Prélèvement à la source : Bailleurs, à vos travaux !

Michel Tudel, président, et Rudi Fievet, fiscaliste chez Absoluce
Tribune - L’instauration du prélèvement à la source en 2018 modifiera la technique de recouvrement, mais la détermination du revenu et le calcul de l’impôt resteront inchangés.
Toutefois, les experts d’Absoluce expliquent comment ces modalités de perception qui évoluent laissent entrevoir une occasion de planifier efficacement les dépenses de travaux immobiliers réalisés au cours de l’année 2017 au sein des immeubles mis en location.

Le Gouvernement a prévu des mesures fiscales incitatives pour éviter qu’un propriétaire ne reporte à 2018 des travaux qu’il aurait pu réaliser en 2017.

Les revenus fonciers courants soumis au régime du prélèvement à la source

Aucun tiers payeur ne peut assurer la collecte de l’impôt de manière simple. Dès lors, les propriétaires qui perçoivent des loyers acquitteront des acomptes mensuels prélevés par l’administration fiscale selon un échéancier annuel. La base de calcul de ces acomptes sera constituée des revenus fonciers de l’année N-2 de janvier à septembre, puis de N-1 le reste de l’année, auxquels sera appliqué le taux propre du foyer fiscal.

Seuls les revenus fonciers non exceptionnels sont concernés par ce prélèvement à la source ; les revenus exceptionnels se rattachant à un immeuble, tels que les plus-values immobilières, en sont exclus puisqu’ils sont déjà taxés en amont, le notaire reversant à l’Etat le prélèvement opéré pour son compte.

Un calcul complexe source d’incompréhension

En 2017, les revenus exceptionnels (pas de porte, droit au bail…) qui ne sont, par nature, pas susceptibles de se renouveler ou qui ne se rattachent pas à cette année (arriérés de loyers, par exemple), ne seront pas pris en compte dans le calcul du crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR). Rappelons que ce mécanisme spécifique permettra au mieux d’annihiler, au pire d’atténuer le risque de double imposition. En effet, en 2018, le contribuable sera censé payer l’impôt sur le revenu 2017, plus le prélèvement à la source mensuel sur les revenus 2018. Le CIMR est le moyen qu’a retenu le Gouvernement pour mettre en œuvre ce qu’il est courant d’appeler « l’année blanche ».

Le calcul du CIMR est complexe : seuls certains revenus non exceptionnels sont pris en compte dans le calcul. Pour résumer, si les revenus bruts fonciers perçus en 2017 et 2018 sont déterminés selon les mêmes règles, en revanche, les règles de déductibilité des charges vont différer. Les revenus fonciers bruts perçus en 2018 profiteront de dérogations temporaires potentiellement favorables au contribuable (par rapport à ces règles de déductibilité des charges).

Les contribuables pouvant mal comprendre le fonctionnement de « l’année blanche », le Gouvernement a craint qu’ils ne reportent leurs travaux immobiliers de 2017 à 2018 au plus tôt, ce qui aurait des effets économiques négatifs sur l’activité du bâtiment en France, secteur économique important en période de reprise. Il a donc prévu un dispositif incitatif.

Travaux virtuels, déduction bien réelle !

Lorsque le propriétaire bailleur est imposé au réel en matière de revenus fonciers, c’est-à-dire lorsqu’il excède les plafonds du micro-foncier (15 000 €) ou qu’il a opté volontairement pour la déduction des frais réels, une dérogation légale pourrait trouver à s’appliquer en matière de déductibilité des travaux fonciers réalisés en 2017 et 2018.

Si les charges de propriété récurrentes, telles que les taxes foncières, sont admises en déduction pour la seule année de leur échéance et quelle que soit leur date effective de paiement, il n’en va pas de même pour les charges dites pilotables, c’est-à-dire celles que le contribuable décide ou non d’engager.

Ce sont ces dernières qui font l’objet du régime de faveur puisque le contribuable pourrait décider de les reporter, au prétexte qu’elles n’apporteraient aucun avantage fiscal direct en 2018. Alors que des travaux réalisés en 2018 seront bien déduits au titre de l’impôt 2019, ce dernier n’étant pas concerné par l’année blanche.

