
L’héritier réservataire à l’épreuve du legs universel

Une femme décède en 2010 et laisse pour lui succéder sa fille unique, héritier réservataire, et son neveu qu’elle a institué légataire universel par testament olographe. Le légataire universel ayant droit à l’ensemble des biens qui composent la succession, la descendante de la défunte éprouve des difficultés à se voir délivrer sa part de réserve héréditaire. Un jugement ordonne l’ouverture des opérations de partage de la succession. La fille de la défunte demande à bénéficier d’une attribution préférentielle s’agissant des biens successoraux. Elle requiert également leur licitation, à savoir leur vente aux enchères.
Une absence d’indivision…
La Cour d’appel rejette ses demandes. Concernant la requête d’attribution préférentielle, les juges estiment que les héritiers de la défunte se trouvaient titulaires de droits concurrents dans la succession, le « légataire universel ayant vocation à recevoir la totalité des biens de la testatrice sous réserve du respect des droits d’héritier réservataire de la fille de la défunte ». S’agissant de la demande en licitation, les juges de la Cour d’appel n’y accèdent pas, la requérante et le neveu n’étant titulaires d’aucun droit indivis. La descendante lésée forme un pourvoi devant la Cour de cassation, estimant qu’elle se trouvait, avec le neveu de sa mère, en indivision jusqu’au partage.
… confirmée par la Cour de cassation.
La Haute cour rejette son pourvoi dans un arrêt du 11 mai 2016, considérant qu’il n’y a pas d’indivision entre les deux héritiers sur le patrimoine de la défunte en raison de la règle de principe selon laquelle le legs est réductible en valeur (1). « La règle était, avant la réforme de 2006 sur les successions, celle de la réduction en nature. La réduction s’effectuant désormais en valeur, il existe un rapport de débiteur à créancier entre le légataire universel et l’héritier réservataire, et non pas d’indivision. En conséquence, la récupération de la réserve héréditaire par l’enfant peut s’avérer bien plus compliquée à obtenir dès lors que le légataire universel est en conflit avec l’héritier réservataire », indiquent Martine Blanck-Dap et Virginie Martel, respectivement avocat associé et avocat de Lefèvre Pelletier & Associés. « En effet, les avocats doivent désormais demander le règlement d’une créance. Nous ne bénéficions plus des règles issues du droit de l’indivision », font-elles observer.
Les praticiens sont fixés.
Cet arrêt confirme ce que la pratique avait admis au fil des années. En attendant l’issue d’un éventuel contentieux, les risques qui pèsent sur l’héritier réservataire sont nombreux (2). A titre d’illustration, les revenus procurés par les biens successoraux sont acquis au seul légataire universel et celui-ci peut vendre seul le bien. « De même, l’héritier réservataire devra bien souvent verser le montant des droits de succession dus alors même qu’il n’aurait pas reçu le paiement de sa créance », précise Virginie Martel. Des mesures conservatoires peuvent être obtenues pour garantir le paiement de la créance par le légataire, « mais celles-ci sont assez difficiles à obtenir puisqu’il faut démontrer que le paiement de la créance est en péril », relève l’avocate.
Hubert Fabre, notaire associé à Paris, confirme que la désignation d’un légataire universel peut poser des problèmes au moment de la succession : « Le légataire universel a la possibilité de ralentir le processus du règlement successoral puisqu’il a seul vocation à l’ensemble des actifs successoraux. Lorsqu’il est aussi réservataire, il a directement la saisine des droits du défunt sans avoir à demander délivrance de son legs aux autres héritiers et il contrôle tout le règlement de la succession. » Pour éviter ces conflits, il pourra être conseillé au testateur de réaliser un legs à titre universel de la quotité disponible. « A contrario, lorsque l’on voudra sécuriser la continuation de l’entreprise ou éviter le morcellement de terrains, comme c’était le cas dans cet arrêt, il peut être intéressant d’utiliser le legs universel », conclut Virginie Martel.
Cass. civ. 1, 11 mai 2016, n°14-16967
(1) En présence d’un légataire universel, la loi permet à l’héritier réservataire de récupérer sa part de réserve par le biais d’une action imposant la réduction de ce legs au montant de la quotité disponible.
(2) Lire la tribune de Martine Blanck-Dap et Virginie Martel, « Risques dans la désignation d’un légataire universel » sur www.agefiactifs.com (L’Agefi Actifs n°666, p. 27).