
L’IFI : aperçu des impacts en pratique

L’entrée en vigueur de l’IFI au 1er janvier dernier a entraîné un changement en profondeur du raisonnement applicable pour les contribuables et les praticiens compte tenu de l’objectif de l’IFI consistant en la taxation de la seule composante immobilière des patrimoines. Dans l’attente des commentaires particulièrement attendus de l’administration fiscale sur le nouveau dispositif et afin de clarifier un certain nombre de sujets encore incertains, l’analyse de quelques cas concrets permet de mieux appréhender l’impact, pour les contribuables, de la substitution de l’IFI à l’ISF, ainsi que les principaux aspects afférents à ce nouvel impôt.
Cas n°1 : affectation du bien immobilier à une activité opérationnelle et dette
M. X est résident fiscal de Belgique et détient, à travers une société holding belge B détenue à 100%, 35% du capital d’une société française F, le reste du capital de F étant détenu par deux autres associés (respectivement M. Y, à hauteur de 40%, et M. Z, à hauteur de 25%) avec lesquels M. X n’a aucun lien de parenté. La participation détenue dans la société F constitue le seul actif de la société B, qui est intégralement financée en fonds propres.
La société F exerce une activité opérationnelle d’hôtellerie et détenait au 1er janvier 2018 :
- un immeuble situé en France, I1, valorisé à 3 millions d’euros et affecté totalement à sa propre activité opérationnelle hôtelière;
- un deuxième immeuble en France, I2, valorisé à 2 millions d’euros, donné en location nue à une société tierce sans lien capitalistique avec la société F;
- un troisième immeuble, situé en Belgique, I3, valorisé à 1 million d’euros, dont M. X se réserve la libre disposition;
- le fonds de commerce afférent à l’activité hôtelière, valorisé à 700.000 euros;
- un portefeuille de valeurs mobilières de placement françaises, valorisé à 1,5 million d’euros;
- des liquidités, pour 800.000 euros.
➔ Soit un total d’actif de 9 millions d’euros.
La société F a souscrit un emprunt bancaire d’un montant de 5 millions d’euros, affecté à l’acquisition des actifs immobiliers. M. X n’exerce aucune activité professionnelle dans la société F et n’en a pas non plus le contrôle au sens de l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI). Car il ne détient pas directement ou indirectement, ou par l’intermédiaire de son groupe familial, la majorité des droits de vote ou des droits financiers de cette société et ne dispose pas non plus du pouvoir de décision au sein de cette dernière, un autre associé détenant une participation de 40%, supérieure à la sienne.
Par ailleurs, M. X possède une maison de vacances en France, valorisée à 1 million d’euros au 1er janvier 2018. De même qu’en matière d’ISF, les personnes domiciliées hors de France ne sont soumises à l’IFI que sur leurs biens et droits immobiliers situés en France.
❶ Situation de M. X avant la suppression de l’ISF
Avant la suppression de l’ISF, les non-résidents ne pouvaient être assujettis à l’ISF, dans le cadre d’une détention indirecte de biens immobiliers en France via une société, que sur deux fondements :
- (i) en vertu de l’article 750 ter, 2°, alinéa 4, du CGI, au titre de la détention d’une participation dans une société française ou étrangère qualifiant de société à prépondérance immobilière aux fins de l’ISF, c’est-à-dire lorsque plus de 50% de l’actif français de la société était composé de biens immobiliers français non affectés à la propre activité opérationnelle non civile de la société ou de titres dans une société à prépondérance immobilière française;
- (ii) en vertu de l’article 750 ter, 2°, alinéa 2, du CGI, au titre de la détention directe ou indirecte – à travers une chaîne de participation – par le biais d’une société française ou étrangère contrôlée à plus de 50% par le redevable avec son groupe familial, d’un bien immobilier français non affecté à l’activité opérationnelle, autre que civile, de la société propriétaire.
