
Prestations juridiques en ligne, la réponse du Conseil national des barreaux

L’Agefi Actifs. - Président de la Commission prospective et innovation au Conseil national des barreaux, comment réagissez-vous à l’arrivée du géant américain de la prestation juridique en ligne Rocket Lawyer? Quelle stratégie allez-vous adopter?
Louis Degos. - Rocket Lawyer est une legaltech américaine qui vient démocratiser le droit en France puis dans toute l’Europe. D’autres acteurs français tels que Legal Start, Legalife ou encore Captain Contrat, ont développé le même concept. L’une des raisons de l’ampleur prise par Rocket Lawyer aux Etats-Unis est, outre sa technologie développée sur son site pour générer des contrats, un partenariat qui avait été noué avec l’American Bar Association (ABA), soit l’équivalent du CNB aux Etats-Unis. Son modèle est celui du traitement de masse de la consommation du droit. Un business model très profitable, avec une politique extensive. Cette société très florissante et puissante a été applaudie en juin dernier lors d’une conférence organisée par l’OCDE sur le thème «Disruptive innovation in legal services» par un parterre d’économistes et de représentants des Autorités de la concurrence des différents pays membres. Cela fait dix ans que l’OCDE annonce ce mouvement, il fallait s’attendre à un tel accueil. D’autant que les avocats ont malheureusement cru pouvoir faire fi de cette évolution annoncée.
Aujourd’hui, le premier réflexe pour les avocats français est de combattre l’arrivée de ces plates-formes. Cependant, différents obstacles s’imposent. Tout d’abord, combattre des plates-formes qui démocratisent la prestation juridique, c’est finalement, pour le public, aller à l’encontre de l’accès au droit. Ensuite, cette réaction apparaît comme un positionnement trop fermé, corporatiste, qui va à l’encontre de la libéralisation des activités économiques souhaitées par le gouvernement. Enfin, ces legaltechs couvrent un marché économique qui était jusqu’à présent délaissé par les professionnels du droit. Elles répondent un à besoin. Toutefois, si elles s’attaquent d’abord au bas du marché, elles ne peuvent ensuite se développer que par le haut, en prenant des parts dans le milieu de marché. Le risque est que, après une période d’investissement où les prix des prestations pour le public sont bas et les avocats qui travaillent pour ces legaltechs correctement payés, ce qui permet d’assécher le marché en attirant l’offre et la demande, lorsque le « middle market » est conquis, on passe à une période de retour sur investissement où les prix remontent mais les professionnels qui ont perdu leurs parts de marché sont de moins en moins bien payés.
Ne vous faut-il donc pas combattre ces legaltechs?
- En avons-nous les moyens et est-ce encore possible ? Quand il s’agit d’escroqueries – parce qu’il y en a –, oui bien sûr. Sinon, je crois qu’il nous faut accompagner en contrôlant et, si possible, en régulant, sans pour autant avoir l’intention de s’allier avec elles, à l’instar de l’ABA aux Etats-Unis avec Rocket Lawyer. D’ailleurs, il est à noter que l’ABA a arrêté son partenariat, démontrant là peut-être qu’il faut observer cette stratégie avec précaution. En effet, une alliance avec l’un de ces acteurs, sans avoir la maîtrise de la plate-forme (contrairement à la plate-forme du CNB « avocats.fr »), me paraît hasardeuse. Nous pourrions cependant établir un cahier des charges, une sorte de norme ISO, qui permettrait d’indiquer au public que certains sites disposent d’un minimum de sérieux et de garanties.
Ces plates-formes sont un nouveau moyen d’apports d’affaires pour les professionnels du droit. Pensez-vous que les avocats doivent pour autant s’y référencer?
- Tant que nos obligations déontologiques sont respectées, c’est le choix de chacun. Mais il faut être conscient que, sans vraiment le savoir, « adhérer » à un tel site revient à s’engager dans un cabinet virtuel. En effet, sans y consacrer un montant d’investissement conséquent, ces sociétés attirent des clients, puis distribuent les dossiers à des professionnels qui les traitent en sous-traitance et qui ne sont pas salariés de la société. A la base, c’est une sorte de collaboration libérale qui ne dit pas son nom, hors de la régulation déontologique et de la confraternité. Autre problème, sur un plan économique, ces legaltechs sont détenues pas des non-professionnels du droit alors que les cabinets « réels » ne peuvent pas bénéficier aujourd’hui du levier des capitaux extérieurs. C’est une distorsion de concurrence, c’est pourquoi j’indiquais qu’il y a une question de moyens et de financement de plus en plus pressante.