Les propositions de Bruxelles pour contrôler les cryptomonnaies irritent les acteurs du secteur

Pauline Armandet
Dans son paquet sur la lutte contre le blanchiment d'argent, la Commission européenne s'est penchée sur la question de la traçabilité des cryptomonnaies.

L’Europe veut aller plus loin en matière de régulation des cryptomonnaies. Dans son paquet sur la lutte contre le blanchiment d’argent présenté mardi, la Commission européenne a proposé de tracer les transferts de cryptomonnaies et d’interdire les wallets anonymes. L'idée est de garantir une «traçabilité totale des transactions de cryptomonnaies, telles que le bitcoin, et permettront de prévenir et de détecter leur utilisation éventuelle à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme», indique la Commission européenne.

Concrètement, les entreprises qui facilitent les transferts en cryptomonnaies devront collecter des informations personnelles (nom, adresse, date de naissance, référence du wallet) sur les émetteurs et les destinataires lorsqu’un transfert dépassera 1.000 euros. Des propositions qui «aideront le secteur des cryptomonnaies à se développer, car il bénéficiera d’un cadre juridique actualisé et harmonisé dans toute l’Union européenne», estime l’institution.

«Cette proposition n'est pas étonnante. La Commission a toujours une part de méfiance autour des cryptoactifs», considère Louis-Arnaud Nguyen, senior consultant chez Azzana Consulting. Or, aujourd’hui, de nombreux détenteurs de cryptomonnaies passent par des plateformes d’échange du type Coinbase ou encore Kraken où un processus d'identification fine des clients (KYC, pour Know your customer)... existe déjà. «Ainsi, lorsque les personnes envoient leurs cryptomonnaies sur des wallets, la transaction peut déjà être rattachée à une personne», ajoute-t-il. Ces plateformes ainsi distribuent les cartes, décidant si elles veulent donner les informations sur leurs utilisateurs. «Vouloir désanonymiser, c’est vouloir les mettre sous le joug des gouvernements», considère l’expert. De son côté, l’entreprise Chainalysis, qui travaille déjà avec 45 Etats dans la lutte contre le blanchiment d’argent, permet de retracer toutes les transactions.

Par ailleurs, en raison de leur montée en puissance, les plateformes d’échange sont de plus en plus régulées, devant ainsi répondre à des normes financières ou encore de compliance. «A terme, cela veut dire que les Etats pourront les interroger directement pour avoir toutes les adresses des wallets rattachés à une personne et en fonction de cela, on pourra connaitre toutes ses transactions», pense Louis-Arnaud Nguyen.

Dans son paquet, la Commission européenne propose également d’interdire les wallets anonymes, ces portefeuilles numériques ou physiques qui permettent de stocker des cryptomonnaies. L’objectif ? «trouver le bon équilibre entre la lutte contre ces menaces et le respect des normes internationales sans créer de charge réglementaire excessive pour l’industrie», considère la Commission européenne. Pour Louis-Arnaud Nguyen, cette mesure pourrait augmenter l’utilisation de mixeurs - qui sont des solutions pour anonymiser ses transactions - mais également rendre plus populaires des cryptoactifs permettant d’être anonyme, à l’instar de Monero. Elle pourrait également être «un moyen de préparer l’introduction d’un euro digital, qui ne serait pas anonyme et qui permettrait donc de tracer les transactions», considère ce dernier.

En raison du processus législatif européen, cette proposition passera ensuite entre les mains du Parlement européen et du Conseil, ce qui pourrait prendre jusqu’à deux ans avant son adoption. Depuis quelques mois, l’Europe s’active pour renforcer sa position sur la règlementation des cryptomonnaies. En septembre, l’institution a notamment présenté un cadre légal visant à surveiller les stablecoins .