
Pacs : le succès perdure vingt ans après

« Il est utile qu’existe dans notre droit une structure de compagnonnage impliquant une solidarité globale entre deux personnes qui ont choisi de vivre ensemble ». Ainsi s’exprimait Roselyne Bachelot-Narquin en novembre 1998, alors seule députée RPR défendant la création du Pacs (Pacte civil de solidarité) à la tribune de l’Assemblée nationale, devant des détracteurs qui craignaient une « parodie de mariage » ou « une dérive ultérieure vers un droit à l’adoption ou à la procréation médicalement assistée (PMA) » des couples homosexuels. La loi relative au Pacs est finalement promulguée le 15 novembre 1999, créant un « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune » (1). Vingt ans plus tard, que reste-il du Pacs ? Comment les droits des partenaires ont-ils évolué ? Quel avenir pour le Pacs alors que la loi du 17 mai 2013 a créé le mariage pour tous ? (2) Autant de questions qui agitent les professionnels de la gestion de patrimoine.
Formalisme simplifié. Deux décennies plus tard, le Pacs connaît un véritable engouement et a su prendre sa place entre le concubinage et l’institution matrimoniale. Chaque année, environ 200.000 Pacs sont signés très majoritairement (à 95 %) par des couples hétérosexuels (voir encadré p.11). Un des premiers atouts de ce contrat par rapport au mariage est bien entendu son formalisme simplifié, qui séduit notamment les ex-mariés déçus d’une première union. Pour conclure un Pacs, les futurs partenaires ont juste à remplir un formulaire Cerfa qui sera enregistré par un officier d’état civil de la municipalité où vit le couple. Et en cas de séparation, la rupture du Pacs peut se faire d’un commun accord ou unilatéralement en faisant intervenir un huissier de justice signifiant cette décision à l’autre partenaire. A l’inverse, la dissolution du mariage nécessite toujours de passer par la case divorce, même si celui-ci est désormais simplifié en cas de divorce par consentement mutuel.
Les atouts du Pacs. Outre ce formalisme simplifié, le Pacs dispose de nombreux atouts, résume Nathalie Baillon-Wirtz, maître de conférences et responsable du master 2 droit notarial de l’Université de Reims : « une reconnaissance juridique de l’union à l’égard des tiers », « une solidarité matérielle » entre partenaires s’agissant des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante, « la possibilité de bénéficier des prestations d’assurance maladie » entre partenaires ou un alignement de la fiscalité avec les couples mariés. Ainsi, les partenaires, comme les couples mariés, sont soumis, par principe, à une imposition commune pour les revenus dont ils ont disposé pendant l’année de la conclusion de leur pacte et sont, dans ce cas, tenus solidairement au paiement de l’impôt sur le revenu. Ils sont aussi solidaires du paiement de la taxe d’habitation lorsqu’ils vivent sous le même toit et du paiement de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Et par la loi Tepa du 21 août 2007, le partenaire lié au défunt par un Pacs est exonéré de droits de mutation par décès. En pratique, la part qu’il reçoit n’est donc pas soumise aux droits de succession. Catherine Costa, directrice du pôle Solutions patrimoniales chez Natixis Wealth Management, reconnait que les couples pacsés ont souvent choisi ce statut justement « pour avoir une imposition commune en cas de disparités de revenus, sans forcément avoir une vue à très long terme sur leur couple ».
Deux régimes. Au moment où ils se pacsent, les partenaires sont soumis au régime légal de séparation de biens, selon lequel chaque partenaire reste propriétaire des biens qu’il a acquis avant l’enregistrement de la convention initiale et des biens qu’il acquiert durant le Pacs à son nom. A défaut, les partenaires peuvent choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent ensemble ou séparément. C’est la loi du 23 juin 2006 - appliquée à compter du 1er janvier 2007 - qui a modifié le régime légal de propriété des biens des partenaires pacsés, puisque de 1999 à 2007, les règles étaient inversées, l’indivision étant le principe et la séparation de biens, l’exception : « En 1999, les débats parlementaires étaient d’ordre politique et idéologique. Du coup, le législateur est passé à côté de la question centrale du régime des biens. Or, clairement, le régime d’indivision n’est pas la bonne solution pour des partenaires qui recherchent plus de liberté », explique Nathalie Baillon-Wirtz. De fait la plupart des professionnels ne conseillent pas le régime de l’indivision : « Les biens appartiendront à chaque partenaire pour moitié même s’ils ne sont financés que par l’un. Sauf cas particulier, ce régime peut donc être source de difficultés. », rappelle Marie Choplin-Texier, notaire à l’étude Cheuvreux. Pour Claire Farge, avocate spécialisée en droit patrimonial chez Fidal, il existe aussi plusieurs incertitudes liées à ce régime d’indivision : « Nous ne savons pas si la liste des biens exclus de cette indivision, prévue dans le Code civil [3], est ou non d’interprétation stricte. La possibilité de diminuer le périmètre de l’indivision ne pose pas de problème ; en revanche, l’extension du domaine de l’indivision est un sujet délicat, notamment au regard du traitement fiscal qui lui serait réservé. Le Bulletin officiel des finances publiques ne dit rien là-dessus ». La fiscalité de la donation à titre gratuit pourrait être requise par l’administration fiscale.