Dès lors, au cas d’espèce, la participation détenue par M. X dans la société B ne relevait ni de l’une ni de l’autre de ces hypothèses :
- la société F ne pouvait être qualifiée de société à prépondérance immobilière en France dans la mesure où l’actif français (8 millions d’euros) est majoritairement composé de biens non immobiliers ou immobiliers affectés à sa propre activité commerciale d’hôtellerie (6.000.000 / 8.000.000);
- la société F, bien que propriétaire d’un immeuble en France non affecté à son activité propre (I2), ne pouvait être considérée comme contrôlée indirectement par M. X., celui-ci ne détenant, à travers la société B, qu’une participation de 35% dans la société F.
Dès lors, en application de ces règles, M. X n’aurait pas été assujetti à l’ISF en France au titre de la détention de sa participation dans la société B.
➋ Situation de M. X au regard de l’IFI
Les nouvelles dispositions légales relatives à l’IFI ne font plus référence aux notions de société à prépondérance immobilière en France ou de contrôle à plus de 50% d’une société propriétaire d’un immeuble en France comme conditions d’assujettissement des non-résidents. Désormais, si un non-résident détient, outre des biens ou droits immobiliers français possédés en direct, des parts ou actions de sociétés détenant des biens ou droits immobiliers, elles ne sont soumises à l’IFI qu’à hauteur de la fraction de la valeur de ces titres représentative de ces biens et droits qui sont situés en France, détenus directement ou indirectement (quel que soit le nombre de niveaux d’interposition) par la société ou l’organisme.
Cependant, restent exclus de la fraction imposable :
- l’immobilier professionnel des sociétés. Aux termes du a) du nouvel article 965, 2°, du CGI, ne sont pas retenus pour le calcul de la fraction de la valeur des titres imposable à l’IFI les biens ou droits immobiliers affectés par la société qui les possède à son activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Sont visés aussi bien les immeubles détenus directement par la société dans laquelle le redevable détient ses titres, que ceux détenus par une filiale ou sous-filiale de cette société;
- l’immobilier inclus dans les participations de moins de 10% dans les sociétés opérationnelles.
Dans l’hypothèse où les biens ou droits immobiliers sont détenus via une société, seule une fraction de la valeur des titres de cette dernière, afférente à celle des biens ou droits immobiliers sous-jacents, est soumise à l’IFI.
En pratique, à chaque niveau de détention, un ratio immobilier doit être calculé afin de déterminer ce que représente l’immobilier taxable dans l’actif brut total de la société, ce ratio devant ensuite être appliqué à la valeur nette des titres.
En l’espèce, M. X, détenant une participation indirecte de plus de 10% dans une société française exerçant une activité opérationnelle, pourra en principe être assujetti à l’IFI en France sur les biens immobiliers français détenus par la société F et non affectés à une activité opérationnelle autre que civile de cette dernière.
Au niveau de la société F, l’immeuble I1 étant affecté totalement à l’activité commerciale de A, est hors du champ de l’IFI. De même, l’immeuble I3 est situé hors de France et représente donc un bien non visé par l’IFI dans la situation de M. X qui n’est pas résident de France (la situation aurait été inverse si M. X avait été résident fiscal en France). En revanche, l’immeuble I2, donné en location à une société tierce non liée à la société F et donc non affecté à l’activité opérationnelle commerciale de cette dernière, constitue un bien dans le champ de l’IFI.
➔ Conclusion. Considérant que la valeur nette de la participation de 35% détenue dans la société F s’élève ici à : 35% x (9.000.000 – 5.000.000) = 1,4 million d’euros, la fraction de cette valeur représentative du bien immobilier (I2) soumise à l’IFI s’établit donc comme suit :
- 2.000.000 [valeur de I2] / 9.000.000 [total de la valeur des actifs de F] = 22,22%.
- La fraction de la participation détenue dans F relevant de l’IFI s’établit donc à :
1.400.000 x 22,22% = 311.111 €.
