Immobilier

Mobiliser l'actif résidentiel pour rendre son patrimoine plus liquide

Le recours au crédit viager hypothécaire devrait diminuer la vulnérabilité des personnes âgées dans les pays riches en patrimoine et pauvres en revenus - En pratique, pour des raisons différentes, les ménages comme les banquiers freinent l'émergence d'un instrument qui reste, pour l'heure, un produit de niche.

Incriminé de toutes parts, du projet de loi pour l'Accès au logement et un urbanisme rénové(Alur) au rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les coûts de production en France, l’immobilier ne cesse d’être pointé du doigt pour ses prix trop élevés. Analysé en tant que bien d’usage financé par le revenu disponible, le logement est plus rarement observé en tant qu’objet d’épargne. Et pourtant. Le poids de l’immobilier dans le patrimoine des Français (logement et terrains bâtis représentaient en 2011 selon les comptes de la nation, 60,8 % du patrimoine brut des ménages), est extrêmement important (voir le graphique).

L'Observatoire européen de l'épargne (OEE), à la lumière d'une étude menée par Elsa Fornero, ancienne ministre du Travail, des Affaires sociales et de l’Egalité des chances (de novembre 2011 à avril 2013) en charge de la réforme des retraites et du marché du travail en Italie, et Mariacristina Rossi, de l'Université de Turin, s'est posé la question en ces termes : les ménages sont-ils trop investis en immobilier ? Autrement dit, le logement est-il un obstacle au lissage de la consommation dans le temps ? La recherche porte sur les moyens de rendre le patrimoine des ménages plus liquide, notamment sur le crédit viager hypothécaire, plus connu sous sa dénomination anglo-saxonne de reverse mortgage (1). 

Immobilier, actif illiquide.

Sur le plan des flux, l'augmentation des prix immobiliers nuit, selon certains observateurs, à l'équilibre financier des ménages mais aussi à la compétitivité du pays puisqu'elle exerce une pression à la hausse sur les salaires qui, dans une économie ouverte, se répercute sur la capacité d'un pays à bénéficier d'un avantage concurrentiel (lire page 22).

Sur le plan des stocks, la question de la place du logement se pose en termes de gestion du cycle de vie : les revenus diminuant à l’âge de la retraite, les ménages vont devoir consommer le capital accumulé tout au long de leur vie active. Mais si ce capital n'est constitué que d’immobilier, peu liquide par nature, il est difficilement mobilisable – le manque d'éducation financière serait à l'origine d'une composition biaisée du patrimoine en faveur d'actifs illiquides. « C'est ainsi que, paradoxalement, des couches croissantes de la population, par une mauvaise allocation de leurs ressources, tombent sous le seuil de pauvreté alors même qu’elles disposent d'un patrimoine important », explique Didier Davydoff, directeur de l'OEE.

La rationalité économique voudrait que « la retraite soit le point de départ d'une décumulation du patrimoine » en réduisant la surface du logement devenu trop grand ou en transformant celui-ci en capital financier – le propriétaire devenant ainsi locataire. Mais cette vision, qui se veut optimale, se heurte à des freins psychologiques extrêmement forts et n'est pas partagée par le plus grand nombre. Un comportement qui devient problématique à partir du moment où « la collectivité doit compenser la réticence des individus à mobiliser leur capital – les aides publiques sont en général liées au revenu disponible des personnes âgées alors qu'elles devraient également tenir compte du patrimoine pour mesurer le niveau de vie ».

Le crédit viager hypothécaire avancé comme solution...

S'intéressant aux instruments financiers qui permettraient de liquider tout ou partie du patrimoine immobilier, l'étude menée en Italie a engagé une réflexion autour du crédit viager hypothécaire. Le principe consiste, pour un particulier, à contracter un emprunt remboursable in fine au moment de son décès ou d'un déménagement pouvant se matérialiser sous la forme d'un capital ou d'une rente fixe ou à vie, et à donner son logement en garantie à une banque tout en en conservant l'usage. Les héritiers décident de conserver ou non le bien, la dette étant plafonnée à la valeur du logement au moment du remboursement.

Les auteurs en déduisent que « la conversion du capital logement en rentes générerait une baisse significative du taux de pauvreté et que le recours au crédit viager hypothécaire diminuerait la vulnérabilité des personnes âgées, en particulier dans les pays riches en patrimoine et pauvres en revenus ».

... se heurte aux réticences des ménages...

Encore une fois, la théorie se trouve confrontée à la réalité des faits. Les ménages affichent de très grandes réserves à utiliser ce type de produits. Didier Davydoff reprend les termes de l’étude d’Elsa Fornero : « Il se trouve que ce sont les populations qui auraient le plus intérêt à y recourir – les femmes âgées, souvent veuves car leur espérance de vie est plus élevée que celle des hommes – qui sont les plus réticentes. » Parmi les raisons de cette opposition, l'attachement affectif des particuliers à leur logement et leur aversion à l'endettement – alors même que la charge du remboursement incombera aux héritiers s’ils souhaitent garder le logement – mais pas seulement.

« La situation actuelle n’est pas totalement prévue par la théorie du cycle de vie, qui ne prend pas en compte la problématique du grand âge et ses incertitudes sur les dépenses », explique Didier Davydoff. En cas de déménagement pour des raisons de santé, si l'emprunteur, ayant besoin de liquidités pour payer une maison médicalisée par exemple, doit vendre son logement, il devra aussi rembourser son crédit (principal et intérêts). Il ne lui restera alors, au mieux, que la valeur résiduelle de celui-ci. 

... et des prêteurs.

Mais les ménages ne sont pas les seuls à garder des distances avec le produit. Les banques ne se bousculent pas entre elles. En France, le Crédit Foncier est le seul à offrir ce produit. D’après les professionnels, en l'absence d'une garantie étatique comme celle qui est apportée aux Etats-Unis par la Federal Housing Administration (FHA), ce produit ne peut être utile aux ménages modestes car les risques à gérer (les risques de longévité, de dénouement avant décès, de taux ou de dépréciation du prix du bien, leur combinaison constituant le risque de dépassement) semblent trop lourds à appréhender pour être acceptés par les prêteurs. Et cette difficulté pèse sur le montant de la somme qui peut être versée au particulier et sur le taux du crédit.

Bernard Vorms, directeur général de l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil), coauteur du rapport rendu au gouvernement en 2004 à l'origine de la création du produit en France en mars 2006, juge que la société de gestion du Fonds de Garantie de l'Accession Sociale à la propriété (FGAS) dont il est également président, aurait pu jouer ce rôle. Pour l'heure, l'instrument financier résulte d'un mécanisme purement de marché comme c'est le cas au Royaume-Uni.  

Un produit de niche.

D'après Bernard Vorms, le prêt viager hypothécaire pourrait connaître son apogée lorsque les baby-boomers atteindront 75 ans (soit dans une quinzaine d'année). « Mais cela reste un produit de niche qui ne peut constituer une réponse aux problèmes qui résultent de l’évolution de la pyramide des âges et n'a vocation à résoudre ni la question des retraites, ni celle de la dépendance », explique-t-il.  

(1) Ne pas confondre le crédit viager hypothécaire avec la vente en viager (lireL'Agefi Actifs n°564, p. 13), qui résulte d'une transaction entre personnes physiques et pour laquelle le risque de longévité est pris directement par l'acheteur.

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