
Les holdings familiales sous le coup d’une menace

Les holdings patrimoniales familiales assujetties à l’impôt sur les sociétés doivent-elles craindre une remise en cause plus fréquente du régime des sociétés mères et filiales qui leur est appliqué ? La dernière loi de Finances rectificative, mettant le droit français en conformité avec le droit européen, a introduit une mesure qui pourrait faciliter la mise en cause de ces structures capitalistiques. Des précisions ont été apportées par un Bulletin officiel des Finances publiques du 7 juin (1) dans lequel l’administration a soumis ses commentaires à consultation publique. Ces mesures, d’ores et déjà opposables à l’administration, iraient, selon certains, dans un sens plutôt favorable au contribuable.
Un dispositif anti-abus.
L’article 29 de la dernière loi de Finances rectificative est presque passé inaperçu au moment de son adoption. Celui-ci a pourtant inséré un dispositif anti-abus distinct de la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Ce nouvel instrument permettrait à l’administration fiscale de remettre en cause plus facilement l’application du régime fiscal des sociétés mères et filiales aux holdings patrimoniales familiales et ainsi l’allègement de la fiscalité des dividendes et plus-values qui en résulte.
Un motif non fiscal qui doit prédominer.
Quels sont les montages visés par le dispositif anti-abus ? L’exclusion du régime des sociétés mères et filiales suppose la réunion de deux conditions cumulatives, en vertu de l’article 145 6-k du Code général des impôts (CGI) et de l’article 119 ter 3 du CGI. La première est que le montage ou la série de montages soient mis en place pour obtenir, « à titre d’objectif principal ou à titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité [du régime fiscal des sociétés mères] ». Les structures devront ainsi veiller à poursuivre un objectif non fiscal à titre principal. « L’objectif non fiscal peut être l’intérêt financier dans le cadre d’un schéma de LBO (leveraged buy-out), le réinvestissement des dividendes dans une activité économique, l’intérêt d’une holding pour transmettre son patrimoine ou encore la constitution progressive d’un groupe familial », illustre Sandrine Hagenbach, avocate associée chez Avistem. A noter également que la loi, en substituant le mot « principalement » fiscal à celui d’« exclusivement » fiscal qui est utilisé dans le cadre de la procédure d’abus de droit de l’article L. 64 du LPF, « a pour effet de laisser la place à une interprétation subjective, source d’insécurité juridique car il est difficile d’évaluer en termes financiers les avantages non fiscaux obtenus par un montage particulier », souligne-t-elle.
Un montage qui doit être authentique.
La seconde condition est que le montage ou la série de montages soient considérés comme authentiques. Le Bofip précise que « selon les termes de la directive repris dans la loi, un montage est considéré comme non authentique dans la mesure où il n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique », et de poursuivre : « La notion de motifs commerciaux s’entend au sens large de toute justification économique même si elle n’est pas liée à l’exercice d’une activité commerciale au sens de l’article 34 du CGI. Sont donc susceptibles d’être considérées comme présentant des motifs valables au sens de la clause des structures de détention patrimoniale, d’activités financières ou encore des structures répondant à un objectif organisationnel. » L’administration a donné une acception large au terme « commercial ». « Ce qui est une bonne chose. Dans le cas contraire, cela aurait pu conduire à la remise en cause de bon nombre de groupes familiaux », relève Sandrine Hagenbach.
Pénalités.
Quelles pénalités l’administration appliquera-t-elle ? Elle ne pourra pas adopter les pénalités de 80 % prévues en cas d’abus de droit relevant de l’article L. 64 du LPF, mais devra se référer aux pénalités de droit commun de l’article 1729 du CGI : 40 % pour manquement délibéré et 80 % pour manœuvres frauduleuses. Dans un article publié dans la Revue de droit fiscal (2), Olivier Fouquet, président de section au Conseil d’Etat, s’interroge : « Un montage non authentique peut-il constituer autre chose qu’une manœuvre créant des apparences destinées à égarer l’administration ? On ne voit pas pourquoi l’administration s’embarrasserait […] à recourir à la procédure compliquée de l’abus de droit dès lors qu’elle peut atteindre plus facilement le même résultat en termes de pénalités par la seule application de l’article 119 ter et de l’article 1729 du CGI. »
Une clause anti-abus controversée.
A noter qu’un scénario bien moins souhaitable pour le contribuable détenteur d’une holding passive aurait été évité, à savoir l’introduction d’un régime similaire aux personal holding compagnies américaines, des structures holdings interposées transparentes fiscalement, permettant l’imposition des dividendes à l’impôt sur le revenu. Un statut qui aurait été jugé peu attractif. On lui a préféré une loi anti-abus insérée à l’article 119 ter 3 du CGI.
Patrick Michaud, avocat fiscaliste, y est pour sa part plutôt favorable : « L’exonération des dividendes ne devrait servir qu’à l’économie réelle et non à une économie rentière. Pour mémoire, la multiplication de ces holdings familiales avait été la conséquence de la totale ‘barémisation’ des dividendes avec la suppression de la retenue libératoire en 2012. » Pour Marc Bornhauser, avocat fiscaliste, ce dispositif anti-abus ne menacerait que très peu l’application du régime des sociétés mères et filiales aux holdings passives familiales (lire l’encadré). Les praticiens seront attentifs à la pratique de l’administration fiscale sur cette question.
(1) BOI-IS-Base-10-10-10-10-20160607 ; BOI-RPPM-RCM-30-30-20-10-20160607.
(2) Revue de droit fiscal n°4, 28 janvier 2016, p. 1.