Séparation de biens

Précision sur la contribution aux charges du mariage

Apporter un capital pour financer un bien indivis n’est pas une contribution aux charges du mariage
Une précision bienvenue pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens
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Toute acquisition comptant d’un bien immobilier par un versement en capital échappe par principe au domaine de la contribution aux charges du mariage, affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2019 (1). Pour rappel, les charges du mariage comprennent l’ensemble des dépenses liées au train de vie du ménage, à savoir notamment, les dépenses de logement, de nourriture, de vêtement, de transport ou de santé. Les époux ont l’obligation d’y contribuer pendant toute la durée du mariage « à proportion de leurs facultés respectives », selon l’article 214 du Code civil. En présence d’époux séparés de biens, il est fréquent, en cas de rupture de l’union, que celui qui a financé seul ou presque l’acquisition du logement familial réclame une créance.

 

Faits. C’était le cas dans cette affaire où un époux marié sous le régime de séparation de bien, voulait, lors de sa procédure de divorce, se voir reconnaître titulaire d’une créance au titre du financement de la totalité du prix d’acquisition de la maison secondaire achetée par les époux, en indivision, pour moitié chacun. Celui-ci avait investi dans cette opération des fonds personnels, provenant de la vente de biens acquis avant le mariage. L’arrêt de la cour d’appel rejette cette demande en retenant que « cette dépense d’investissement à affectation familiale doit être analysée comme une participation à l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ». Elle « n’apparaît pas disproportionnée au regard de ses capacités financières, lesquelles ne se réduisent pas à ses seuls revenus ». La Cour de cassation casse finalement cette décision.

 

Apport de l’arrêt. Largement diffusée et commentée, cette décision « met un coup d’arrêt à la propension de la Cour de cassation à faire de l’article 214 du Code civil un obstacle insurmontable pour un époux marié sous le régime de la séparation de biens qui réclamerait une créance à son conjoint au titre d’un financement inégal d’un bien immobilier acquis en indivision. En effet, cette importante décision exclut du domaine de cette règle tous les financements de biens immobiliers affectés à un usage familial réalisés par un apport en capital personnel de l’un des époux », souligne Claire Farge, avocate spécialisée en droit patrimonial pour le cabinet Fidal. Et ce « alors même qu’il y avait des décisions en fin d’année dernière qui laissaient penser que les apports en capital personnel pouvaient rentrer dans les contributions aux charges du mariage » (2). Le principe est donc posé par cette décision, qui « s’inscrit dans un mouvement plus général récent de recul de la jurisprudence sur le rôle attribué à la contribution aux charges du mariage », selon Marion Cottet, professeur de droit privé à l’Université de Bretagne occidentale (3). Ainsi, les dépenses d’investissement purement locatif ont été exclues de cette contribution par la Cour de cassation (4).

 

Questionnements. En revanche, « le cas de l’emprunt souscrit pour une acquisition indivise et du remboursement de cet emprunt par prélèvements réguliers sur un capital propre de l’un des époux acquéreurs n’est pas réglé par cet arrêt », souligne Claire Farge. « Est-ce que cette situation échappera également aux domaines de la contribution aux charges du mariage ? », s’interroge-t-elle. Marion Cottet a un avis assez tranché sur la question : « Seul l’apport en capital effectué en un seul versement serait à exclure, parce qu’il ne répond pas à la philosophie d’une collaboration des époux au jour le jour, pour faire face aux dépenses engendrées par la vie commune ». Mais sur ce point, il faudra certainement attendre une nouvelle décision de la Cour de cassation pour en avoir la confirmation.

 

Contrat nécessaire. Reste que pour baliser au mieux ces questions, il est conseillé aux époux de rédiger un contrat de mariage. « Les époux pourront tout organiser dans leur convention matrimoniale pour savoir la règle qu’ils voudront se voir appliquer en cas de divorce. Les époux pourront décider que la contribution aux charges du mariage concerne ou pas des investissements immobiliers, des versements périodiques prélevés sur le capital, etc. », précise Claire Farge. 

 

(1) Cass. Civ. 1ere, 3 octobre 2019, n°18-20.828

(2) Cass. Civ 1ere, 21 novembre 2018 n°17-26546

(3) Voir sa note publiée sur Dalloz actualité, « L’apport en capital n’est pas une forme de contribution aux charges du mariage ».

(4) Cass. Civ. 1ere, 5 octobre 2016, n°15-25944