idée est d’éviter la demande en partage des héritiers du prémourant, et donc de stabiliser l’indivision. S’agissant d’une relation hors mariage, les règles de l’indivision légale sont clairement insuffisantes ; en effet, la demande de maintien de l’indivision n’est ouverte à tout indivisaire que si le partage risque de porter atteinte à la valeur des biens indivis. De surcroît, le maintien dans l’indivision dans cette hypothèse est limité à deux ans et nécessite une demande judiciaire, ce qui est peu commode. La solution doit donc être recherchée dans le régime conven tionnel de l’indivision. L’article 1873-1 du Code civil dispose en effet que « ceux qui ont des droits à exercer sur des biens indivis (…) peuvent passer des conventions relatives à l’exercice de ces droits ».

La durée de la convention. Une convention d’indivision peut être conclue par les concubins pour une durée déterminée ne pouvant excéder cinq ans (article 1873-3 alinéa 1 du Code civil). Elle est renouvelable par décision expresse des parties, le cas échéant par tacite reconduction, pour une durée déterminée ou indéterminée. A défaut d’un pareil accord, l’indivision est régie par les articles 815 et suivants du Code civil à l’expiration de la convention à durée déterminée, c’est-à-dire qu’elle retombe dans le régime légal, d’où l’intérêt, en général, de prévoir le renouvellement par tacite reconduction. Une convention à durée déterminée se transforme néanmoins en convention à durée indéterminée, notamment lorsqu’une part indivise est dévolue pour quelle que cause que ce soit à une personne étrangère à l’indivision, ou à compter de l’ouverture d’une succession, lorsque la quote-part de l’indivisaire défunt échoit à ses héritiers ou légataires parce qu’il n’a pas été prévu de faculté d’acquisition ou d’attribution ou que celle-ci n’est pas exercée. Cependant, il ne semble pas que ces dispositions soient d’ordre public : les parties peuvent donc stipuler notamment que les événements précités ne produiront aucun effet sur les conventions en cours. Dès lors qu’existe et perdure la convention à durée déterminée, le partage ne peut être provoqué avant le terme convenu qu’autant qu’il y a de justes motifs. L’appréciation de ces justes motifs ressortira au pouvoir souverain du juge. Tout dépend donc des circonstances ; il s’agira néanmoins de cas exceptionnels, comme la mise en péril des biens indivis.

Prévoir une occupation gratuite. S’agissant de l’occupation privative du bien indivis, et à défaut d’accord particulier, l’article 815-9 du Code civil est applicable. Rappelons que le dernier alinéa de cet article dispose que l’indivisaire qui jouit privativement du bien indivis est redevable d’une indemnité, sauf convention contraire. Cela est intéressant pour des concubins souhaitant que le survivant puisse rester dans le logement temporairement et gratuitement. Cette occupation échappera aux droits de succession, alors qu’un droit d’habitation ou un usufruit temporaire les subiraient. Cependant, cette occupation temporaire gratuite sera limitée à la durée résiduelle de la convention d’indivision.

Conclusion. La convention d’indivision est une solution d’attente et transitoire permettant de « gagner du temps » à moindre coût.

CONFÉRER AU SURVIVANT UN DROIT DE RACHAT : LA FACULTÉ D’ACQUISITION

Le schéma. Les concubins peuvent prévoir dans la convention d’indivision, laquelle se limite souvent à cela d’ailleurs, une clause de rachat.

Un pacte sur succession future autorisé par la loi. Ainsi, selon l’article 1873-13 du Code civil, « les indivisaires peuvent convenir qu’au décès de l’un d’eux, chacun des survivants pourra acquérir la quote-part du défunt (…) à charge d’en tenir compte à la succession d’après sa valeur à l’époque de l’acquisition ou de l’attribution ». Cette disposition constitue un pacte sur succession future expressément autorisé par la loi. Il s’agit d’éviter la poursuite de l’indivision avec les ayants droit du concubin prédécédé. Cette faculté pourra s’articuler avec un legs qui réduira la somme à verser, et/ou la souscription au bénéfice du survivant d’un contrat d’assurance vie ou décès, finançant pour tout ou partie cette somme et les droits de mutation.

Modalités. Le bénéficiaire doit exercer son option dans les délais fixés par le Code civil. A défaut, l’indivision perdurera ; s’il existe une convention d’indivision, celle-ci se transforme en convention à durée indéterminée, sauf convention contraire.

