Droit de la famille

Mariage et Pacs : pour une remise en perspective

Le Pacs offre aux couples homosexuels un mode d’union comparable au mariage, posant même la question de son devenir.
Au fil des réformes, le mariage a démontré sa capacité d’adaptation, jusqu’à organiser la cellule familiale désormais plurielle.
Bruno Levy/divergence-images., Nathalie GESSEY, Benoit DELESALLE, Johanne LOTZ, notaires, commission Famille du 113e congrès des notaires de France

Dès son adoption, le Pacte civil de solidarité (Pacs) a été marqué par une forte attraction du mariage en raison de l’objectif non assumé que lui a assigné le législateur : offrir aux couples homosexuels un mode d’union comparable au mariage. Aussi le Pacs, malgré son caractère contractuel, produit des effets personnels inhérents à sa conclusion, peu importe le régime choisi par les partenaires. Depuis son entrée en vigueur, le Pacs a connu des évolutions confirmant son rapprochement avec le mariage. Parallèlement, le mariage poursuit son évolution et accueille toutes les familles. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe pose la question du devenir du Pacs, jusqu’alors conçu comme « substitut » du mariage pour les couples homosexuels. Ces deux modes de conjugalité viennent parfois se confondre, tout en marquant leurs différences sur des notions qui paraissent fondamentales (partie I). Faut-il alors poursuivre le rapprochement du Pacs avec le mariage ou au contraire, affirmer sa différence en soulignant la hiérarchie des modes de conjugalité (1) ? Classiquement, le mariage est considéré comme une institution socle de la famille et de la société, dont l’un des fondements essentiels est la notion de durabilité. On se marie « pour le meilleur et pour le pire ». Force est de constater que mariage et durabilité du lien ont fait long feu. Le divorce n’a plus à prouver son succès, si bien que le divorce sans juge a fait son entrée dans notre droit pour désengorger les tribunaux et permettre aux couples de se séparer le plus vite possible. Mais alors, que reste-t-il du mariage s’il n’est plus une institution structurante de la société basée sur une notion de durée ?

Le mariage est historiquement le temple de la famille, puisque celle-ci se crée à partir du couple qui choisit de se promettre longue vie. Mariage et filiation sont ainsi intimement liés. Si cette assertion a été peu à peu nuancée, elle reste néanmoins toujours exacte. C’est ainsi que la présomption de paternité n’existe que dans le mariage.

Pour autant, la filiation existe bien évidemment en dehors du mariage. Souvent même, elle lui préexiste. Elle est un lien indéfectible indépendant du lien de conjugalité. Dès lors, la pérennité du lien de filiation dépassant la fragilité du lien conjugal, faut-il appeler à la reconnaissance d’un régime unique du droit de la filiation, indépendant du mode de conjugalité, ou au contraire, faut-il replacer la famille dans le mariage, vu comme une protection ? Au gré de nos réflexions (2), il nous est apparu que le mariage a su, au fur et à mesure des réformes successives, démontrer sa capacité d’adaptation à toutes les familles et d’organisation de la cellule familiale désormais plurielle, si bien qu’il semble promis à un avenir heureux (partie 2).

I - Mariage et Pacs : une fausse ressemblance

Si chaque mode de conjugalité a sa logique propre – institution pour le mariage, contrat de vie commune pour le Pacs, non-droit pour le concubinage –, des éléments de confusion entre mariage et Pacs jalonnent le régime juridique de ces deux modes de conjugalité, alors même que la différenciation avec le concubinage est claire et ne pose pas de difficultés. Ces signes de confusion sont constatés tant au moment de la formation du lien que pendant le cours de l’union ou au moment de sa dissolution.

1. La conclusion de l’union se rapproche dans ses modalités, puisque la loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle est venue transférer à l’officier de l’état civil la compétence de l’enregistrement du Pacs, presqu’à l’image du mariage. Depuis le 1er novembre 2017 (3), les partenaires lui présentent l’original de leur convention sous seing privé qu’il enregistre et à laquelle il donne effet (4).

