
Les chantiers de la régulation vus par les superviseurs

L’Agefi Actifs. - La directive MIF II remet-elle en cause votre approche de la régulation des CIF ?
Guillaume Eliet. - Un compromis politique a été trouvé sur le texte de niveau 1 de la directive MIF II et on s’attend à ce que cette directive cadre soit publiée d’ici au mois de juin avec une mise en œuvre prévue début 2017. Nous avons commencé les travaux de niveau 2 au sein du régulateur européen des marchés financiers – Esma – qui devraient normalement déboucher sur une consultation publique avant cet été sur un certain nombre de points, et en particulier sur les problématiques relatives aux politiques de rémunération – inducements – et à la définition du conseil indépendant, qui sont extrêmement importantes à la fois pour les entreprises d’investissement soumises directement à la MIF, mais aussi pour les conseillers en investissements financiers (CIF).
Pour ces derniers, nous avons obtenu de conserver un régime national spécifique, comme cela existait dans le cadre de MIF I, à la condition que, sur un certain nombre de pratiques et de règles, la législation qui leur soit applicable soit homogène ou, au moins, se calque le plus possible sur les exigences introduites dans la directive MIF pour les entreprises d’investissement qui rendent le service de conseil en investissements.
Comment appréhender la notion de conseil indépendant et quelles vont être ses conséquences pratiques pour les CGPI ?
Guillaume Eliet. - La directive MIF II dit clairement qu’un professionnel ne peut plus conserver de rétrocessions pour le conseil indépendant. Cette interdiction s’appliquera à la fois à l’entreprise d’investissement qui offre un service de conseil et aux CIF. La commission, si elle est perçue, devra être reversée au client. La question que l’on doit se poser aujourd’hui, c’est comment définir le conseil indépendant ? C’est précisément un sujet sur lequel l’Esma va faire porter sa consultation publique. Une idée serait de considérer qu’un conseil est indépendant à partir du moment où le conseiller a pu faire une analyse d’une gamme de produits suffisamment large provenant de producteurs différenciés pour être en mesure d’offrir le meilleur produit pour son client.
S’agissant des conseillers offrant un conseil non indépendant, entreprises d’investissement ou CIF, ils pourront toujours percevoir – et garder – des rétrocessions de commissions. Pour autant, la directive révisée en durcit les conditions. En particulier, la condition d’une amélioration de la qualité du service rendu au client comme justification de la perception d’une commission va être précisée par des textes de niveau 2 de la nouvelle directive MIF. Sur ce sujet, nous estimons que l’expérience française peut guider utilement l’Esma.
Pour mémoire, l’AMF demande, dans une position publiée en juillet 2013, que les rétrocessions de commissions sur encours perçues dans la durée soient justifiées par un service rendu dans la durée. Le CIF se doit de prendre régulièrement l’attache de son client, en principe au moins une fois par an, pour s’assurer que le produit est toujours adapté à sa situation. Par ailleurs, il a une obligation générale d’information de son client dès lors qu’il y a transformation du produit, modification dans la situation du produit...
Est-ce à dire que votre position restera valable en 2017 et ne sera pas durcie ?
Guillaume Eliet. - Si le régime devait se durcir sur les entreprises d’investissement au niveau européen, nous devrions certainement l’appliquer de façon analogue aux CIF. La logique depuis toujours, c’est que tous les conseillers, qu’ils soient entreprises d’investissement ou CIF, soient sur un pied d’égalité, en particulier sur ce régime.
Etes-vous satisfait de la tournure que prend la révision de la directive DIA qui, selon les vœux de la Commission européenne, doit être calquée sur la directive MIF II ?
Fabrice Pesin. - On peut noter que le calendrier de la directive intermédiation en assurance (DIA) a pris du retard sur celui de la directive MIF. De surcroît, il faut avoir en tête que la DIA couvre tous les produits d’assurance, vie et non vie. On peut dès lors s’interroger sur la pertinence de transposer certains principes édictés dans la directive MIF pour des produits d’épargne. Par ailleurs, certaines règles remettent assez fortement en cause le modèle français, comme la vente sans conseil. Le Trésor français décidera de l’orientation à prendre lors de la transposition. Mais sachez que l’ACPR est très réservée sur l’introduction de la vente des contrats d’assurance sans conseil, disposition en recul par rapport à la pratique actuelle sur le marché français.
