Assurance vie

Libéralités et communauté

Les donations réalisées par un époux commun en biens sont nulles sauf accord du conjoint
Il n'y a pas de requalification en donation indirecte si le contrat d'assurance vie reste rachetable

Le souscripteur de différents contrats d'assurance vie décède et laisse pour lui succéder son épouse, avec laquelle il est marié sous le régime de la communauté universelle. Au dénouement des contrats, la femme du défunt découvre que les clauses bénéficiaires ont été rédigées en faveur de la maîtresse de son mari, Madame Gutierrez, et que deux de ces clauses ont été acceptées par la bénéficiaire avec le consentement du souscripteur. Outre les polices d’assurance vie, cette dernière a recueilli deux donations d’un montant global de 320.000 euros. Sur ces entrefaites, considérant que son époux avait diverti des fonds communs au profit de sa maîtresse, l’épouse a assigné cette dernière pour obtenir la restitution des sommes perçues. Madame est décédée en cours d’instance, son frère est intervenu en sa qualité de légataire universel.

 

Annulation des donations. Retour sur les faits. Le défunt avait remis à sa maîtresse deux chèques de 120.000 et 200.000 euros tirés sur deux de ses comptes personnels, lesquels avaient été alimentés par le rachat d’un contrat d’assurance vie, et par la liquidation d’un compte-titre ouvert au nom des deux époux. En première instance comme en appel (1), le légataire de la défunte a obtenu l’annulation des donations consenties à Madame Guttieriez. La conclusion de la cour d'appel de Paris est la suivante : selon les dispositions du Code civil (2) les époux ne peuvent pas l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté et si l’un d’eux outrepasse ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. En se référant à la déclaration de revenus du défunt, les magistrats ont relevé qu’en 2004 le donateur avait perçu 97.000 euros de retraite, de sorte que la libéralité de 320.000 euros, pendant le mois d’août 2004, correspondait au montant de ses pensions de retraite pendant plus de trois ans. Dans ces conditions, la cour d'appel a prononcé l’annulation des donations au motif qu’elles dépassaient la libre disposition des gains et salaires du défunt sans que son épouse n’ait ratifié ces actes.

 

Caractère commun des revenus économisés. Déboutée en appel, la donataire s’est pourvue devant la Cour de cassation (3), qui a confirmé la nullité des donations. Les juges rappellent la règle selon laquelle les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires économisées ne sont pas valables. Or, les donations de sommes d’argent provenant du rachat d’un contrat d’assurance vie et de la liquidation d’un compte-titre constituent des économies, de sorte que l’époux ne peut en pas en dispo­ser sans l’accord de son épouse. La décision d’appel prononçant l’annulation des donations est donc légalement justifiée.

 

Sort des contrats d’assurance vie acceptés. Si elle a validé la nullité des donations, la Cour a cassé l’arrêt d’appel sur la question des clauses bénéficiaires. Sur ce point, le légataire demandait la requalification de l’ensemble des contrats d’assurance vie en donation indirecte de biens communs et leur réintégration dans la communauté. Il obtient partiellement gain de cause devant la cour d'appel de Paris qui a requalifié en donation deux des cinq contrats souscrits. Les magistrats ont conclu qu’un contrat d’assurance vie pouvait être requalifié en donation lorsque le souscripteur consentait à l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire. Une acceptation qui traduit, selon les juges, sa volonté de se dépouiller irrévocablement des fonds dans la mesure où le souscripteur se prive de toute possibilité de rachat. Sur la base de ce raisonnement, seuls les deux contrats acceptés par Madame Gutierrez ont été requalifiés en donation indirecte. A l’inverse, la cour d'appel lui a laissé le bénéfice des trois autres contrats. Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui rappelle qu’en l’absence de renonciation expresse du souscripteur celui-ci conserve son droit au rachat, même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice du contrat. En conséquence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale en requalifiant les contrats en donation indirecte, sans rechercher si le défunt avait expressément renoncé à la libre disposition des sommes capitalisées.  

 

(1) CA Paris, 27 janv. 2016, n°14/25386

(2) Art. 1422 et 1427 du Code civil

(3) Cass. Civ. 1, 20 nov. 2019, n°16-15.867