
Lorsque les CGP accompagnent les personnes vulnérables
Depuis l’entrée en vigueur de la réforme de la protection juridique des majeurs, le 1er janvier 2009, la tutelle est devenue un marché bien plus structuré offrant aux conseillers patrimoniaux une opportunité de développer la partie conseil de leur activité, source d’honoraires.
« Certains de nos partenaires CGPI commencent à réfléchir à cette opportunité de développement. CNP assurance peut leur apporter, outre la crédibilité d’une entreprise du groupe Caisse des dépôts, le support d’une ingénierie patrimoniale, d’un conseil juridique et d’une gamme de solutions adaptées », indique Gilles Chéreau, responsable commercial des partenariats CGPI de CNP Assurances. Christelle Abatut, associée gérante de Tocqueville Conseil et membre de la Financière du Carrousel, fait le même constat : « Quelques CGP sont venus me rencontrer car ils souhaitaient se lancer dans cette activité. » Aujourd’hui, ce sont souvent les banques qui captent ce type de clientèle, alors même que certains des interlocuteurs ne seraient pas suffisamment avertis sur la matière, ou quand bien même celles-ci prodigueraient des conseils peu personnalisés.
Mais pour l’heure, peu de CGP conseillent les majeurs protégés et leur tuteur. Le marché reste concentré dans les mains de quelques acteurs qui en ont fait leur spécialité. Quelles en sont les raisons ? Et quelle stratégie adopter pour conquérir cette clientèle que sont les MJPM et les tuteurs familiaux ?
Une matière...
La première raison expliquant que peu de CGP se soient lancés dans la conquête d’une clientèle bénéficiant d’une mesure de protection est que la matière nécessite des connaissances particulières. Rappelons tout d’abord que c’est la seule catégorie de clientèle pour laquelle la loi fixe un profil de risque : la gestion devra être prudente, diligente et avisée. Les produits préconisés seront ainsi principalement de type sécuritaire (1).
Ensuite, le CGP devra savoir qui possède la capacité d’exécuter un acte patrimonial donné sachant que certains – tels que la vente du logement ou l’ouverture d’un compte bancaire – nécessiteront d’attendre l’accord du juge des tutelles pour pouvoir être diligentés par le tuteur.
Le conseiller patrimonial devra aussi savoir assister le tuteur familial dans la rédaction du compte de gestion. Les conditions de ressources pour l’obtention des allocations et l’aide sociale sont également des mécanismes que le CGP devra maîtriser, ainsi que le rappelle Frédéric Hild, conseil en gestion de patrimoine spécialisé dans le handicap et gérant de Jiminyconseil (lire l’encadré).
… et des interlocuteurs particuliers.
La seconde difficulté à laquelle se confrontent les CGP qui souhaitent développer leur portefeuille de clients majeurs protégés, ce sont les tuteurs, leurs interlocuteurs. Qui sont-ils ? Pour moitié, ce sont des membres de la famille de la personne vulnérable. Il est donc difficile de s’en approcher, sauf à être recommandé. « J’ai quelques tuteurs familiaux parmi ma clientèle, ces derniers étant apportés grâce à la banque privée d’Oudart à laquelle j’appartiens », illustre Marc Schmitt, directeur général de Solidia. Frédéric Hild, quant à lui et au regard de sa spécialité – les personnes handicapées –, compte une majorité de tuteurs familiaux parmi sa clientèle. L’autre moitié sont les MJPM, des professionnels à qui le juge des tutelles peut confier des mesures de protection d’une personne vulnérable telles qu'une tutelle ou une curatelle.
Le métier de MJPM a profondément changé en 2007, la loi sur les tutelles l’ayant professionnalisé. Alors qu’ils n’étaient contraints à aucune formation, ils doivent désormais obtenir le Certificat national de compétence (CNC) pour pouvoir exercer (2). Cette refonte profite aux CGP qui vont avoir à faire à des gérants mieux organisés. Il existe trois types de mandataires : les associations, les privés libéraux et les préposés d’établissements sanitaires ou médicaux sociaux. Il reste que les MJPM n’ont pas encore achevé leur organisation, une meilleure structuration de la profession favoriserait cependant les rapprochements avec les CGP (lire l’encadré).
Délivrer de l’information et de la formation...
En attendant, les CGP spécialisés dans la tutelle s’adaptent à la nouvelle organisation du métier de MJPM. Et pour s’en approcher, l’un des meilleurs moyens est de leur délivrer de l’information. Certains vont ainsi dispenser le cours de « gestion administrative et budgétaire » ou « gestion fiscale et patrimoniale » au sein d’un enseignement de CNC, à l’instar de Christelle Abatut. Des conférences peuvent également être faites au sein des associations tutélaires. D’autres écrivent des ouvrages, tels que le conseiller en gestion de patrimoine Henri Vincent, gérant d’Excelsius Conseil, le cabinet JD Delestre et La Curatélaire (lire l’encadré). Cette démarche pédagogique est très appréciée des MJPM.
