
Mouvement de panique au pays des gérants majoritaires
Joël Gazulla, expert-comptable (1), et Frédéric Loyer, directeur, Expert & Finance Entreprise, filiale du groupe Expert & Finance (2)
Les travailleurs non salariés (TNS) relevant de l’article 62 du Code général des impôts (CGI) ont été les plus touchés par les réformes issues de la loi de Financement de la Sécurité sociale pour 2013 (loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 - art. 11 (V)).
PREMIÈRE ÉVOLUTION : ASSUJETTISSEMENT DES DIVIDENDES AUX CHARGES SOCIALES
Désormais, les dividendes perçus par ces derniers vont entrer dans la base de calcul des charges sociales dès lors que la distribution de l’entreprise dépasse le seuil des 10 % de la somme du capital social, prime d’émission et comptes courants d’associés.
Cette évolution était attendue tant l’inégalité de traitement entre les gérants de SARL et les gérants de SEL ou associé unique d’EIRL ayant opté pour l’impôt sur les sociétés était importante.
Le législateur considère que la rémunération du capital investi dans l’entreprise ne doit pas dépasser 10 % l’an. Au-delà, les dividendes versés sont considérés non plus comme des revenus du capital, mais comme des revenus du travail.
Conséquence directe : la quote-part des dividendes perçus assujettie aux charges sociales va venir augmenter la base de calcul des charges sociales du dirigeant non salarié.
Gérants majoritaires concernés au-delà de cinq Pass...
Cette évolution de la taxation est-elle préjudiciable à tous les gérants majoritaires ?
De prime abord, la tentation est grande de répondre positivement à cette question. Une étude chiffrée vient nuancer ce propos et finalement, seuls les dirigeants percevant des rémunérations inférieures à 3 Pass (111.096 euros) seront « sérieusement » pénalisés par ce dispositif. Entre 3 et 5 Pass (185.160 euros) de rémunération, il n’y a pas d’évolution significative.
Au-delà de 5 Pass, les charges sociales se limitent aux allocations familiales (5,4 %), à la cotisation maladie (6,5 %) et à la CSG / CRDS (8 %). L’intégralité de ces charges est fiscalement déductible hormis les 2,9 % de CSG non déductible sur les revenus du travail.
Sur les revenus du capital, la quote-part déductible des prélèvements sociaux a été réduite de 5,8 % à 5,1 % par la loi de Finances 2013 (loi n°2012-1509 du 29 décembre 2012). Par conséquent, sur les 15,5 % de prélèvement sociaux, 10,4 % ne sont pas fiscalement déductibles.
Seul un logiciel adapté permet d’effectuer ces calculs (voir le graphique), mais force est de constater que les dirigeants non salariés ayant un revenu supérieur à 5 Pass (185.160 euros) sont favorisés par ce nouveau dispositif.
… et en deçà.
Ceux dont la rémunération est inférieure à 3 Pass auront intérêt à augmenter la base de leurs dividendes non assujettis.
Par augmentation du capital social :
- apport en numéraire,
- incorporation de réserves,
- apport de titres.
Par apport en compte courant.
Risque d’abus de droit social.
Il nous semble utile que cette réflexion sur le plan « social » se poursuive sur un plan juridique.
Prenons l’hypothèse suivante : une société pour laquelle la base d’exonération des cotisations sociales sur les dividendes est faible (capital faible, compte courant d’associé inexistant...) et dont le gérant souhaite conserver son statut TNS tout en minimisant la base des cotisations sociales prélevées sur les dividendes. La tentation est grande alors de constituer une société en faisant apport des titres de la société préexistante. Cet apport est désormais soumis à un régime de report d’imposition automatique régi par l’article 150-O-B ter du CGI.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé, dans des hypothèses d’opérations d’apport-cession placées sous l’ancien régime du report d’imposition, sur l’existence ou non d’un abus de droit (CE 8-10-2010 n°301934RM-VI-15710 fv ; CE 8-10-2010 n°313139 RM-VI-15715 fv ; CE 3-2-2011 n°329839 RM-VI-15716 fv). De même, le Comité de l’abus de droit a estimé que l’automaticité du sursis d’imposition n’exclut pas l’abus de droit (Avis n°2011-16 ; n°2011-17).
Si l’abus de droit fiscal semble écarté dans l’hypothèse qui nous concerne, il n’est pas certain que, sur un plan social, il en soit de même.
