Transmission intra-familiale

Owner Buy Out Immobilier : la    quadrature  du cercle ?

Paul-André Soreau, notaire à Paris, membre du Groupe Althémis
Les immeubles détenus en direct supportent une importante pression fiscale
L’OBO est une des solutions pour optimiser la détention d’un patrimoine immobilier
Paul-André Soreau notaire à Paris, membre du groupe Althémis

Pour les patrimoines importants, détenir de l’immobilier devient de moins en moins attractif sous l’effet conjugué de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et d’une imposition des revenus fonciers qui est très élevée par rapport à une flat tax de 30 % applicable aux revenus de capitaux mobiliers. La tentation est donc grande pour certains propriétaires de céder leur patrimoine immobilier. Mais comment remployer les sommes issues de la cession, dans un contexte où les rendements financiers sont bas - en raison des faibles taux d’intérêts -, bien qu’une certaine remontée soit amorcée ? Par ailleurs les projets de placement dans l’investissement dit « productif » restent trop peu nombreux et ceux qui offrent des perspectives de rendement intéressantes présentent corrélativement des risques de perte en capital souvent élevés.

Force est de constater qu’en dépit d’une fiscalité élevée, le placement immobilier peut rester un investissement intelligent et pertinent : la population augmente et l’immobilier de rapport répond à une valeur d’usage (habitation ou entreprise) qui sur le long terme ne peut être que gagnante. Ce jugement est à nuancer bien entendu en fonction de l’emplacement et de la nature de l’actif. Dès lors il faut optimiser le mode de détention du bien afin de réduire la pression fiscale  qui s’exerce sur les revenus comme sur le capital et anticiper sa transmission. Prenons l’exemple d’un couple qui détient un immeuble acquis il y a 15 ans pour une valeur de 2.500.000 euros, aujourd’hui valorisé à 4.000.000 euros. Les revenus annuels sont de 200.000 euros et le prêt ayant servi à l’acquisition est totalement remboursé.

I.FISCALITE RELATIVE À LA DÉTENTION DIRECTE DE L’IMMEUBLE

Impôt sur la Fortune Immobilière. Pour rappel, l’IFI est dû par tous les contribuables dont le patrimoine immobilier net dépasse 1.300.000 euros. En supposant que le foyer fiscal détient par ailleurs d’autres biens immobiliers, le barème marginal de l’IFI peut potentiellement varier entre 1,25 % (pour les patrimoines nets compris entre 5.000.001 et 10.000.000 d’euros - voire 1,50 % au-delà. Pour un bien évalué à 4.000.000 euros, cela représente une imposition marginale de 50.000 euros en application du taux de 1,25 % ou 60.000 euros pour la tranche à 1,50 %.

Fiscalité des revenus fonciers. Par hypothèse nous retiendrons que les revenus fonciers des contribuables sont imposés dans la plus haute tranche du barème progressif de l’impôt sur le revenu, soit 45 %, auxquels il faut ajouter les prélèvements sociaux d’un montant de 17,20 % (1) et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) de 3 % ou 4 % selon les cas (2). (voir tableau n°1).

Pression fiscale. En marginal, le cumul de l’impôt sur le revenu  CEHR comprise le cas échéant  et de l’IFI aboutit à un impôt de 192.400 euros sur un revenu de 200.000 euros. Il sera certes possible de faire jouer le plafonnement sous certaines conditions, sauf si le contribuable a par ailleurs des revenus importants.

Droits de mutation à titre gratuit (DMTG). Parallèlement à l’imposition sur les revenus et le capital, peuvent s’ajouter des droits de succession dont la tranche marginale en ligne directe est à 45 % (3), soit un coût de transmission de 1.800.000 euros pour un bien de 4.000.000 euros comme en l’espèce. Cependant cette imposition peut potentiellement être réduite – et la transmission anticipée – si les propriétaires donnent la nue-propriété (NP) de l’immeuble à leurs enfants. À noter que les droits de donation seront d’autant plus réduits que le donateur est jeune. (voir tableau n°2).

Points d’attention. Cette solution laisse à la charge des usufruitiers le coût de l’IFI et une imposition marginale élevée sur les revenus fonciers. D’autre part, l’âge du couple doit être pris en compte pour déterminer si une donation avec réserve d’usufruit permet de réduire significativement les droits de mutation à titre gratuit. C’est la raison pour laquelle le couple pourrait décider non pas de transmettre le bien à titre gratuit, mais de le vendre à une société civile immobilière familiale (SCI).

