Loyers impayés et Covid-19 : la justice a donné raison aux bailleurs

La Cour de cassation a écarté avec trois arrêts rendus le même jour la perte de la chose louée, l'inexécution de l'obligation de délivrance et la force majeure, soit les arguments des preneurs à bail commercial.

Une trentaine de pourvois étaient en souffrance. La Cour de cassation ne pouvait plus attendre pour trancher sur le sort des loyers commerciaux impayés pendant la fermeture des locaux commerciaux en raison de la pandémie. Ce qu'elle a fait lors de trois arrêts rendus simultanéments le 30 juin - dont les pourvois avaient été examinés prioritairement pour leur intérêt - rejetant à chaque fois les prétentions des preneurs. 

«La mesure générale et temporaire d'interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d'une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance, écrit la Cour dans un communiqué. Un locataire n’est pas fondé à s’en prévaloir au titre de la force majeure pour échapper au paiement de ses loyers.»

Coup dur pour les locataires de commerces considérés comme non-essentiels qui ont subi l'interdiction générale d'accueillir du public lors du premier confinement et décidé en retour de suspendre le paiement des loyers. Comme l'indiquait une note de Bercy versée au débat, jusqu'à 45% des établissements du commerce de détail ont été fermés à cette période pour des montants de loyers et charges locatives immobilisés dépassant les trois milliards d'euros.

Un confinement non imputable aux bailleurs

 «Les mesures prises par les autorités publiques pour lutter contre la propagation de la Covid-19 n’ont pas écarté l’application du droit commun de la relation contractuelle», considèrent les juges du droit. Ce faisant, plusieurs pans du Code civil ont été invoqués par les défendeurs qui s'estimaient légitimes à suspendre le paiement de leurs loyers : 
- la perte partielle de la chose louée, caractérisée par l'impropriété des lieux pendant la période concernée. La Cour de cassation répond que l'interdiction d'accès du public était générale et temporaire, avait pour seul objectif de préserver la santé publique, sans lien direct avec la destination du local prévue par le contrat et donc non imputable aux bailleurs. 
- le manquement à l'obligation de délivrance et à la jouissance paisible des lieux loués entraînant l'application du mécanisme de l'exception d'inexécution. Là encore, la Cour se réfère à la mesure générale de police administrative, «non constitutive d'une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance».
- la force majeure, soit le confinement empêchant le débiteur d'exécuter son obligation, qui ne pouvait être prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne pouvaient être évités par des mesures appropriées. Les juges rappellent que le locataire, créancier qui n'a pu profiter de l'obligation de délivrance de la chose louée, n'était pas fondé à invoquer à son profit la force majeur car le créancier qui n'a pu profiter de la contrepartie ne peut s'en servir pour obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation. 
- la mauvaise foi lors de l'exécution du contrat, caractérisée par le refus du bailleur de différer un loyer dû pendant le confinement en pratiquant directement à sa levée une mesure d'exécution forcée «sans tentative préalable de renégociation du contrat pour l'adapter aux circonstances, autre qu'une proposition de report d'un mois de loyer sous la forme d'un commandement de payer». Pour la Cour de cassation, le bailleur a «souverainement» tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi. 

Condamnation d'un gestionnaire de résidence services

L'une des décisions (1) concernait spécifiquement les résidences de tourisme, pour lesquelles les loyers dus pendant la crise sanitaire ont fait l'objet d'âpres négociations entre propriétaires bailleurs et gestionnaires. Dans l'emblêmatique cas de Pierre & Vacances, les premiers avaient accepté de s'assoir sur plusieurs mois de loyers en échange du versement d'autres. La condamnation franche et sans détour d'Odalys résidences pourrait faire des émules chez les propriétaires qui n'ont pas encore cédé à ce type d'accord.

(1) Troisième chambre civile, 30/06/2022, pourvoi n° 21-20.127