Nous rappelons simplement les dispositions de l’article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale : « Afin d’en restituer le véritable caractère, les organismes mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. »
L’abus de droit fait l’objet d’une sanction dont le montant est fixé à 20 % des cotisations et contributions dues. La charge de la preuve de l’abus de droit relatif aux contributions et cotisations sociales incombe à l’organisme de recouvrement. Toutefois, l’avis du Comité des abus de droit favorable à l’Urssaf inverse la charge de la preuve devant le juge.Bien que la procédure soit plus rare qu’en matière fiscale (LPF article L. 64), il ne serait pas étonnant que cette récente disposition (qui ne concernait alors que les Selarl et Selas) ne soit sous le feu des projecteurs des organismes sociaux.
Il sera bon d’attendre les commentaires des spécialistes de l’abus de droit social pour se faire une idée plus précise du degré de risque que présente une telle opération non motivée par des raisons patrimoniales ou économiques.
De même, il faudra être vigilant quant à la rédaction d’une convention de management fees entre la société mère et la filiale (Cour de cassation du 14/09/2010 n°09-16084). Rappelons qu’une SARL doit être obligatoirement gérée par une personne physique. La mission confiée par la loi au gérant de la SARL-fille ne saurait être confondue avec celle du gérant de la SARL-mère et faire l’objet d’une facturation de celle-ci à celle-là. Il faudrait alors envisager la transformation de la SARL-fille en une SAS dont le président serait la SARL-mère.
SECONDE ÉVOLUTION : HAUSSE DES CHARGES SOCIALES DUES PAR LES TRAVAILLEURS NON SALARIÉS
Travailleur non salarié…
Face à la hausse des prélèvements sociaux touchant les revenus des travailleurs non salariés, face à la hausse de la base de calcul des charges sociales (suppression de l’abattement de 10 %), face aux difficultés calculatoires de l’optimum entre rémunération et dividendes et face à la complexité déclarative au social et au fiscal des dividendes perçus par les dirigeant non salariés exerçant leur activité dans une structure ayant opté pour l’impôt sur les sociétés, grande est la tentation en ce début d’année de basculer dans le régime des travailleurs assimilés salariés.Sur le plan social, à rémunération nette équivalente, un dirigeant non salarié paiera toujours moins de charges sociales qu’un dirigeant assimilé salarié (voir le graphique).
… face à la prévoyance et la retraite.
Mais l’intérêt du statut de travailleur non salarié ne doit pas se résumer dans le montant de ses charges sociales. Il convient également de regarder de plus près les prestations apportées par ces dernières et les contraintes associées aux régimes dits facultatifs comme la prévoyance et la retraite.
Dans un premier temps, la contrainte de collégialité portant sur l’article 83 du CGI ne permet plus, depuis le 01/01/2012, au dirigeant de s’octroyer un dispositif réservé aux cadres dirigeants.L’individualisation de la cotisation et la personnalisation des prestations en fonction de la situation familiale et patrimoniale sont désormais limitées aux dirigeants non salariés dans le cadre fiscal de l’article 154 bis du CGI (loi Madelin).
Par ailleurs, l’article 6 de la loi Evin permet également de rendre viagère l’adhésion à un contrat de prévoyance souscrit dans le cadre fiscal de la loi Madelin. Cette sécurité n’existe pas dans les régimes collectifs, soumis à l’étude annuelle des assureurs, qui en cas de ratio prime/sinistre défavorable peuvent résilier en fin d’année le contrat.
Enfin, si les travailleurs salariés n’ont pas connu de hausse de cotisation aussi violente que les travailleurs non salariés, il est fort probable que les prochains débats attendus sur l’équilibre de l’Agirc, caisse de retraite des cadres, se concluent par une hausse de la cotisation. Par conséquent, l’écart de charges sociales entre les deux statuts risque à nouveau de repartir à la hausse à la faveur du dirigeant non salarié.
Option pour le statut de salarié.
Malgré tout, certains dirigeants et leurs conseils opteront pour un statut de salarié.
Pour cela, envisageons les différentes pistes qui ne manqueront pas d’être étudiées par les gérants et leurs conseils.
Cogérance égalitaire
1) Les deux cogérants (détenteurs chacun de 50 % des titres) décident qu’un seul d’entre eux sera désormais gérant, ce qui aboutit à les placer tous les deux sous le régime général des salariés. Cette apparente simplicité dans la résolution d’une problématique sociale ou fiscale ne doit pas faire perdre de vue certains aspects juridiques :
- En cas de pluralité des gérants, chacun d’eux peut faire tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société et dispose des mêmes pouvoirs que s’il était gérant unique ; l’opposition formée par l’un d’eux aux actes de son ou de ses collègues est sans effet à l’égard des tiers, à moins qu’il ne soit établi que ces derniers ont eu connaissance de celle-ci.