➔ Au niveau de la société B, celle-ci étant financée uniquement en fonds propres et n’ayant aucun autre actif, la valeur des titres détenus par M. X dans la société B, en principe soumise à l’IFI au 1er janvier 2018, s’élèvera donc à 311.111 euros.
➔ M. X possédant en direct une maison de vacances en France valorisée à 1,5 million d’euros, il devrait être redevable de l’IFI (alors qu’il n’était pas assujetti à l’ISF auparavant) dans la mesure où son patrimoine net, et donc sous déduction de ses dettes personnelles déductibles le cas échéant, soumis à cet impôt excède le seuil d’imposition de 1,3 million d’euros. De même, si M. X possédait un autre bien immobilier en France directement ou à travers d’autres sociétés, la valeur de cette participation imposable serait comprise dans son actif imposable à l’IFI.
Cas n°2 : exonération au titre des biens professionnels et structuration de la détention d’un bien immobilier
M. P détient 95% des parts d’une société holding française A, détenant deux filiales à 100%, la SAS B et la SAS C, leurs activités étant les suivantes :
- A est une société animatrice de groupe, qui fournit des services administratifs et financiers à ses filiales B et C et détermine les orientations stratégiques du développement commercial;
- B a une activité agricole dédiée à la viniculture et à l’oléiculture;
- C a pour activité le conditionnement et la commercialisation des produits issus de l’activité agricole de B.
M. P exerce, à titre principal, la fonction de président dans chacune des trois sociétés, chacune de ces sociétés lui versant une rémunération normale, la somme des rémunérations perçues par M. P au titre de ses fonctions dirigeantes représentant par ailleurs plus de 50% de ses revenus professionnels (hors dividendes).
En outre, M. P détient 100% d’une SCI détenant exclusivement des biens immobiliers (vignes, chais, bâtiments dédiés à la transformation et au conditionnement des produits, boutique et showroom) donnés en location aux sociétés B et C et affectés totalement à l’activité opérationnelle de ces dernières. Ces différents biens immobiliers étaient valorisés à 10 millions d’euros au 1er janvier 2018. La SCI est financée intégralement en fonds propres.
❶ Exonération d’IFI des titres de la SCI au titre des biens affectés à une activité opérationnelle
M. P étant résident fiscal français, il est assujetti à l’IFI au titre des biens ou droits immobiliers détenus directement, ou des participations dans des sociétés détenant directement ou indirectement des biens immobiliers.
(i) En matière d’ISF : M. P avait bénéficié de l’exonération d’ISF de ses participations détenues dans les trois sociétés, au titre du régime des biens professionnels, les conditions suivantes étant satisfaites :
- M. P exerce de manière effective et à titre principal la fonction de président dans chacune des sociétés;
- A a une activité de société animatrice de groupe (reconnue éligible au régime des biens professionnels en matière d’ISF, par la jurisprudence et l’administration fiscale), les filiales étant par ailleurs opérationnelles, B ayant une activité agricole et C ayant une activité commerciale;
- M. P détient une participation de plus de 25% des droits de vote dans A, mais aussi dans B et C (par le biais d’un seul niveau d’interposition);
- les activités de B et C sont connexes et complémentaires et la sommes des rémunérations perçues par M. P représente plus de 50% de ses revenus professionnels.
Dès lors, les participations dans les sociétés A, B et C qualifiant de biens professionnels aux fins de l’ISF la participation détenue par M. P dans la SCI, dont les actifs sont loués exclusivement aux filiales B et C, pouvait en pratique aussi être exonérée d’ISF au titre des biens professionnels, en vertu de la tolérance administrative résultant de la position du comité fiscal de la mission d’organisation administrative du 29 mars 2000 (le Bofip ne visant que le cas d’immeubles détenus par l’intermédiaire de SCI, mis à la disposition de la seule société holding – BOI- PAT-ISF-30-30-10-20, n°110 et s.).