II.OPÉRATION D’OBO IMMOBILIER : LA VENTE DU BIEN À UNE SCI

Restructuration de la détention. Dans cette perspective, le montage qui consiste à céder un immeuble via une opération de Owner Buy Out (OBO) ou de « vente à soi-même » peut prendre tout son sens. L’objectif étant pour le couple de céder le bien à une société civile immobilière familiale (SCI) soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), dite aussi Newco, constituée par les enfants majeurs avec souscription des titres en pleine propriété. La société aura recours à un emprunt bancaire pour financer tout ou partie de cette acquisition.

Vente du bien à la Newco. Le vendeur s’acquitte du paiement de l’impôt de plus-value dont le montant total s’élève - depuis le 1er janvier 2018 - à 36,20 %, décomposé comme suit : 19 % d’impôt sur le revenu et 17,20 % de prélèvements sociaux. À cela il faut ajouter une taxe additionnelle sur les plus-values nettes imposables supérieures à 50.000 euros dont le barème est progressif et peut aller jusqu’à 6 %. Grâce à un dispositif d’abattement pour durée de détention, l’exonération de la plus-value est acquise après 22 ans de détention pour la partie impôt sur le revenu et 30 ans de détention pour la partie prélèvements sociaux (voir tableau n°3). Dans une opération d’OBO, il convient d’être prudent sur la détermination du prix. Celui-ci n’étant pas déterminé par le marché, un risque de redressement existe tant au niveau des droits d’enregistrement que de l’impôt de plus-value. Il est donc prudent de se faire confirmer la valeur du bien par un ou plusieurs experts.

Stratégie de capitalisation du prix de vente. Après paiement de l’impôt de plus-value, le vendeur dispose d’une somme nette de 3.771.606 euros qui est totalement exonérée d’IFI (sous réserve de ne pas être réinvestie dans un actif immobilier). Pour valoriser le capital, le contrat d’assurance vie est un véhicule financier et fiscal à privilégier. Celui-ci présente un double bénéfice : d’une part les époux pourront compléter leurs revenus en opérant des rachats partiels, tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse ; d’autre part ils pourront anticiper la transmission de ces capitaux en désignant leurs enfants comme bénéficiaires du contrat. Au dénouement du contrat, les sommes seront transmises aux enfants à moindre coût, le régime fiscal de l’assurance vie étant plus avantageux que le barème des droits de mutation à titre gratuit (4).

Financement de l’opération par la Newco. Outre le prix d’achat, le cessionnaire doit régler les frais d’acquisition qui s’élèvent à environ 271.000 euros hors taxe et hors frais de prêt (5) sur la base d’un investissement de 4.000.000 d’euros.
Le prix et les frais seront payés à l’aide d’un crédit bancaire, ce qui permet également de profiter des taux bas (voir tableau n°4).

III.FISCALITE DE LA NEWCO : UN ARBITRAGE S’IMPOSE ENTRE IR ET IS

Un impôt sur les sociétés plus favorable. Pour la fraction du bénéfice inférieur à 38.120 euros, le taux d’IS est de 15 %. Au-delà le taux est de 28 % pour les années 2018 à 2020 avant d’atteindre 26,50 % en 2021 et 25 % en 2022. En comparaison avec le taux marginal de l’impôt sur le revenu (62,20 %, hors CEHR), l’impôt sur les sociétés semble a priori plus favorable. Toutefois cette appréciation est à nuancer, puisque toute distribution de bénéfices sera imposée entre les mains des associés bénéficiaires au taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (12,80 % d’IR et 17,20 % de prélèvements sociaux). Sur la base d’un revenu de 200.000 euros par an, la Newco ayant opté pour l’impôt sur les sociétés remporte l’avantage, même en cas de distribution. En comparant les deux régimes fiscaux, les associés de la Newco ayant opté pour l’IS perçoivent un revenu net d’environ 104.270 euros contre un revenu de 75.600 euros pour les associés appartenant à une société à l’IR, soit une différence d’environ 29.000 euros (voir tableau n°5).

