Régime matrimonial de l'entrepreneur

Les risques et la protection du conjoint pour guides

L’époux exerçant une activité professionnelle à risque choisit généralement un contrat de mariage de séparation de biens et en change au cours de sa vie pour le diriger vers davantage de communauté
Il reste que le régime de la communauté n’est pas une solution à exclure, même si le plus important, en définitive, est que les futurs époux soient suffisamment informés pour choisir librement
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Quel contrat de mariage l’entrepreneur ou celui qui envisage une activité professionnelle indépendante doit-il retenir ? Si son premier réflexe sera d’adopter un régime matrimonial séparatiste – qui lui permet de conserver son entreprise dans son patrimoine personnel et de protéger les biens de son conjoint des créanciers professionnels –, ce n’est pourtant pas la solution à retenir de manière automatique tant il est défavorable à l’époux sans activité ou sans ressources personnelles.

Il reste que, généralement, c’est le statut qui sera retenu dans une telle configuration. Souvent, le contrat sera ensuite aménagé au cours de l’union pour introduire des assouplissements dans un esprit plus communautaire.

Dans tous les cas, le rôle du notaire qui reçoit l’acte de contrat de mariage est essentiel. Il accompagne les époux dans leur prise de décision en communiquant tous les éléments nécessaires à leur compréhension. « En définitive, l’essentiel est que les époux comprennent les conséquences de leurs choix, en particulier en cas de divorce ou de décès », relève Pascal Julien-Saint-Amand, notaire et président du groupe Althémis.

 

Un risque qui peut n’être que théorique.

La première raison invoquée par l’entrepreneur qui souhaite retenir le régime de la séparation de biens est la protection du patrimoine du conjoint contre les risques liés à un passif professionnel. En effet, ce statut permet de rendre étanches les patrimoines l’un par rapport à l’autre. « Il ne faut cependant pas recourir au cautionnement du conjoint, par exemple, ni à trop d’achats en indivision, pour conserver à ce régime tout son intérêt », met en garde Julien Trokiner, notaire associé chez 1768.

Le notaire devra attirer l’attention de son client sur l’intensité du risque financier encouru par le conjoint. Le risque sera ainsi moins important lorsque l’entrepreneur exercera son activité sous une forme sociale prévoyant la responsabilité limitée des associés. « Dans l’hypothèse d’une société de capitaux à responsabilité limitée (SA, SAS, SARL), le risque reste confiné aux apports réalisés au profit de la société, sauf les cas d’extension de passif qui restent limités et généralement liés à des actes contestables de la part des associés dirigeants », relève Pascal Julien-Saint-Amand.

 

Responsabilité illimitée.

S’agissant des professionnels libéraux, ceux-ci auront tendance à retenir la séparation de biens en raison de l’engagement illimité qu’ils prennent. « On est en droit de se demander si une profession libérale prestataire de conseils juridiques et fiscaux prend des risques inconsidérés. Cependant, il aura tendance à retenir le régime de la séparation de biens, redoutant de devoir procéder au partage de la valeur de son activité en cas de divorce. Même si en pratique, il n’est pas certain que cette clientèle ait une valeur patrimoniale significative », indique Laurent Guilmois, notaire associé chez Lacourte.

« Cependant, en cas de regroupement dans une société à responsabilité limitée, ils peuvent néanmoins voir leur responsabilité professionnelle engagée au-delà même de leurs apports », rappelle Pascal Julien Saint-Amand.

 

Absence de protection du conjoint.

Mais celui qui fait le choix d’un régime de séparation de biens sans réaliser ce que cela implique pour son conjoint ne prendrait pas une décision correctement éclairée. Le verso de la médaille est l’absence totale de protection du conjoint en cas de divorce, et une protection plus limitée en cas de décès.

Cette situation peut ne pas être nuisible lorsque le conjoint exerce une activité rémunératrice ou dispose d’une fortune personnelle. Elle peut être beaucoup moins confortable pour l’époux qui ne possède rien. « D’ailleurs, dans cette dernière hypothèse, la séparation de biens se justifie moins au regard de la protection du patrimoine du conjoint puisqu’il n’en a pas », indique Pascal Julien-Saint-Amand. Ici, l’entrepreneur ne pourra alors justifier son choix d’un régime séparatiste que par sa volonté de conserver le bien dans son patrimoine. 