2. Pendant le cours de l’union, comme les couples mariés, les partenaires se voient appliquer un régime primaire et un régime légal.

La loi du 23 juin 2006 a instauré entre les partenaires un régime primaire semblable à celui des couples mariés. Pour exemple, les partenaires se doivent une « aide matérielle » proportionnelle à leurs facultés respectives et « une assistance réciproque » (5). Cette expression n’est pas sans rappeler l’obligation pour les époux de contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives prévue à l’article 214 du Code civil. L’article 515-4 alinéa 1er du Code civil prévoit également la solidarité des partenaires pour les dettes liées aux besoins de la vie courante. Cette disposition est inspirée de l’article 220 du Code civil prévoyant la solidarité des dettes ménagères entre époux. L’emploi de termes proches, mais non similaires, dans les textes du régime primaire impératif des époux et dans ceux applicables aux partenaires, ajoute à cette confusion.

Comme dans le régime primaire entre époux, le Pacs prévoit à l’égard des tiers une présomption de pouvoir en matière mobilière (6). Notons que la présomption de pouvoir en matière bancaire existant entre époux n’a pas été transposée aux partenaires. Il ne faut pas y voir une volonté de singulariser le Pacs par rapport au mariage, mais davantage une illustration du fait que la présomption bancaire n’est qu’une application particulière de la présomption mobilière, laquelle a pu alors apparaître comme suffisante entre partenaires. Le régime primaire du Pacs s’assimile à celui du mariage tout en étant plus restreint, puisqu’il est en réalité limité au couple, et ne tient pas compte de la famille. Aussi, le législateur n’a pas prévu d’équivalent à l’article 213 du Code civil, qui prévoit que les époux assurent la « direction morale et matérielle de la famille » et qu’ils « pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».

Un régime légal est organisé tant pour les époux que pour les partenaires. Ils disposent de la possibilité de conclure un contrat de manière à déroger à ce régime légal et adopter un régime conventionnel. Au cours de l’union, le régime choisi peut faire l’objet de conventions modificatives.

L’actualité vient alimenter encore le rapprochement entre le mariage et le Pacs. En effet, jusqu’à présent le Pacs était soumis à une loi unique, celle de l’autorité enregistrante, pour sa formation et son régime, en présence d’un élément d’extranéité (7). Depuis l’adoption du règlement européen en matière de partenariats, applicable à compter du 29 janvier 2019, il est permis de dissocier pour les partenaires, comme pour les époux, entre la loi régissant les règles de formation du contrat et celle visant ses effets patrimoniaux. Enfin, les empêchements à Pacs sont proches de ceux du mariage sans y être totalement assimilés (8).

3. La rupture : la loi « J21 » du 19 novembre 2016, en consacrant la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel, vient renforcer le caractère contractuel du mariage en affaiblissant sa dimension institutionnelle qui justifiait jusqu’alors le contrôle du juge lors de la rupture.

Mariage et Pacs confèrent à leurs « contractants » un régime juridique marqué d’ordre public à des degrés différents et sont tous deux à ce titre qualifiés d’institutions. Aujourd’hui, les modalités de dissolution de ces deux modes de conjugalité convergent dans le sens d’un recul du juge et donc de l’État dans le contrôle de la rupture, laissant aux parties la « liberté » d’organiser leur séparation, alors que dans le même temps le Pacs, désormais « célébré » devant l’officier d’état civil (9), entre officiellement dans le temple du mariage. Le caractère institutionnel du mariage cède le pas au contrat dans les modalités de sa rupture alors que le caractère institutionnel du Pacs est renforcé au moment de sa conclusion. En vérité, il semble tout de même que malgré les profondes mutations que le mariage a connues, ou plutôt grâce à elles, il a démontré sa grande capacité d’adaptation à l’évolution du couple et des familles.

II) La capacité d’adaptation du mariage

Au-delà de sa qualification de contrat ou d’institution, de ses modalités de rupture, le mariage a montré sa capacité de s’adapter à toutes les familles, y compris recomposées ou homosexuelles. Il leur offre un cadre leur permettant de concilier les exigences du couple et de la famille.