Les travaux réalisés en 2017 sont intégralement déductibles des revenus fonciers bruts perçus cette même année, selon le droit commun – en particulier s’ils constituent des travaux d’amélioration, d’entretien ou de réparation des locations – pour déterminer les revenus fonciers nets imposables au barème.

Les dépenses pilotables réalisées en 2018 seront déductibles du revenu foncier brut de 2018 pour un montant égal, cette fois-ci, à la moyenne des travaux de cette nature réalisés en 2017 et en 2018. Le montant déductible, évalué bien par bien, est donc apprécié globalement sur deux années.

Une très forte incitation fiscale

Autrement dit, le contribuable qui réalise en 2017 une dépense foncière qui ne lui est pas imposée par l’urgence d’un cas de force majeure ou par une obligation légale, déduira l’intégralité de cette dépense au titre de l’année 2017 et pourra, de surcroît, déduire la moitié de cette dépense au titre de l’année 2018. C’est donc une incitation fiscale très forte à réaliser lesdits travaux éligibles en 2017 pour pouvoir déduire la moitié de leur montant, de manière fictive, l’année suivante.

Trois exemples pour les dépenses « pilotables »

1) Un contribuable réalise ses travaux en 2017

Un propriétaire qui réalise 10 000 euros de travaux en 2017 pourra les déduire intégralement de ses revenus fonciers, mais pourra de surcroît, sans bourse délier, déduire 5 000 € en 2018 à raison des mêmes travaux.                                                                 Soit au total : 10 000 + 5000 = 15 000

2) Un contribuable réalise ses travaux en 2018

A contrario, le contribuable qui reporte en 2018 l’intégralité de ses dépenses immobilières (10 000 euros) ne pourra déduire, au titre de 2018, que 50 % de leur coût.                       Soit au total : 5000

3) Un contribuable réalise ses travaux en 2017 et en 2018

Le bailleur qui réalise le même montant de travaux en 2017 et 2018, ou un montant moindre en 2017, ne mobilise pas efficacement cette dérogation.

3-a) Il dépense 5000 euros en 2017 et 5000 euros en 2018 : en 2017, il déduit 5000 euros. Et en 2018, la moyenne des deux années (10 000 : 2) soit 5000.

    Total sur les deux années : il déduit 10 000.

3-b) Il dépense 3000 euros en 2017 et 7000 euros en 2018 : en 2017, il déduit 3000 euros. Et en 2018, la moyenne des deux années (10 000 : 2) soit 5000.

      Total sur les deux années : il déduit 8 000.

Lorsqu’un cas de force majeure oblige à réaliser des travaux, ceux-ci sont intégralement déductibles et ne sont pas à inclure dans la moyenne lorsqu’ils sont effectués en 2017. De la même manière, puisque l’évaluation doit être menée bien par bien, toute dépense acquittée sur un immeuble acquis en 2018 est intégralement déductible, puisqu’il serait incohérent d’inclure dans la détermination de ses charges une année au titre de laquelle le contribuable n’était pas propriétaire.

Les incertitudes demeurent

Dans le meilleur des cas, la réforme du prélèvement à la source sera écartée par le candidat victorieux à l’élection présidentielle. Le contribuable aura fait rénover en 2017 ses immeubles locatifs et réduit son imposition du fait d’une diminution de son revenu foncier imposable.

Dans le pire des cas, le prélèvement à la source entrera en vigueur et le contribuable dépensier en 2017 bénéficiera fiscalement de ces travaux au titre de deux années.

Encore faut-il que ce propriétaire bailleur ait les fonds disponibles en 2017 pour ce faire.

On peut par ailleurs s’étonner du risque qu’une telle mesure fait peser sur le niveau d’activité du secteur du bâtiment en 2018, les modalités retenues pouvant décourager les investissements au titre de cette année. Il faut bien remarquer qu’en 2018, le Gouvernement actuel ne sera plus en poste. Après lui, le déluge ?