CONCLURE UN PACS

• A/ Au plan civil Au plan civil, l’article 29-13° de la loi du 23 juin 2006 étend au profit du partenaire survivant d’un Pacs deux dispositions relatives au logement du conjoint survivant :

L’attribution préférentielle. - Attribution préférentielle de droit de la propriété du logement : l’attribution préférentielle de droit de la propriété du local et du mobilier le garnissant constituant au décès la résidence d’habitation du conjoint (article 831-3 du Code Civil) est donc étendue au partenaire survivant d’un Pacs à la condition toutefois que le défunt l’ait expressément prévu par testament (article 515-6 du Code civil). - Attribution préférentielle éventuelle sur demande : si celle-ci n’a pas été prévue dans un testament, son bénéfice ne sera qu’éventuel et devra être demandé le cas échéant judiciairement, l’article 515-6 précité le prévoyant au profit des partenaires en cas de dissolution d’un Pacs.

Le droit temporaire au logement. Le survivant des partenaires peut désormais se prévaloir du droit de jouissance gratuite du logement et du mobilier le garnissant pendant un an, tel que prévu par l’article 763 alinéas 1 et 2 du Code Civil. A cet égard, il faut relever que la rédaction du texte ne renvoie pas au quatrième alinéa de l’article 763, lequel dispose que cet article est d’ordre public (entre époux). Cette précaution permet de penser que, contrairement aux époux, le testateur pourra priver par testament son partenaire de ce droit temporaire.

B/ Au plan fiscal

Droits de mutation à titre gratuit. Le Pacs fera bénéficier au survivant d’une exonération totale au titre des droits de succession (loi Tepa d’août 2007 - article 796-O bis du CGI). Rappelons cependant que ce privilège ne profitera au partenaire survivant que s’il vient à la succession ; dans la mesure où il n’a aucune vocation successorale, cela suppose que le défunt l’ait institué légataire.

Droits de partage. Si un partage a lieu entre le survivant, éventuellement légataire, et les héritiers du prémourant, le droit de partage au taux de 2,50 % s’appliquera sur la valeur totale du bien indivis (1).

CONFÉRER AU SURVIVANT UNE VOCATION SUCCESSORALE : LE LEGS Une solution à envisager est de prévoir que chacun, dans un testament qu’il établira, institue l’autre légataire. Cette disposition testamentaire permet de pallier l’absence de vocation successorale. Il convient néanmoins de s’interroger sur la nature du legs : doit-il être consenti en pleine propriété ou en usufruit seulement ?

Le legs en pleine propriété. Sur le plan civil, aucun problème s’il n’existe pas d’héritiers réservataires, c’est-à-dire, dans notre cas, en cas de prédécès de Madame Y : sa quote-part indivise sera transmise à Mr X, lequel deviendra seul et plein propriétaire de l’appartement. Monsieur X devra néanmoins assumer le coût fiscal rédhibitoire de ce legs. Les droits de succession entre concubins sont en effet calculés au taux (applicable entre personnes non parentes) de 60 % au-delà d’un abattement de 1.594 euros (2). Ils s’établissent comme suit : - Assiette taxable (150.000 - 1.594) : 148.406 euros - Droits à payer (148.406 x 60 %) : 89.044 euros. Un contrat d’assurance vie ou décès pourra être envisagé, dont le capital permettra au survivant de couvrir les droits dus. En présence d’enfant, c’està- dire en cas de prédécès de Monsieur X, le legs sera limité à la quotité disponible (soit ici, en présence de deux enfants, un tiers de la succession (3)), ou réduit à celle-ci, sauf consentement à exécution. Il s’agira néanmoins, au travers de la quotité disponible, d’octroyer à Madame Y un capital supplémentaire lui permettant soit de retirer une plus grosse part d’un futur prix de vente, soit de racheter plus facilement la part des ayants droit de Monsieur X. Sur le plan fiscal, les droits de succession seront calculés comme indiqué précédemment, à ceci près que l’assiette taxable sera réduite à la quotité disponible.

Le legs en usufruit. Il peut être envisagé de faire porter le legs sur le seul usufruit de la moitié indivise de l’appartement. En l’absence d’enfant (cas du prédécès de Madame Y), le legs s’exécutera purement et simplement ; l’usufruit s’éteindra au décès de son titulaire. En présence d’enfants (cas du prédécès de Monsieur X), et donc d’héritiers réservataires, ceux-ci peuvent en principe revendiquer leur réserve en pleine propriété. Mais il faut alors prendre en compte l’article 917 du Code civil, lequel dispose que « si la disposition (…) est d’un usufruit (…) dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la quotité disponible » (4). Sur le plan fiscal, si le legs s’exécute en usufruit, les droits de mutation à titre gratuit seront moins élevés puisque portant sur la seule valeur de celui-ci. Prenons pour hypothèse que le survivant est âgé de 74 ans. En application du barème fiscal de l’article 669 du CGI, l’usufruit vaut 30 % de la pleine propriété. Les droits de succession vont donc s’appliquer sur une assiette correspondant à 30 % de la moitié prédécédé, soit : - Assiette taxable (150.000 x 30 % -1.594) : 43.406 euros - Droits de succession (43.406 x 60 %) : 26.044 euros. Cela permet donc au survivant de conserver son toit en réduisant de près de 3,5 fois la pression fiscale par rapport à un legs de la moitié indivise en pleine propriété.