… et arriver à insérer un réseau.
Pour faciliter l’entrée des professionnels du patrimoine dans cette sphère particulière, le site internet « Tutelle au quotidien » (lire l’encadré) organise des petits déjeuners afin que, notamment, les avocats, les CGP, les commissaires-priseurs ou les généalogistes rencontrent les MJPM. « Ces rencontres fonctionnent particulièrement bien pour les CGP et les avocats », observe Ludovic Cheval, fondateur de la plate-forme web qui informe et fournit des outils aux tuteurs et curateurs, tant familiaux que professionnels.
En outre, récemment, l’un des acteurs de la gestion patrimoniale des personnes sous tutelle a souhaité marquer sa présence sur le marché en créant la première convention nationale des intervenants de la tutelle, Abripargne, composée de deux journées de formation et de réflexion sur le patrimoine des personnes vulnérables à destination des MJPM, un événement qui s’ouvrira davantage aux CGP en 2015 (lire l’encadré).
Par ailleurs, Olivier Chomono développe depuis 2011 un réseau d'affiliés au sein de son cabinet de conseil en stratégie patrimoniale à destination des personnes vulnérables, La Curatélaire (lire l’avis d’expert).
CGP spécialisés.
Parmi les acteurs présents aujourd’hui sur ce secteur, on peut citer Avenis Tutelle situé à Limoges, Loïc de Pallières pour la structure FEI située à Combs-La-Ville, Christelle Abatut, associée gérante de Tocqueville Conseil et membre de la Financière du Carrousel, située à Niort. Il y a également Solidia, une structure de gestion privée spécialisée dans la tutelle du groupe Oudart. Marc Schmitt, son directeur général, confie : « Il faut avant tout éviter d’être un vendeur de produits. Nous avons une vraie valeur ajoutée en comparaison des banques car nous individualisons notre conseil, ceci notamment avec l’aide des services de l’ingénierie patrimoniale d’Oudart. Mes clients sont essentiellement les associations tutélaires. Il faut savoir qu'il y en a une ou deux par département. »
JD Consultant, situé à Nice, est présidé par Jacques Delestre. La structure existe depuis dix ans, comporte une clientèle exclusivement composée de MJPM et dispense des formations auprès de 300 personnes chaque année. Quant à Henri Vincent, avec sa structure Excelsius, il intervient auprès de MJPM privés essentiellement pour délivrer des conseils en stratégie patrimoniales et en investissement : « Architecte du patrimoine du majeur protégé, je me charge de coordonner les arbitrages patrimoniaux entre les acteurs que sont les MJPM, la famille et le notaire par exemple. J’ai également développé des dossiers ‘mémoire de famille’ pour des personnes âgées. Ce travail de mémoire, en lien avec les enfants, permet d’accepter et d’anticiper une éventuelle vulnérabilité », précise-t-il.
Frédéric Hild, avec sa société Jiminyconseil dont le siège social est situé à Annecy, est quant à lui dédié à la clientèle des handicapés : « C’est une clientèle qui s’est faite progressivement grâce à un effort de spécialisation et à des rencontres notamment lors de réunions d’information au sein d’associations. Les CGP ont un rôle important à jouer dans l’accompagnement des personnes fragiles car, contrairement aux banques, ils ont une vision globale de la situation et apportent un conseil réellement centré sur leur projet de vie. »
Les attentes des MJPM.
Quelle vision les MJPM ont-ils des acteurs du patrimoine aujourd’hui ? « Des associations de MJPM m’ont confié qu’elles avaient, par méconnaissance, plutôt une mauvaise image des conseillers en gestion de patrimoine en général, préférant par défaut confier les problématiques patrimoniales aux banques des majeurs protégés plutôt qu’à un CGP indépendant », indique Christelle Abatut. Les associations concernées se plaignent d'une approche trop commerciale de la part de certains CGP.
Cet avis n’est évidemment pas partagé par tous les acteurs associatifs. Elisabeth Gros, directrice d’une association tutélaire à Nice, témoigne : « Les CGP font un travail de fond, ce que ne réalisent pas les banques de manière générale, en prodiguant un réel conseil et en étant attentifs aux situations personnelles des personnes vulnérables. Je fais appel, pour ma part, à trois cabinets différents spécialisés dans les personnes vulnérables au sein de mon association. » Les MJPM libéraux apprécient également ces qualités. L’un d’entre eux confie séparer l’analyse du patrimoine, confiée à un CGP, de la recherche de produits qui est réalisée auprès de plusieurs partenaires. Le MJPM proposera ainsi au juge de tutelles plusieurs alternatives d'investissementen faisant appel à un assureur en direct, au CGPI qui a réalisé le bilan ainsi qu'à la banque de la personne vulnérable concernée, par exemple.
(1) L’Agefi Actifs n°524, p. 8.
(2) L’Agefi Actifs n°510, p. 10.