Filiation. Le régime de biens – séparation de biens par principe pour le Pacs, et communautaire pour le mariage – est donc un des principaux éléments différenciants entre les deux unions, qu’il faudra d’ailleurs appréhender lors du passage d’un statut à un autre (voir l’interview de Wilfried Baby, p.12). A cela s’ajoute aussi, une autre distinction de taille : le Pacs n’est pas juridiquement considéré comme l’union privilégiée de la famille. Le Pacs n’a aucun effet sur l’établissement du lien de filiation : ainsi, il n’existe pas de présomption légale de paternité sur l’enfant à l’égard du partenaire de la mère, qui devra procéder à une reconnaissance de l’enfant commun. Par ailleurs, il n’y a pas de possibilité pour les partenaires d’adopter à deux ou d’adopter l’enfant du partenaire, ni d’obligation alimentaire envers le père ou la mère de son partenaire, comme c’est le cas dans le mariage.
Succession. Conséquence : « du fait de l’absence de liens familiaux entre partenaires au sens du droit des successions, la loi ne leur reconnaît pas une vocation successorale », commente Nathalie Baillon-Wirtz, contrairement aux époux. Il n’est donc pas possible d’hériter de son partenaire défunt - et donc de bénéficier de l’exonération de droits de succession - que dans la mesure où celui-ci l’a expressément prévu par une disposition testamentaire. « Si le couple pacsé n’a pas d’enfant, les partenaires pourront se léguer mutuellement l’ensemble de leur patrimoine sans fiscalité pour se protéger. La situation est plus compliquée quand il y a des enfants, car même en cas de testament, le partenaire ne pourra bénéficier au maximum que de la quotité disponible » ordinaire, souligne Catherine Costa. A contrario, l’usufruit d’un conjoint pourra porter sur la réserve des enfants - en vertu de la quotité disponible spéciale entre époux, ce qui n’est pas le cas, pour les Pacsés. Toutefois, un ou plusieurs enfants pourrait renoncer à l’avance à demander la réduction du legs (RAAR), ce qui reste marginal. « L’idéal est donc d’avoir assez de biens pour que chacun – partenaire, héritier - ait les droits auxquels il peut prétendre », précise-t-elle. La protection du logement notamment est une question à réfléchir en amont. Le partenaire survivant peut en effet obtenir l’attribution préférentielle du logement qu’il occupe à l’époque du décès et de son mobilier lorsqu’il se retrouve en indivision avec les héritiers de son partenaire décédé. Si cette attribution est de droit pour le partenaire, elle doit toutefois être prévue par testament (4). Par ailleurs, la loi prévoit un droit de jouissance temporaire sur le logement limité à une durée d’un an. Le partenaire peut toutefois en être privé par testament (5).
SCI. Si les partenaires créent une société civile immobilière (SCI) pour acheter leur logement, différentes clauses peuvent être insérées dans les statuts pour permettre au survivant de se maintenir dans les lieux en cas de décès de l’autre. « Pour éviter que les enfants viennent perturber ce qui a été mis en place du vivant du partenaire et éviter au maximum l’intrusion des enfants dans les assemblées générales, la SCI peut se coupler avec des démembrements de parts pour faire en sorte que le survivant ait 100 % de l’usufruit des parts et que les enfants ne récupèrent que la moitié en nue-propriété et que cela soit l’usufruitier qui prenne toutes les décisions en assemblée générale », explique Claire Farge.
Nathalie Navon-Soussan, avocate parisienne spécialisée en droit de la famille, est plus réservée sur la SCI : c’est la « fausse-bonne idée ». En effet, dans le cadre d’une procédure devant le juge aux affaires familiales (JAF), la SCI, personne morale, est un tiers. Le JAF n’a pas la possibilité d’attribuer la jouissance du logement appartenant à la SCI à l’un des deux ou d’indiquer si l’occupation se fera à titre onéreux ou gratuit (sauf convention ou clause dans les statuts). Une possibilité de limiter les dégâts est « de réduire la durée statutaire de la société. Il est plus prudent de prévoir une durée de 10 ans et non de 99 ans, quitte à la proroger s’il y a un accord entre associés pour éviter les situations de blocages », précise Marianna Meron-Campagne, avocate à Paris spécialisée en gestion de patrimoine.