(ii) En matière d’IFI : lorsque l’activité professionnelle est exercée par le contribuable dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), les biens ou droits immobiliers détenus par le redevable et mis à disposition de cette société opérationnelle sont également exonérés d’IFI en vertu du nouvel article 975 du CGI, sous réserve de satisfaire à des conditions identiques à celles qui étaient prévues aux fins de l’application de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels.
Ce texte permet également une exonération d’IFI lorsque l’immobilier affecté à l’activité de la société IS fait l’objet d’une détention indirecte par le biais d’une société propriétaire du bien immobilier en question contrôlée par le contribuable. Dans ce cas de figure, la valeur de la participation détenue par le contribuable dans la société propriétaire de l’immeuble correspondant à la fraction représentative de ces immeubles affectés est exonérée d’IFI.
Par ailleurs, les nouvelles dispositions de l’article 975 du CGI devraient être considérées comme ayant légalisé la tolérance administrative mentionnée au (i) du 29 mars 2000, sous réserve des commentaires de l’administration fiscale dans le Bofip à paraître. En effet, en vertu de l’article 975, IV, du CGI, sont exonérés d’IFI les titres d’une société détenant des biens ou droits immobiliers « lorsque ces biens et droits immobiliers sont affectés à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de plusieurs sociétés soumises à l’IS, de droit ou sur option, lorsque chaque participation prise isolément satisfait aux conditions prévues au III ». Or, la disposition figurant au 2°, III, de l’article 975 du CGI, à savoir « les titres détenus dans les mêmes conditions dans une société possédant une participation dans la société dans laquelle le redevable exerce ses fonctions sont pris en compte à proportion de cette participation », semble admettre la possibilité d’un niveau d’interposition pour la société opérationnelle (filiale de la société holding) utilisant le bien immobilier en question et répondant aux anciennes conditions des biens professionnels (1). Toutefois, cette analyse devra être confirmée par les commentaires de l’administration fiscale.
En effet, il convient de noter que le texte de l’article 975 du CGI, III, 2, semble exclure expressément de l’exonération l’hypothèse dans laquelle les immeubles sont détenus directement par le redevable et affectés à l’activité opérationnelle d’une filiale de la société dans laquelle ce dernier exerce son activité. Par ailleurs, l’article 966, II, alinéa 2, du CGI légalise l’inclusion, au titre des activités professionnelles éligibles à l’exonération d’IFI, de celle de la holding animatrice, qui était retenue jusqu’ici en matière d’ISF par la jurisprudence et l’administration fiscale (2). Par ailleurs, les conditions relatives à l’exercice d’une fonction dirigeante et à la rémunération globale dans des sociétés aux activités similaires ou connexes et complémentaires sont maintenues.
Au regard de cette analyse, la situation serait la suivante :
- les filiales B et C ne détenant elles-mêmes directement aucun bien immobilier, les titres de ces sociétés sont exclus du champ de l’IFI;
- M. P pourrait également bénéficier d’une exonération d’IFI au titre de sa participation dans la SCI propriétaire de biens immobiliers, dans la mesure où (i) les filiales B et C sont éligibles aux nouvelles conditions posées au niveau de M. P et où(ii) les biens immobiliers détenus par la SCI sont affectés aux activités opérationnelles de ces dernières. Toutefois, le fait que ces filiales B et C soient détenues via une autre société, et non en direct par M. P, reste une source d’incertitude au regard des conditions d’application de l’article 975, IV, du CGI, même si la société interposée exerçant une activité de holding animatrice éligible répond elle-même aux nouveaux critères des biens professionnels.
En l’espèce, les titres de la SCI (détenue intégralement par M. P) seront exonérés d’IFI à hauteur de 95% × 10 millions d’euros = 9,5 millions d’euros
➋ Remarques : cas dans lesquels les biens immobiliers pourraient être hors du champ de l’IFI
Compte tenu des dispositions de l’article 965 du CGI relatives à l’assiette de l’IFI, l’exonération des actifs immobiliers au titre des biens professionnels ne sera obtenue, en pratique, que lorsque les biens immobiliers en question ne sont pas par ailleurs exclus du champ d’application de l’IFI.