Le legs alternatif. Il peut être proposé à Mr X et Mme Y un testament proposant tout à la fois un legs en propriété ou en usufruit, au choix du survivant. Ce choix fera l’objet d’une option formulée par lui consécutivement au décès ; il sera prudent d’encadrer le formalisme et les délais d’exercice de cette option par des dispositions adaptées devant figurer dans le testament.

L’incidence d’un Pacs. La conclusion d’un Pacs est une arme redoutablement efficace dans cette hypothèse. En effet, nous avons vu précédemment qu’aucun droit de succession n’est dû entre partenaires.

Conclusion à ce niveau. L’alliance d’une libéralité testamentaire et d’un Pacs constituera bien souvent un montage simple et efficace pour protéger le concubin survivant. En présence d’enfant(s), se posera néanmoins le problème de la réserve héréditaire de ces derniers et de l’application éventuelle de l’article 917 du Code civil pouvant mettre en échec l’objectif de maintien dans les lieux du survivant au moyen d’un legs en usufruit. On peut alors imaginer des solutions permettant de conférer au survivant un droit certain, échappant aux aléas précités.

 

L’ACQUISITION ASSORTIE D’UNE CLAUSE DE TONTINE

Le schéma. La clause de « tontine » ou « d’accroissement » consiste en la stipulation, dans l’acte d’acquisition, qu’en cas de décès de l’un des concubins, le survivant sera considéré comme ayant été le seul propriétaire depuis l’origine. Le résultat est spectaculaire et extrêmement protecteur pour le survivant. Les conditions. Pour que la clause soit valide et ne prête pas à contestation, le contrat doit présenter un caractère onéreux et aléatoire. D’une part, les sommes investies devront être équivalentes, ce qui est bien le cas dans notre espèce. D’autre part, il ne doit pas y avoir une trop grande disparité dans les chances de survie du fait, notamment, de la différence d’âge ou de l’état de santé.

Inconvénients. D’une part, sur le plan fiscal, le transfert de propriété est soumis aux droits de succession (5). Pour le concubin survivant, la charge fiscale serait donc de 89.044 euros (6) (cf. cidessus). D’autre part, si le concubin qui décède en premier a des enfants, ceux-ci seront totalement évincés, contrairement au cas du legs en usufruit où ils récupéreront la propriété in fine, au décès de l’usufruitier. Or, si Monsieur souhaite que Madame demeure dans l’appartement jusqu’à la fin de sa vie, son but n’est peut-être pas pour autant d’exclure définitivement ses enfants de tout droit sur ce bien. Enfin, la tontine étant exclusive de l’indivision, aucune demande en partage judiciaire n’est possible en cas de séparation du couple ; dès lors, à défaut d’accord amiable pour renoncer à la clause de tontine ou pour vendre le bien, la situation peut devenir inextricable ; ce dernier inconvénient porte souvent un coup fatal à cette solution, laquelle pour cette raison est assez rarement retenue.

L’influence d’un Pacs. La conclusion d’un Pacs dans cette hypothèse vient apporter un véritable avantage fiscal puisqu’aucun droit de succession n’est dû (7).

Observation. Dans l’hypothèse (rare en pratique) d’une clause de tontine portant sur une habitation principale d’une valeur inférieure à 76.000 euros, le bénéficiaire pacsé peut désormais opter entre le régime des droits de mutation à titre onéreux et celui des droits de mutation à titre gratuit pour l’imposition de l’accroissement résultant de la mise en oeuvre de la clause. Cette mesure, issue de la loi de Finances pour 2010, permet au partenaire survivant d’un Pacs de se placer sous le régime des droits de mutation à titre gratuit pour faire jouer l’exonération de droits de succession dont il bénéficie.

Conclusion. L’acquisition d’un immeuble, assortie d’une clause de tontine et de la conclusion d’un Pacs, est très efficace pour permettre au survivant de demeurer dans la résidence commune en n’étant soumis à aucune fiscalité. Cependant, en présence d’enfants que l’on ne veut pas léser, ou si le couple veut conserver un espace de liberté, ce montage doit être écarté.

(1) CGI, art. 748 et 750-II. (2) CGI, art. 777 et 788. (3) C. civ. art. 913. (4) Notons que cette disposition ne s’applique pas aux couples mariés, du fait de l’existence d’une quotité disponible spéciale entre époux (5) CGI, art. 754 A. (6) Sauf à ce que l’immeuble concerné ait une valeur inférieure à 76.000 euros, auquel cas ce sont des droits de vente qui seraient dus, mais ce n’est pas le cas dans notre espèce. (7) Article 796-O bis du CGI.