Bénéfice de l’amortissement. La possibilité d’amortir l’immobilier dans une société soumise à l’IS facilite le remboursement du prêt ou la constitution d’une « cagnotte » en dégageant de nouvelles liquidités. En pratique, l’amortissement de l’immeuble entraîne une réduction de la base imposable, donc une économie d’impôt qui constitue autant de trésorerie supplémentaire pouvant être consacrée au remboursement du prêt immobilier contracté par la société. Au fil du temps, la diminution, voire la neutralisation de l’assiette imposable à l’impôt sur les sociétés contribue à la création d’un déficit reportable sur plusieurs années (voir tableau n°6).

Limites. Il convient cependant de relativiser l’avantage lié à l’amortissement en cas de cession du bien immobilier puisqu’en cas de revente, la plus-value est calculée en fonction de la valeur nette comptable, c’est-à-dire en tenant compte des amortissements pratiqués. Autrement dit, l’avantage lié à la diminution de base imposable est récupéré au moment de la vente. D’autre part, à la différence des plus-values immobilières des particuliers, il n’existe pas pour les sociétés IS d’abattement pour durée de détention.

Trésorerie. D’après le tableau de trésorerie réalisé (voir tableau n°7), on constate qu’en dépit de l’amortissement, le bien ne s’autofinance pas. Il faut que les associés fassent des apports annuels pour pouvoir rembourser le prêt. Pour éviter cela, deux solutions sont possibles :

  • Diminuer le montant du prêt grâce à un apport ab initio, qui peut être fait soit en capital, soit en compte courant d'associé (le banquier préférera souvent un apport en capital).
  • Augmenter la durée du prêt qui permet de réduire les échéances du crédit.

IFI et sociétés IS. Chaque associé est imposé sur la fraction des parts représentative d’actifs immobiliers détenus par la société. Même si des dispositifs anti abus ont été mis en place, le fait que la société ait souscrit un prêt bancaire pour acquérir l’immeuble a pour effet de diminuer (au moins temporairement [6]) la valorisation de la société et donc la taxation au titre de l’IFI. Selon les calculs effectués ci-dessus, l’économie d’IFI est au début de l’opération comprise entre 50.000 euros et 60.000 euros. En attendant une souhaitable suppression de cet impôt qui est non seulement discriminatoire pour l’immobilier, mais aussi injustifié, il convient de s’organiser pour essayer de limiter les effets d’une imposition pénalisante et confiscatoire sur l’immobilier (voir tableau n°8).

Conclusion. Finalement, on se demande si l’OBO immobilier ne permet pas de réaliser la quadrature du cercle : dégager des liquidités exonérées d’IFI permettant une meilleure allocation fiscale (assurance vie notamment) tant en vue de la transmission que de l’organisation de la retraite ; conserver le bien immobilier dans la famille tout en le transmettant aux enfants en économisant les droits de succession ; bénéficier de la fiscalité plus favorable de l’IS par rapport à celle des revenus fonciers ; et profiter des taux bas. Mais pour combien de temps encore ? 

(1) Ce taux se décompose entre 9,90 % de CSG, 0,5 % de CRDS, 4,50 % de prélèvement social, 2 % de prélèvement de solidarité et 0,30 % de contribution additionnelle au prélèvement social. Le taux de 17,20 % est un taux facial. Le taux réel est inférieur puisqu’une partie de la CSG (6,80 %) est déductible l’année d’après. 

(2) 3 % entre 250.000 et 500.000 euros
pour un célibataire, entre 500.000
et 1 000.000 d'euros pour un couple ;
4 % au-delà de 500.000 euros pour
un célibataire, au-delà de 1.000.000 euros
pour un couple.

(3) 45 % à compter d’une fraction nette taxable de 1 805.677 euros.
Les tranches inférieures sont respectivement de 5 % (jusqu’à 8.072 euros), 10 % (entre 8.072 et 12.109 euros), 15 % (entre 12.109 et 15 932 euros), 20 % (entre 15.932 et 552.324 euros), 30 % (entre 552.324 et 902.838 euros), 40 % (entre 902.838 et 1.805.677 euros).

(4) Si le contrat est souscrit avant 70 ans, l’abattement est de 152.500 euros par bénéficiaire et les produits sont imposés à hauteur de 20 % jusqu’à 700.000 euros et 31,25 % au-delà, à comparer avec une taxation marginale de 45 % pour l’immobilier transmis en ligne directe.

(5) Les droits d’enregistrement sont de 5,81 % auxquels il faut ajouter les honoraires du notaire et les débours.

(6) Au fur et à mesure que le crédit bancaire
est remboursé, la valeur de la société augmente.