
Paris vs Airbnb : la partie n’est pas finie

Dans la série d’arrêts rendus par la Cour de cassation le 18 février 2021, l’un d’eux est passé relativement inaperçu. A rebours du battage médiatique déclarant Paris vainqueur sur tous les fronts contre les « locations Airbnb », l’un des cas d’espèce (n° 199, 3ème chambre civile) donne raison au bailleur. Le litige se concentre autour d’un formulaire « H2 » qui comporte les renseignements utiles à l’évaluation de chaque propriété au 1er janvier 1970. Cette date, si lointaine soit-elle, correspond au dernier recensement national de l’administration fiscale des propriétés immobilières bâties. Brandie par la mairie pour prouver l’affectation du local, le papier est couvert de l’encre des propriétaires de l’époque rapportant un bien loué meublé. Seul le montant du loyer n’est pas indiqué : pour la Cour, les informations rapportées ne sont alors pas suffisantes pour caractériser l’usage d’habitation.
Un problème de preuve pour la mairie
Cette jurisprudence est symptomatique du problème de fond auquel s’est déjà heurté (1) et se heurtera encore la ville de Paris dans son combat contre Airbnb. « La mairie proclame avoir gagné, soupire Bruno Pavy, notaire à Melun. Son exigence de compensation (voir encadré N.D.L.R.) a été jugée compatible mais elle va buter sur un problème de preuve face aux bailleurs ». Si la ville veut poursuivre un loueur meublé touristique, c’est à elle de rapporter la preuve qu’au 1er janvier 1970 le local était bien à usage d’habitation. Cette date est celle qui a été retenue par l’article L631-7 du Code de la construction et de l’habitation pour imposer l’accord de la mairie avant tout changement. « Les notaires de Paris détiennent un fichier dénommé Vidoc, qui contient un ensemble de documents fiscaux, dont des fiches cadastrales ou les imprimés H2, poursuit Bruno Pavy. Ils ont été réalisés par l’administration et ne donnent pas précisément l’affectation du local, on ne peut y arriver que par un faisceau d’indices ». La mairie, même en ayant accès au fichier et munie de ses propres bases de données, peine à apporter la preuve du changement d’usage.
L’une des propositions portées par le 116ème Congrès des notaires, qui s’est tenu en octobre 2020, visait à renverser la charge de la preuve. En présumant la destination d’habitation du local, ce serait aux bailleurs de faire un saut de 50 ans dans le passé pour organiser leur défense. L’équipe du congrès a contacté, lors de la préparation de l’événement, les services de la mairie en charge du logement pour leur faire part de l’idée. Sans réponse.
« Les textes actuels, qui datent de 2005, doivent être modifiés pour permettre aux communes de canaliser l’augmentation très importante de la location meublée touristique, que ce soit à Paris ou en France », insiste Bruno Pavy. La modification, qui relève du parlement, pourrait être mise en œuvre à l’initiative du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Si la ville de Paris n’a pas de prise directe avec les changements législatifs, rien ne l’empêche de plaider sa cause auprès de l’Exécutif. Elle l’avait déjà fait lors de la création du texte d’origine. « Doit-on recueillir le témoignage de tous les voisins de l’époque pour confirmer que le local était à usage d’habitation ? C’est impossible. Sans cette présomption, toutes les poursuites de la ville risquent d’être vouées à l’échec », conclu le notaire sur une note pessimiste.
(1) Arrêts de la 3ème chambre civile n°989 du 28/11/2019 et n°345 du 28/05/2020
Rappel à la loi
La location meublée saisonnière n’est autorisée que pour la résidence principale dans les villes de plus de 200.000 habitants, dans la limite de 120 jours par an. La transformation d’un local à usage d’habitation en local à usage commercial, obligatoire pour recourir à ce mode de location en dehors de la résidence principale, nécessite une autorisation municipale. La ville de Paris a imposé un principe de compensation, qui oblige tout propriétaire à transformer, dans le même temps, une surface équivalente en logement. Un principe validé par la Cour de cassation dans sa série de décisions du 18 février 2021.