Les risques de divorce en début de mariage conduisent fréquemment les époux dans cette voie en début d’union. « Si on peut comprendre qu’une personne ne souhaite pas partager la valeur de son entreprise au moment du divorce, il faut aussi prendre en compte le fait que le conjoint qui ne travaille pas n’acquiert aucun patrimoine et ne percevra aucune retraite », insiste Pascal Julien Saint-Amand. L’entrepreneur qui voudrait protéger le patrimoine de son conjoint des créanciers professionnels, tout en prévoyant de partager la richesse issue de son activité, pourrait alors retenir le régime matrimonial de la participation aux acquêts (lire l’encadré p. 12).

 

Prestation compensatoire, assurance vie, donations.

A noter qu’en pratique, les effets de la séparation de biens pourront être atténués. Ainsi, pour Julien Trokiner, « l’importance du choix du régime matrimonial doit être relativisée tant au regard de ses aménagements possibles dans l’avenir, d’une part, que du point de vue des ‘rééquilibrages’ légaux ou conventionnels. En cas de divorce, cela prendra la forme d’une prestation compensatoire en présence d’une disparité patrimoniale entre époux. En cas de décès, la protection du conjoint survivant séparé de biens sera assurée tantôt par la loi, tantôt par une donation entre époux, sans oublier le bénéfice fréquent de contrats d’assurance vie ».

« En définitive, la séparation de biens est le régime idéal pour l’entrepreneur qui souhaite conserver le profit de son travail tout en dosant sa générosité, les seules obligations patrimoniales légales étant la contribution aux charges du mariage et la prestation compensatoire en cas de divorce », indique Axel Depondt, notaire associé à Paris, rappelant également qu’« il n’y a aucune obligation successorale envers le conjoint, excepté en l’absence d’enfants, une réserve héréditaire d’un quart s’appliquant alors ».

 

Société d’acquêts.

Il sera également possible d’adjoindre une clause de société d’acquêts – une sphère de communauté conventionnellement organisée – pour atténuer les effets d’une séparation de biens envers le conjoint qui ne dispose pas de ressources personnelles. Cette clause pourra être créée dans une seconde tranche de vie du couple, lorsque l’entrepreneur atteint l’âge de 40 ou 45 ans. On pourra par exemple y loger la résidence principale. « Il faudra que l’on écarte expressément le mécanisme des récompenses puisque le but est que chaque époux soit propriétaire de la moitié de ces biens sans aucune considération pour l’origine des fonds ayant permis de les acquérir », rappelle Axel Depondt.

Lorsqu’un bien a été acquis en indivision par les époux mariés sous le régime de la séparation de biens, mais que son financement n’a été assuré que par l’un d’entre eux, « l’administration fiscale n’hésite pas à attaquer en donation déguisée ce financement par l’un des époux pour le compte de l’autre », relève Pascal Julien Saint-Amand. Il sera alors opportun de placer cet actif dans la société d’acquêts. Par ailleurs, pour protéger davantage le conjoint, on peut aussi imaginer y loger une partie des titres de l’entrepreneur.

 

Vers un régime communautaire.

Mais pour  Fabrice Luzu, notaire associé chez 1768, « il est parfois préférable de ne pas se limiter à cette enclave communautaire que constitue la clause de société d’acquêts. L’idée consiste à s’interroger sur la logique patrimoniale réellement souhaitée : communautaire ou séparatiste ? L’entrepreneur, s’il privilégie la première, pourra alors modifier son régime pour créer une communauté conventionnelle dans laquelle il insère des clauses de préciput afin d’avantager l’époux non entrepreneur en lui permettant de prélever, soit en usufruit, soit en pleine propriété, certains actifs stratégiques tels que la résidence principale ou une partie de l’entreprise, par exemple ».

L’âge de l’entrepreneur avançant, cette communautarisation des titres sera de toutes les façons davantage envisagée. « Ceci, à l’effet de protéger tant l’entreprise que le conjoint d’ailleurs. Une communautarisation des titres pour attribution au conjoint survivant permettra ainsi d’éviter un éclatement de la participation (et des droits de vote corrélatifs) entre les héritiers, préjudiciable pour la société. Le conjoint survivant disposera en outre des revenus générés par les titres pour maintenir son train de vie à long terme », relève Pierre Cénac, notaire associé à Paris.

Dans de très rares situations, c’est l’inverse qui se produit, les époux choisissant de passer d’une communauté à une séparation ainsi que peut en témoigner Xavier Boutiron, notaire associé à l’étude Cheuvreux : « Mon client était âgé de 60 ans et partait exercer la fonction de conseiller financier aux Etats-Unis. Celui-ci avait constitué un patrimoine conséquent durant sa vie.  Après avoir fait réalisé des donations auprès des enfants, j’ai réparti les biens sans indivision auprès des patrimoines personnels respectifs des époux. »