Ingénierie patrimoniale / Transmission d'entreprise

L'intérêt de la donation-partage transgénérationnelle

Stéphanie Charriaut, juriste fiscaliste LCL Gestion de Fortune
Depuis la loi du 23 juin 2006, il est permis à un donateur de gratifier ses descendants de degrés différents au sein de la même donation-partage
Le dirigeant actionnaire souhaitant anticiper la transmission de son entreprise peut ainsi réfléchir à la pertinence de celle-ci
DR, Stéphanie Charriaut, juriste fiscaliste, LCL gestion de fortune

Donner de son vivant permet au dirigeant d’organiser dans les meilleures conditions les modalités juridiques et fiscales de la transmission de son entreprise. Son âge avançant, c’est peut-être le moment pour lui de mener une réflexion familiale autour de la transmission du capital de celle-ci afin d’allier sécurité juridique, opportunité économique et contraintes fiscales. 

Transmettre sur plusieurs générations.

Avec l’allongement de la durée de vie et dans l’hypothèse assez fréquente où ses enfants seraient déjà bien installés, le dirigeant pourrait réfléchir à anticiper le partage de son entreprise en réalisant une donation-partage transgénérationnelle de ses titres au profit non seulement de ses enfants mais aussi de ses petits-enfants, voire de ses arrières petits-enfants (1). Chaque enfant du dirigeant devra accepter à l’acte que ses propres enfants soient allotis en son lieu et place pour tout ou partie des titres objets de transmission (2) (voir le schéma ci-dessous).

Au décès du dirigeant donateur, la valeur des titres de l’entreprise reçus par les petits-enfants s’imputera sur la réserve héréditaire revenant à « leur souche » et subsidiairement seulement sur la quotité disponible (3). A cet égard, le calcul de la réserve et de la quotité disponible se fera selon la valeur des titres au jour de la donation-partage, sans revalorisation de ceux-ci au moment du décès, si chaque souche a accepté et reçu un lot et si aucune réserve d’usufruit sur somme d’argent n’a été prévue (4).

Cette donation-partage transgénérationnelle pourra toutefois être inégalitaire, sous réserve de l’ouverture d’une action en réduction aux descendants d’une souche n’ayant pas reçu de lot ou n’ayant reçu qu’un lot inférieur à leur part de réserve (5).

De même, au décès de l’enfant du dirigeant donateur, et par respect de la réserve au sein de chaque souche, si tous les petits-enfants ont reçu et accepté un lot et lorsque aucune réserve d’usufruit sur somme d’argent n’a été prévue, ceux-ci seront traités comme s’ils avaient reçu la donation-partage directement de leur auteur. Dans ce cas, les titres donnés seront pris en compte lors du calcul de la réserve et de la quotité disponible pour leur valeur au jour de la donation-partage transgénérationnelle (6).

Malgré les apparences, une fiscalité avantageuse.

Les droits de donation seront calculés distinctement sur la part reçue par chaque donataire et non par souche. L’imposition des titres reçus par les petits-enfants sera donc réalisée en fonction du lien de parenté existant entre eux et le donateur (7), à l’exclusion de tout système de représentation (8) (voir le tableau 1).

Néanmoins, la fiscalité appliquée à la donation-partage transgénérationnelle apparaît attrayante dans la mesure où celle-ci permet en toute neutralité fiscale à un enfant de renoncer au profit de ses propres enfants à tout ou partie de ses droits réservataires dans la succession du donateur. Ce saut de génération prévu par le Code civil génère en outre une économie substantielle de droits de donation (voir le tableau 2).

L’assiette imposable pourrait encore être réduite dans l’hypothèse où le dirigeant donateur souhaiterait se réserver l’usufruit de ses titres afin d’en percevoir les revenus. La donation-partage transgénérationnelle serait alors réalisée en nue-propriété au profit de ses petits-enfants avec des droits calculés sur cette seule valeur de nue-propriété (9). Dans ce cadre, le dirigeant pourrait également prévoir à l’acte que, postérieurement à l’éventuelle réversion de l’usufruit au conjoint survivant, soit constitué un second usufruit successif au profit de ses enfants (10). Ce dernier s’éteindrait à leurs décès, les petits-enfants nus-propriétaires devenant ainsi pleins propriétaires sans droits supplémentaires (11).