Ainsi, en reprenant l’hypothèse du cas d’espèce, les biens immobiliers détenus par la SCI auraient pu être de plein droit hors du champ de l’IFI, ne nécessitant pas la mise en œuvre des règles afférentes aux biens professionnels, dans les cas de détention suivants :
- 1er cas : détention directe des biens immobiliers affectés à l’activité opérationnelle de B et C, par les sociétés opérationnelles B et C elles-mêmes (3);
- 2e cas : détention, par la société holding A, des biens immobiliers affectés à l’activité opérationnelle de B et C (détention des biens immobiliers par la société contrôlant les sociétés à l’activité desquelles ils sont affectés [4]).
Dès lors, dans les cas 1 et 2 précités, les biens immobiliers seraient purement et simplement exclus du champ d’application de l’IFI.
Cas n°3 : passif déductible et clauses anti-abus
M. P détient les actifs suivants :
- une villa à Saint-Rémy-de-Provence, achetée pour une valeur de 2 millions d’euros. M. P y a entrepris des travaux lourds de rénovation et d’agrandissement, d’un montant total de 10 millions d’euros, intégralement financés par un prêt bancaire in fine souscrit il y a cinq ans, remboursable à échéance de dix ans. La valeur vénale de la villa est aujourd’hui de 10 millions d’euros;
- une participation de 100% dans une SAS propriétaire d’un immeuble de rapport situé à Nice, d’une valeur vénale de 2 millions d’euros, qui constitue le seul actif de cette société. La SAS est intégralement financée par un prêt de même montant accordé par la mère de M. P. Ce prêt est consenti sans intérêts;
- une participation de 100% dans une SCI propriétaire d’un appartement à Paris, d’une valeur de 2 millions d’euros La SCI est financée au moyen d’un prêt d’un montant de 1 million d’euros consenti par l’épouse de M. P.
En principe, M. P est soumis à l’IFI sur la valeur des biens ou droits immobiliers détenus en direct ainsi que sur la valeur nette des titres de sociétés représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par ces sociétés, sous déduction des dettes afférentes à l’acquisition de ces biens ou droits ou à des dépenses de réparation, d’entretien, d’amélioration, de construction, de reconstruction ou d’agrandissement de ces biens immobiliers, en vertu du nouvel article 974, I, du CGI. Cependant, un certain nombre de dispositions viennent limiter l’imputation de ces dettes, que les biens immobiliers soient détenus directement ou indirectement par le biais de sociétés interposées.
❶ Déduction des dettes liées à la villa de Saint-Rémy-de-Provence
M. P a souscrit un emprunt bancaire d’un montant de 10 millions d’euros pour financer des travaux réalisés sur cette villa. A priori, cette dette est dans le champ de l’article 974 du CGI précité, qui établit une liste limitative des dépenses éligibles auxquelles les dettes contractées par le redevable lui-même doivent être attachées pour être déductibles.
Toutefois, il s’agit d’un prêt in fine d’une durée totale de dix ans, dont cinq années déjà écoulées. Or, l’article 974, II, du CGI prévoit un traitement particulier pour les prêts in fine, avec remboursement du capital au terme du contrat. Ces prêts ne sont déductibles chaque année qu’à hauteur du montant total de l’emprunt diminué d’une somme égale à ce même montant multiplié par le nombre d’années écoulées depuis le versement du prêt et divisé par le nombre d’années total de l’emprunt.
➔ En l’espèce, si cette disposition devait être appliquée, seule une fraction égale à 5/10 du montant du prêt pourrait être comprise dans le passif déductible de M. P.