1. Filiation et mariage : Aussi, en matière de mariage, l’établissement de la filiation maternelle entraîne automatiquement l’établissement de la filiation paternelle par le jeu de la présomption de paternité. Cette règle est spécifique au mariage et correspond à sa fonction initiale.

De même, l’adoption par deux personnes est réservée aux couples mariés, de sexe différent ou de même sexe. L’adoption de l’enfant du conjoint connaît un régime spécifique, dérogatoire au droit commun de l’adoption. Elle est réservée aux couples mariés (10), ce qui permet aux familles recomposées de créer un lien de filiation supplémentaire et ainsi de concrétiser la naissance d’une nouvelle famille (11). C’est ainsi que par exemple, en cas d’adoption de l’enfant du conjoint12, la différence d’âge entre l’adoptant et l’adopté, doit être de dix ans (et non de quinze ans comme pour une adoption du régime commun) (13). Et par exception, il n’y a ni condition d’âge minimum pour les adoptants ni de durée minimum du mariage (14). A l’inverse, aucun régime spécifique n’est prévu en cas d’adoption de l’enfant du partenaire : c’est alors le droit commun de l’adoption qui s’y applique. Ce qui a pour conséquence que l’adoption simple ou plénière de l’enfant mineur du partenaire produit des effets inadaptés, qui la condamnent. Le mariage accueille en son sein toutes ces nouvelles familles pour leur offrir un cadre protecteur au-delà de sa dimension traditionnelle. Il offre aux époux de nombreuses protections, souvent bien supérieures à celles offertes aux partenaires.

2. Logement et mariage : Le logement du couple bénéficie d’un statut protecteur quel que soit le mode de conjugalité. Néanmoins, le degré de protection est variable selon le mode de conjugalité choisi. Pour exemple, l’article 215 alinéa 3 du Code civil imposant à l’époux propriétaire du logement de la famille de requérir le consentement de l’autre pour tout acte d’aliénation n’a pas été étendu aux partenaires. Quant au droit temporaire au logement, il est d’ordre public pour les époux (15), alors que le partenariat prévoit la possibilité de l’évincer par testament, même olographe (16). Impérative pour les époux, cette protection est alors supplétive pour les partenaires.

Le législateur n’a pas souhaité aller jusqu’à la reconnaissance d’un droit viager au logement au bénéfice du partenaire, ce qui est conforme à la nature du Pacs, qui reste un contrat de vie commune sans vocation successorale.

Quant à la cotitularité du bail d’habitation de l’article 1751 du Code civil, elle a été étendue aux partenaires par la loi Alur, sous réserve de sa notification préalable au bailleur. Automatique pour les époux, cette protection est alors entre partenaires soumise à une manifestation de leur part. Les concubins bénéficient uniquement d’une protection prévue par la loi de 1989 (17) en cas d’abandon ou de décès du titulaire du bail (comme les époux et les partenaires).

3. Conventions matrimoniales et mariage : La dimension contractuelle du mariage en tant que convention matrimoniale rend l’institution très riche. Aussi, le contrat de mariage accueille de multiples aménagements, fruit de conventions passées entre les époux. Ces dernières ont pour seule limite l’ordre public et les bonnes moeurs. Après deux ans de mariage, une modification est possible, témoin de l’évolution du couple, mais suivant la procédure propre au changement de régime matrimonial. Elles sont encadrées, car les relations patrimoniales du couple peuvent affecter les enfants et les créanciers, malgré une facilité de mise en œuvre.

À l’inverse, le Pacs, dont le caractère contractuel est affirmé, semble de manière paradoxale plus réticent à accueillir la liberté contractuelle. Si les partenaires peuvent au cours du Pacs procéder à des conventions modificatives qui ne font l’objet d’aucun contrôle, le contenu de la convention semble ne pas être libre. Aussi, les partenaires ne sauraient élargir le domaine de l’indivision lorsqu’ils ont décidé de se soumettre à ce régime.