Réincorporation des donations antérieures.

Si le dirigeant a déjà transmis une partie de ses titres à ses enfants lors de donations antérieures, il pourra les réincorporer à une donation-partage transgénérationnelle, les enfants précédemment allotis devant alors accepter à l’acte un changement d’attributaire au profit de leurs propres enfants (12). A condition qu’il n’y ait pas de nouveaux titres donnés et que la donation antérieure ait été réalisée il y a plus de quinze ans, cette réincorporation sera imposée au droit de partage de 2,5 % selon la valeur des titres à cette date (13).

Dans le cas contraire, les droits de mutation à titre gratuit seront applicables avec imputation des droits acquittés lors de la donation précédente, ce qui dans certains cas pourrait se révéler plus intéressant (14) (voir le tableau 2).

Application à la transmission familiale de l’entreprise.

Le dirigeant peut souhaiter anticiper la transmission du capital de son entreprise afin de préparer la cession de celle-ci tout en permettant à ses descendants d’y participer. Cette anticipation peut au contraire s’inscrire dans le cadre d’une transmission familiale de l’entreprise avec pour objectifs : l’organisation de la reprise de sa direction par les générations suivantes et le maintien de sa pérennité à son décès. Dans ce cas, pourra être envisagée, sous conditions, l’application du régime « Dutreil » avec la signature d’un engagement collectif de conservation de titres de deux ans minimum (le cas échéant « réputé acquis ») suivi d’un engagement individuel de conservation de quatre ans pris par les donataires à compter de la transmission. En contrepartie, les droits de mutation à titre gratuit seront calculés sur une valeur de titre diminuée de 75 % et réduits de 50 % si le donateur est âgé de moins de 70 ans (15).

En cas de donation-partage transgénérationnelle, chaque donataire copartagé  bénéficiera de cette exonération partielle à concurrence de ses droits dans la masse des biens donnés et partagés. Dans ce contexte, il est utile de préciser que la perspective d’un actionnariat éclaté devra amener le dirigeant à réfléchir également en amont à la structuration juridique de la détention du pouvoir (en direct ou via la constitution de structures intermédiaires) ainsi qu’aux modalités de gouvernance future de l’entreprise.

 

(1) Article 1075-1 du Code civil.

(2) Article 1078-4 du Code civil.

(3) Article 1078-8, al 1er du Code civil.

(4) Article 1078 du Code civil.

(5) Articles 1077-1 et 1077-2 du Code civil.

(6) Article 1078-9 du Code civil.

(7) Article 784B du CGI.

(8) Sans tenir compte de l’abattement de 100.000 euros de l’enfant allotissant qui renonce au profit de ses propres enfants.

(9) Détermination de la valeur de la nue-propriété selon le barème de l’article 669 du CGI en fonction de l’âge de l’usufruitier au jour de la donation-partage transgénérationnelle.

(10) Imposition de la réversion de l’usufruit à un enfant en fonction du lien de parenté existant entre l’ascendant donateur et le bénéficiaire de la réversion selon la valeur du bien lors de l’ouverture de l’usufruit successif. En revanche, la réversion de l’usufruit au conjoint survivant n’est pas imposée, celui-ci étant exonéré de droits de succession (article 796-0 bis du CGI).

(11) Article 1133 du CGI.

(12) Articles 1078-1 à 1078-3 du Code civil sur renvoi de l’article 1078-7 du Code civil ; possibilité de réincorporer une donation-partage antérieure (RM n°115883 Mme Ceccaldi-Raynaud du 8 novembre 2011).

(13) Article 1078 du code civil ; BOI-ENR-DMTG-20-20-10n°170 et suivants.

(14) Article 776 A du CGI.

(15) Article 787 B du CGI.

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