
Les Sages opposés à deux présomptions irréfragables
Une décision du Conseil constitutionnel du 1er mars dernier entame le dispositif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale de l’article 123 bis du Code général des impôts (CGI). La Haute juridiction sanctionne l’administration fiscale – en particulier le Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) – qui a fait usage de l’article ces dernières années dans le cadre de nombreux redressements fiscaux.
Un dispositif anti-abus…
L’article 123 bis du CGI prévoit de taxer la personne physique domiciliée en France sur les revenus réalisés par des entités juridiques – sociétés quelle que soit leur forme, fondations, OPCVM, associations, trusts, fiducies, etc. – établies hors de France. Le contribuable doit détenir directement ou indirectement plus de 10 % de cette entité. Les revenus sont taxés en tant que revenus de capitaux mobiliers en France. A noter que le 4 bis de l’article 123 du CGI précise que le dispositif ne s’applique pas lorsque l’entité juridique est établie dans la Communauté européenne et que l’entité ne peut être regardée comme constitutive d’un « montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ».
… sanctionné en ce qu’il prévoyait une présomption irréfragable de montage artificiel.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a déclaré que le 4 bis de l’article 123 bis était inconstitutionnel en ce qu’il permet uniquement aux entités situées dans la Communauté européenne de se défendre en prouvant que le montage n’est pas fictif. Selon les Sages, il s’agit d’une rupture caractérisée devant les charges publiques. « Le contribuable pourra, quel que soit l’Etat ou le territoire dans lequel l’entité est localisée, être exempté de l’application de l’article 123 bis en l’absence de montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française », précise le Conseil constitutionnel.
« Les Sages ont sanctionné le fait que le texte présumait de manière irréfragable que les entités hors Communauté européenne sont fictives », indique Paul Duvaux, avocat. « C’est positif par exemple pour l’investisseur qui souhaite prendre une participation supérieure à 10 % dans un fonds américain juridiquement constitué aux Iles Caïmans puisqu’on lui laisse désormais la possibilité de venir démontrer que la structure n’a pas été mise en place dans un but de contournement de la fiscalité française. En revanche, cette décision réduit l’avantage compétitif des structures européennes, et notamment luxembourgeoises qui se retrouvent désormais traitées de la même manière que les entités offshore en termes de charge de la preuve. La tendance de l’administration fiscale étant d’accroître les contrôles de ces sociétés, il faudra bien s’assurer en pratique du niveau de substance de la structure européenne », relève Marine Dupas, avocat chez Arkwood.
Calcul de l’assiette du revenu.
Dans un second temps, le Conseil constitutionnel a sanctionné le deuxième alinéa du 3 de l’article 123 bis du CGI. Celui-ci prévoit de taxer forfaitairement les revenus de l’entité située dans un Etat qui n’est pas lié à la France par une convention d’assistance administrative. Selon les Sages, cette disposition porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques et ne saurait « faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à apporter la preuve que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique est inférieur au revenu défini forfaitairement […] ». « Concernant les années de crise financière en particulier, en 2008 et 2009, il sera intéressant pour le contribuable de venir prouver le revenu réel réalisé par sa structure. Encore faut-il qu’il n’ait pas encore signé de transaction avec le STDR », fait remarquer Marine Dupas. D’autant que pour certains contribuables, le montant de la facture a été très lourd (lire l’encadré avec Paul Duvaux).
Reste à éviter les montages frauduleux.
En pratique, les entités – sociétés, fondations ou trust, notamment – devront ainsi veiller à ne pas avoir été constituées dans un but frauduleux. « Les entités luxembourgeoises, qui permettent souvent d’optimiser une remontée des flux, doivent impérativement être en mesure de justifier de leur substance, bien au-delà de la simple bonne tenue leur documentation juridique, de leurs assemblées et de la tenue d’une comptabilité », précise Marine Dupas. Concernant les contribuables qui ont d’ores et déjà signé une transaction avec le STDR, « la décision du Conseil constitutionnel devrait leur permettre de maintenir l’entité à l’étranger sans avoir à subir la taxation forfaitaire de l’article 123 bis et dès lors que cette entité n’a pas pour but de contourner la législation française. Une ’cash box’ qui permettrait de piloter son impôt sur le revenu et éventuellement de plafonner l’ISF par une politique de mise en réserve dont il serait difficile de prouver qu’elle est abusive au sens de la loi de Finances pour 2017 », relève François Tripet, avocat fiscaliste associé.
Une foire aux questions attaquée devant le Conseil d’Etat.
Par ailleurs, Paul Duvaux souligne une « originalité » dans cette affaire : « Le contribuable avait attaqué devant le Conseil d’Etat la foire aux questions portant sur une circulaire du STDR, un document qui avait été publié sur le site du Ministère de l’Economie. C’est original car en principe, une simple circulaire ne peut pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir mais dans cette affaire, il semble que le Conseil d’Etat ait préféré ne pas soulever l’’irrecevabilité de l’action compte tenu de l’intérêt d’avoir une réponse sur la question de droit soulevée, à savoir le caractère constitutionnel des présomptions de l’article 123 bis du CGI. » Eric Planchat, auteur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en cause, revient sur ce point, et plus largement sur l’utilisation de plus en plus fréquente de la procédure dite de « rampe de lancement » visant à permettre aux avocats de rapidement poser leur QPC en pratique (lire ci-contre).