Autre élément de comparaison, la procédure de changement de régime matrimonial tient compte de l’intérêt de la famille, soit par la notification faite aux enfants majeurs, soit par l’appréciation du juge chargé de l’homologation, alors que l’intérêt de la famille n’est pas pris en compte en matière de Pacs, qui ne connaît nullement cette notion.

4. Vocation successorale et mariage : Des différences fondamentales demeurent quant aux outils de transmission en faveur du survivant.

En premier lieu, au niveau du couple, aucune vocation successorale n’a été reconnue au partenaire survivant alors que les droits du conjoint survivant ont connu une promotion importante. L’égalité fiscale en matière de droits de mutation entre les partenaires et le conjoint survivant n’a pas son pareil en matière civile.

En second lieu, le mariage reste le seul mode de conjugalité permettant de grever la réserve des descendants d’un usufruit universel au profit du conjoint survivant, assurant par là son rôle historique de cadre de la famille, désormais plurielle. La spécificité du lien matrimonial justifie également qu’il soit le seul à autoriser la donation entre époux et la stipulation d’un avantage matrimonial au sein du contrat de mariage. Il permet également de consentir une donation-partage conjonctive dans laquelle un enfant non commun pourra être alloti en bien propre de son auteur ou en biens communs sans que le conjoint de son auteur ne soit codonateur des biens communs (18).

Enfin, le Pacs ne donne pas ouverture à la pension de réversion au profit du survivant, à l’inverse du mariage.

5. Conséquences de la rupture et mariage : La rupture du mariage tient compte de la nature particulière de l’union, et vient fixer une prestation compensatoire, ce que n’autorise pas le Pacs.

Le mariage, au fil des réformes successives et des évolutions de la société, est devenu le cadre légal de toutes les familles et a su démontrer sa capacité d’adaptation. Si certains en déduiront un affaiblissement de l’institution, nous pensons au contraire qu’il peut maintenir son rôle structurant de la famille, à la condition toutefois que cesse le rapprochement avec le Pacs. Ce dernier, plutôt que de constituer un substitut au mariage, qu’il n’est plus (depuis l’ouverture aux couples de même sexe), devrait offrir une alternative auprès des couples de concubins qui souhaitent une organisation contractualisée de leur relation de couple.

(1) V. Rapport Filiation, origines, parentalité : Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, I. Théry et A.-M. Leroyer, avril 2014
(2) Rapport du 113e congrès des notaires de France, Comm. 1 #Familles p.3 et suite
(3) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, art.48.
(4) J. Combret et N. Ballion-Wirtz, Le transfert aux officiers de l’état civil de l’enregistrement du pacte civil de solidarité, JCP N n°21, 26 mai 2017, act. 570.
(5) C. civ., art. 515-4 al 1
(6) C. civ., art. 515-5 al. 3
(7) C. civ., art. 515-7-1.
(8) Rapport précité p.75 et suite
(9) Cf supra. C’est en tout cas le sentiment que les partenaires pourront en avoir.
(10) Pour exemple, l’adoption plénière de l’enfant du partenaire n’est pas possible en raison de ses conséquences : elle rompt le lien de filiation entre l’enfant et son auteur.
(11) En revanche, en ce qui concerne la PMA, le mode de conjugalité est indifférent, la seule interdiction concerne les couples de même sexe.
(12) Selon les règles du droit commun de l’adoption, en cas d’adoption par une personne seule, il faudra que l’adoptant soit âgé de vingt-huit ans au moins et que la différence d’âge entre l’adoptant et l’adopté soit de quinze ans  (C. civ., art. 343-1).
(13) C. civ., art. 344 par renvoi de l’article 361 du même code ; sauf justes motifs (C. civ., art. 344, al. 2).
(14) C. civ., art. 343-2 par renvoi de l’article 361 du même code.
(15) C. civ., art. 763.
(16) C. civ., art. 515-6 al.3
(17) Art. 14 loi du 6 juillet 1989.
(18) C. civ., art. 1076-1.