Cependant, selon une lecture stricte de l’article 974, II, du CGI, cette restriction à propos des prêts in fine ne viserait que les emprunts contractés directement par le contribuable pour l’acquisition d’un bien ou droit immobilier imposable. Dès lors, les emprunts ayant servi à financer des dépenses autres que l’acquisition mais figurant dans la liste précitée des dépenses éligibles de l’article 974, I, du CGI ne devraient pas être dans le champ de cette restriction.
➔ Il en résulte que l’emprunt bancaire in fine d’un montant de 10 millions d’euros souscrit par M. P pour financer les dépenses de travaux sur sa villa à Saint-Rémy-de-Provence serait a priori une dette déductible de son patrimoine net soumis à l’IFI.
➋ Valorisation de la participation détenue dans la SAS
M. P ne devrait être soumis à l’IFI que sur la valeur nette de la participation imposable détenue dans la SAS, constituée de la valeur vénale des actifs, diminuée du passif externe (autre que les fonds propres), à due concurrence de la proportion de la valeur des biens et droits immobiliers sur la valeur totale de l’actif brut.
Toutefois, l’article 973 du CGI précise que certaines dettes de la société ne sont pas prises en compte pour la détermination de la valeur de l’actif net imposable de cette dernière. Sont ainsi concernées par cette exclusion les dettes suivantes :
- les dettes souscrites pour l’acquisition d’un bien ou droit immobilier appartenant au contribuable ou à un membre de son foyer fiscal (conjoint, enfants mineurs) contrôlant la société;
- les dettes souscrites pour l’acquisition ou des dépenses de construction, de réparation ou d’entretien d’un bien immobilier directement auprès du contribuable ou d’un membre de son foyer fiscal, à proportion de la participation détenue par ces personnes dans la société emprunteuse;
- les dettes souscrites pour l’acquisition ou des dépenses de construction, de réparation ou d’entretien d’un bien immobilier auprès d’un ascendant, descendant, de frères et sœurs (groupe familial) du contribuable ou d’un membre de son foyer fiscal, à proportion de la participation détenue par ce dernier et les membres de son foyer fiscal, dans la société emprunteuse;
- les dettes souscrites auprès d’une société contrôlée directement ou indirectement par le contribuable, seul ou conjointement avec un membre de son groupe familial, pour l’acquisition ou des dépenses de construction, de réparation ou d’entretien d’un bien immobilier, à proportion de la participation détenue par le contribuable et les membres de son foyer fiscal dans la société emprunteuse.
Les première, deuxième et quatrième exclusions précitées ne s’appliquent pas si le contribuable établit que le prêt n’a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal. La troisième exclusion peut aussi être écartée si le contribuable justifie « du caractère normal des conditions du prêt, notamment du respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements ». En l’espèce, la SAS entièrement contrôlée par M. P a bénéficié d’un prêt d’un montant de 2 millions d’euros accordé par sa mère. Dès lors, il s’agirait d’un prêt familial visé par la clause anti-abus précitée prévue à l’article 973, II, du CGI, qui ne pourrait pas être déduit pour valoriser la SAS sauf si M. P établit qu’il est soumis à des conditions normales.
À cet effet, il serait utile que les commentaires à intervenir de l’administration fiscale, sur le nouveau dispositif de l’IFI, précisent les justifications qui devront être apportées par le contribuable pour prouver :
- soit la normalité des modalités du prêt, appréciée au regard des conditions qui auraient été exigées par un établissement bancaire (interprétation restrictive de cette réserve),
- soit cette normalité, appréciée au regard des caractéristiques habituelles des prêts familiaux (interprétation large de cette réserve).
Au cas présent, il existe un risque significatif que l’administration refuse à M. P de prendre en compte le prêt consenti par sa mère à la SAS (celui-ci étant par ailleurs consenti sans intérêts), pour valoriser la participation détenue dans cette société. Cette participation serait donc soumise à l’IFI sur la valeur de 2 millions d’euros.
