Politique commerciale : Bruxelles enterre «l’Europe naïve»

Clément Solal, à Bruxelles
La nouvelle doctrine européenne porte par ailleurs le sceau du Green Deal.

L'Europe n’hésitera plus à prendre des mesures de manière autonome pour protéger ses intérêts et ses valeurs», prévenait jeudi un fonctionnaire européen en amont de la présentation de la révision de la doctrine commerciale de l’UE par le vice-président exécutif de la Commission européenne (CE) Valdis Dombrovskis. Si le document réitère les velléités de l’UE d'œuvrer à la réhabilitation de l’ordre multilatéral, il consacre surtout la vision d’une Europe capable de fermeté pour faire face à l’unilatéralisme et la concurrence déloyale.

Dans cette première mise à jour du logiciel commercial européen depuis 2015, Bruxelles prévoit ainsi la présentation, d’ici la fin de l’année, d’une initiative pour armer l'UE contre les actions coercitives et illégales prises par des pays tiers. La proposition, qui répond en partie aux préoccupations européennes concernant l'extraterritorialité du droit américain, s’inscrit dans un mouvement plus large de renforcement de l’arsenal commercial de l’UE face à la tendance à l’unilatéralisme. Les colégislateurs européens s’étaient ainsi entendus en octobre sur un règlement, qui, officiellement adopté depuis, autorise l’UE à mettre en place des mesures de rétorsion en dépit du blocage de l’organe d’appel de l’OMC chargé de régler les litiges commerciaux, par les Etats-Unis.

Concurrence déloyale

Le document reflète par ailleurs toute l’ambivalence de la relation avec la Chine, qui est devenue le premier partenaire commercial de l’UE en 2020. Après avoir négocié un accord de principe sur les investissements en décembre, la CE prévoit de présenter un texte législatif d’ici l’été, qui, ciblant clairement Pékin, aura pour objectif de s’attaquer à la concurrence déloyale au sein du marché unique exercée par des entreprises étrangères subventionnées. L'accueil de l'initiative par les Etats membres constituera un test majeur pour l’unité des Vingt-Sept vis-à-vis de la Chine, qualifiée tantôt de «partenaire de coopération», tantôt de «rival systémique» par l’UE. Les Etats membres recevant le plus d’investissements issus de la Chine demeurent en effet soucieux de ménager Pékin. Ces Etats, situés au sud et à l’est du continent, avaient notamment détricoté un règlement proposé en 2018 par la CE qui visait à filtrer les investissements directs à l’étranger émanant des pays tiers dans l’UE.

Bruxelles affiche en même temps son ambition de remettre sur pied l’ordre multilatéral. L’exécutif européen compte s’appuyer sur une relation transatlantique renouvelée pour entreprendre une série de réformes en profondeur de l’OMC, à commencer par son système de règlement des différends, dont le déblocage est identifié comme une «priorité immédiate», ou encore en poussant pour l’adoption de règles sur le commerce numérique ou la régulation des subventions publiques. «Pour le système d’appel, la nouvelle administration américaine nous donne beaucoup d’espoir. Pour le reste, il faudra de la patience, créer des alliances, pas à pas ...», glisse une source européenne.
Promouvoir les objectifs climatiques

La nouvelle doctrine commerciale porte enfin le sceau du Green Deal européen. Valdis Dombrovskis, qui a affiché son optimisme quant à la conclusion prochaine d’un accord de libre-échange négocié avec le Mercosur comprenant de meilleures garanties environnementales, entend miser sur les accords commerciaux pour promouvoir les objectifs climatiques. La Commission s’engage à ce que l’Accord de Paris constitue «un élément essentiel» des accords de libre-échange dont elle entamera les négociations à l’avenir, sans inclure celles sur lesquelles elle est déjà en train de plancher. Enfin, Bruxelles a annoncé la présentation prochaine d’une initiative visant à renforcer l’application concrète des chapitres sur le commerce et le développement durable (TSD) inclus dans les accords existants.