Assurance vie. Dans le cadre de ces arbitrages successoraux, « une assurance vie ou une assurance décès est utile pour que le survivant continue de vivre dans le logement du couple au décès de son partenaire », conseille Claire Farge. Puisque, si chacun peut demander l’attribution préférentielle du logement prévue dans le testament, « encore faut-il que le partenaire soit en capacité de payer la soulte ou l’indemnité de réduction aux héritiers, s’il y a lieu », souligne l’avocate. Les primes d’assurance versées par le souscripteur échapperont aux règles du rapport et de la réduction sauf si elles ont été manifestement exagérées, cette notion ayant été précisée par la Cour de cassation. Le partenaire recevra aussi le capital en franchise d’impôt. Attention toutefois à la rédaction de la clause bénéficiaire qui fait l’objet d’un contentieux « florissant » selon Marianna Meron-Campagne. « Il faut bien penser à rédiger une clause précisant que le partenaire devra avoir la qualité de pacsé au jour du décès, et prévoir également une désignation nominative », conseille la professionnelle. L’avocate recommande aussi vivement la mise en place d’une tontine en matière d’assurance vie, « intéressante si on veut se protéger mutuellement » (6). Les partenaires co-souscripteurs (7) du contrat d’assurance vie seront chacun titulaire de la moitié du capital jusqu’à son décès et de l’autre moitié du capital sous condition suspensive de devenir le partenaire survivant. « C’est une transmission préalable au partenaire survivant de façon croisée, qui permet de lui donner encore davantage que dans un contrat d’assurance vie classique, à condition de respecter les conditions de l’aléa. S’il y a une différence d’espérance de vie trop importante entre les partenaires, cela peut être requalifié par le juge en donation indirecte », tempère Marianna Meron-Campagne. Gare aussi aux donations qui sont irrévocables entre partenaires pacsés. Se pacser nécessite donc une gestion patrimoniale fine.
Avenir du Pacs. Vingt ans après sa création, l’ensemble des acteurs interviewés s’accordent à dire que le Pacs a trouvé sa place au sein de l’arsenal juridique, même si sa justification d’origine – la reconnaissance juridique des unions homosexuelles – est désormais atténuée par les chiffres et le « mariage pour tous » inscrit dans le Code civil. Le Pacs n’est donc pas prêt de disparaître : preuve en est avec le dernier règlement européen relatif aux partenariats enregistrés (8). Applicable depuis le 29 janvier 2019 dans 18 Etats dans le cadre d’une coopération renforcée, ce texte est particulièrement « innovant » pour Angélique Devaux, juriste senior spécialisée en droit patrimonial international chez Cheuvreux. Il « donne pour la première fois un corps complet de règles pour déterminer la loi applicable et les juridictions compétentes concernant les effets patrimoniaux des partenaires placés dans un contexte international ».
Evolutions législatives. Mais alors, quel avenir se dessine pour le Pacs ? Quelles réformes législatives seraient souhaitables ? Sur ces questions, les avis divergent. Si Angélique Devaux et Marie Choplin-Texier appellent à renforcer encore davantage les droits du partenaire survivant, notamment en lui offrant un droit à pension de réversion, et à reconnaître une présomption de paternité au partenaire, ce dans le sens d’un certain alignement entre le Pacs et le mariage, Nathalie Baillon-Wirtz affirme au contraire que maintenir un pluralisme des unions est positif dans l’intérêt des couples. Pour Nathalie Navon-Soussan, la question se pose de prendre en compte la durée de la vie commune du Pacs : « Au-delà d’une certaine période, pourquoi ne pas prévoir un délai de prévenance avant la rupture du Pacs, en instaurant une période provisoire avec une médiation obligatoire afin d’envisager les alternatives, y compris une indemnisation objective des conséquences de la rupture ? », s’interroge-t-elle. L’avocate se dit en effet « interloquée par la brutalité d’une telle rupture pour ses clients lorsqu’ils ont été pacsés depuis 10 ou 15 ans et ne disposent pas d’outils d’indemnisation. La procédure de divorce a en outre une fonction exutoire et de protection que n’a pas le Pacs ». Vingt ans après, le Pacs continue de susciter des réflexions de la part des professionnels et séduit toujours les particuliers. Il a encore de beaux jours devant lui.
(1) Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.
(2) Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
(3) Art. 515-5-2 du Code civil.
(4) Art. 515-6 al. 2 du Code civil.
(5) Art. 515-6 dernier alinea du Code civil.
(6) La «tontine» est une convention intervenant entre plusieurs personnes mettant des biens ou des capitaux en commun. A terme, la tontine est dissoute et son actif est distribué entre les adhérents encore en vie.
(7) Co-adhésion prévue à l’article L132-1 al.2 du Code des assurances
(8) Règlement (UE) 2016/1104 du Conseil européen du 24 juin 2016. Un autre texte a été publié le même jour sur les régimes matrimoniaux (règlement 2016/1103).