➌ Valorisation de la participation détenue dans la SCI
M. P ne devrait être soumis à l’IFI que sur la valeur nette de sa participation dans la SCI. Toutefois, comme indiqué précédemment, le mode de valorisation de cette participation devrait être corrigé en application des règles précitées prévues par l’article 973, II, du CGI permettant d’exclure certaines dettes sociales présumées être abusives.
En l’espèce, le prêt de 1 million d’euros consenti à la SCI par l’épouse de M. P serait exclu des dettes déductibles, sauf à démontrer l’existence d’un objet principal autre que fiscal. Cette preuve pourrait être en pratique difficile à apporter, surtout si cette structure de financement est mise en place à compter du 1er janvier 2018.
➔ En l’espèce, la participation dans la SCI sera donc soumise à l’IFI pour sa valeur totale de 2 millions d’euros (valeur de l’immeuble sous-jacent).
➍ Application du rabot général de 60% des dettes du contribuable
L’article 974, IV, du CGI prévoit que, lorsque le montant total des biens et droits immobiliers et titres de sociétés imposables excède 5 millions d’euros (valeur avant prise en compte des dettes correspondantes) et que le montant des dettes admises en déduction excède 60% de cette valeur, le montant des dettes excédant 60% de la valeur de l’actif imposable n’est admis en déduction qu’à hauteur de 50% de cet excédent. Cette limitation n’est cependant pas applicable si le contribuable justifie que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal. Ainsi, ce texte aboutit à créer une présomption de non-déductibilité pour tous les patrimoines immobiliers de plus de 5 millions d’euros financés à plus de 60% par de la dette.
➔ En l’espèce, M. P devrait être soumis à cette limitation. En effet, la somme de ses actifs taxables est la suivante :
- 10 millions d’eurospour la villa de Saint-Rémy-de-Provence;
- 2 millions d’euros pour la participation dans la SAS;
- 2 millions d’euros pour la participation dans la SCI.
➔ Soit 14 millions d’euros.
Les dettes personnelles déductibles, constituées de l’emprunt bancaire d’un montant de 10 millions d’euros ayant servi à financer les travaux de sa villa, représentent plus de 60% de la valeur de ses actifs imposables (10/14 = 71%).
Dès lors, en application de la règle du rabot, le montant des dettes excédant 60% de 14 millions d’euros, soit 8,4 millions d’euros, n’est déductible qu’à hauteur de 50%. Ainsi, la tranche de la dette comprise entre 8,4 millions d’euros et 10 millions d’euros, soit 1,6 million d’euros, n’est en réalité déductible qu’à hauteur de 0,8 million d’euros.
➔ Le montant des dettes déductibles de M. P serait donc égal à : 8,4 millions d’euros [60% du montant de l’actif brut] + 0,8 million d’euros [50% de la dette excédant 60% de l’actif brut] = 9,2 millions d’euros.
➔ Soit un patrimoine imposable à l’IFI de 4,8 millions d’euros.
M. P pourrait cependant tenter de se prévaloir de la clause de sauvegarde ci-dessus et arguer du fait que le prêt in fine bancaire n’a pas un objectif principalement fiscal afin de pouvoir déduire l’intégralité de ce prêt. Il devra, pour se faire, être en mesure de justifier sa position auprès de l’administration fiscale.
(1) De plus, lorsque les biens immobiliers détenus via une société sont affectés à l’activité de plusieurs sociétés répondant à ces conditions, la somme des rémunérations perçues au titre des fonctions éligibles exercées par le contribuable dans ces sociétés est cumulée pour apprécier si le critère du seuil de 50% de la rémunération est rempli.
(2) Les sociétés holdings animatrices sont dès lors expressément définies par le nouvel article 966 du CGI comme étant des sociétés qui, « outre la gestion d’un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ».
(3) Article 965, 2° a) du CGI.
(4) Article 965, 2° b) du CGI.