- Dans ses rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour représenter la société et agir en son nom en toute circonstance, sans avoir à justifier de pouvoirs spéciaux.
- La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet. Ainsi la démission d’un gérant devra être précédée d’une réflexion sur les pouvoirs du gérant unique et une limitation statutaire de ces pouvoirs entre associés (actes de conservation, d’administration et de disposition), limitation non opposable aux tiers cependant.
2) Les deux cogérants souhaitent exercer des fonctions de direction et conserver leurs prérogatives politiques. La SAS sera la forme sociale à privilégier lors de la transformation de la SARL. L’un des associés exercera la fonction de président. L’autre associé sera désigné directeur général. Aucune disposition légale ou réglementaire ne détermine l’étendue des pouvoirs des dirigeants de SAS autres que le président. Ces pouvoirs doivent donc être fixés avec précision dans les statuts. Ils peuvent conférer au directeur général le même pouvoir général de représentation de la société à l’égard des tiers que celui attribué par la loi au président art. L. 227-6, al. 3.
Attention : le directeur général doit être mentionné au RCS (Cour Cass. ch. mixte 19-11-2010 n°10-10.095 et Cass. ch. mixte, 19-11-2010 n°10-10.095 et 10-30.215 : 10-30.215RJDA 1/11 n°56, 1e et 2e espèces). Il sera utile de reprendre les dispositions applicables aux SARL sur la possibilité pour l’un des dirigeants de s’opposer aux actes de l’autre.
Gérance unique et majoritaire
Le passage en SAS sous forme pluripersonnelle ou unipersonnelle, selon le cas, sera l’option prise. En cas de SAS pluripersonnelle, il faudra une grande vigilance dans la rédaction des statuts (pouvoirs du président, majorité pour la validité des décisions en assemblée générale…).Attention, les régimes matrimoniaux peuvent s’inviter à la table des statuts.
L’époux titulaire de droits sociaux non négociables constituant des biens de communauté ne peut, sans son conjoint, ni les céder, ni percevoir les capitaux provenant de la cession (C. civ. art. 1424 Code civil, article 1424). Cass. 1ère civ. 9-11-2011 n°10-12.123 : RJDA 2/12 n°142 C. civ. art. 217, al. 1. Les sociétés commerciales dont les titres ne sont pas négociables sont les SARL, les SNC et les sociétés civiles. Cet article prime la clause statutaire dispensant d’agrément les cessions entre associés.
La clause d’agrément prime généralement la clause de préciput. Dans une société dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, la cession d’actions peut être soumise à l’agrément de la société par une clause des statuts. Une clause d’agrément ne peut être stipulée que si les titres sont nominatifs en vertu de la loi ou des statuts. Cette clause est écartée en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant (Code de commerce, article L. 228-23). Ce texte ne s’applique pas aux SARL et SNC.
De même, les donations de parts sociales doivent revêtir la forme authentique (Code civil, article 931), à peine de nullité. Alors qu’il est admis, sur un plan civil, les dons manuels d’actions.Enfin, le statut social du dirigeant de SAS pourrait également connaître des évolutions prochaines. Si l’on regarde de plus près la circulaire n°DSS/5D/2010/315 du 18 août 2010, force est de constater que les dirigeants de Selas, équivalent des SAS pour les professions libérales réglementées, ne sont pas épargnés par l’assujettissement de leurs dividendes aux charges sociales. La contagion aux dirigeants de SAS est-elle proche ?
Conclusions.
L’ordre établi n’est pas modifié. Sauf cas particuliers ou considérations psychologiques, le statut de travailleur non salarié restera le statut à privilégier en 2013.Seuls les gérants majoritaires ayant une rémunération inférieure à 3 Pass oublieront jusqu’à nouvel ordre la perception de dividendes et opteront en cas de marge bénéficiaire pour une prime de gérance de fin d’exercice.
Pour les autres, et malgré les difficultés déclaratives que risque d’engendrer l’assujettissement des dividendes aux charges sociales, des changements de statuts effectués dans la précipitation, sans aucun calcul préalable, peuvent avoir des effets collatéraux préjudiciables que les professionnels du conseil ne peuvent occulter.
(1) Expert judiciaire, conseil et formateur en stratégie patrimoniale, enseignant au mastère « Ingénierie patrimoniale du dirigeant », Euromed Management.
(2) Expert conseil sur la rémunération et ses périphériques, professeur au mastère spécialisé « Ingénierie patrimoniale du dirigeant », Euromed Management, formateur auprès des experts-comptables et des réseaux d’assurance.