S’agissant de la question des rémunérations, c’est un sujet que l’on suit depuis longtemps et qui n’est pas simple. Les réflexions doivent être transversales : ce sont des problèmes qui affectent à la fois les intermédiaires et les réseaux de salariés. Il existe trois voies, à notre avis complémentaires, pour éviter les conseils biaisés par les commissionnements. Au-delà de la transparence et de la mise sous conditions de certaines modalités de rémunération (à l’image de la directive MIF II pour le conseil indépendant), une autorité comme l’ACPR pourrait vérifier que les modalités de rémunération n’entrent pas en contradiction avec l’obligation d’agir au mieux des intérêts du client, ce qui existe déjà pour les intermédiaires en opérations de banque. L’ACPR pourrait interdire à un professionnel d’être davantage rémunéré quand il place des produits plus risqués.
Mais globalement, êtes-vous satisfaits des mesures prises en faveur de la protection des investisseurs ?
Fabrice Pesin. - Tout ce qui a trait à la gestion des conflits d’intérêts et aux politiques de rémunérations, au devoir de conseil renforcé nous satisfait d’autant plus que la France l’a en partie déjà mis en place. Mais il faudra voir comment le législateur français imposera à toute une profession d’éventuelles modifications des systèmes de rémunération, en sachant que le monde du courtage est régi par des usages ancestraux. Nous sommes prêts à travailler sur ces questions.
La quatrième directive antiblanchiment ne devrait-elle pas, contrairement à celles relatives à l’intermédiation, bouleverser la pratique des professionnels ?
Jean-Baptiste Carpentier. - Globalement, l’idée n’est pas de faire la révolution. Les travaux de la quatrième directive ont été essentiellement engagés pour mettre le droit unitaire européen en conformité avec les nouvelles normes du Gafi (groupe d’action financière). Pour la plupart des professionnels, cette quatrième directive ne se traduirait pas par des bouleversements mais il faut être prudent car le processus législatif est en cours. Il est hautement probable qu’un accord final du Conseil et du Parlement ne soit pas trouvé avant la fin de cette année avec une transposition en 2015.
En matière de fraude fiscale, qu’attendez-vous des intermédiaires ?
Jean-Baptiste Carpentier. - Il est clair que je n’ai qu’un seul message à donner vis-à-vis de ces intermédiaires. Je pense qu’ils doivent avoir une prise de conscience collective dans la mesure où le monde de 2014 n’est plus celui de 2013. En raison des différents événements de ces dernières années, le niveau d’exigence des Etats et des collectivités vis-à-vis des obligations liées à la lutte contre la fraude fiscale s’est de fait considérablement élevé. Il y a quelques années, le dispositif antiblanchiment, et je caricature, avait été construit dans l’idée qu’il servirait à tout sauf à la lutte contre la fraude fiscale. Ce temps est totalement révolu. Il y a des évolutions très fortes sur les échanges de données en matière fiscale entre Etats, des évolutions également dans la coopération entre les cellules de renseignements financiers des différents Etats, des changements législatifs internes à la France très substantiels.
Sans faire de critique exagérée, je pense que tous les professionnels concernés n’en ont peut-être pas encore complètement tiré toutes les conséquences. Là, je suis très pragmatique. Il y a des choses qui pouvaient être acceptées ou qui étaient une pratique « tolérée » il y a trois ou quatre ans, mais ce temps est révolu. Nous sommes obligés de voir que les pratiques déclaratives de certains professionnels intermédiaires ne sont pas au niveau des enjeux. Il existe des situations dans lesquelles nous pouvons estimer raisonnablement que certains professionnels sont au-delà de la négligence.
Mais vous tenez toujours compte de l’ampleur du dossier...
Jean-Baptiste Carpentier. - Nous allons avoir une approche la plus concrète et pragmatique possible… Nous sommes vraiment dans du droit constant. Le degré d’exigence des pouvoirs publics s’accroît au fur et à mesure que le droit s’inscrit dans la durée. On ne va pas faire une approche de seuil. On va essayer de regarder ce que raisonnablement tel ou tel professionnel doit avoir comme information et ce qui doit lui donner une alerte au regard des obligations qui sont les siennes.
J’ai été très frappé de voir au cours des trois ou quatre dernières années la recrudescence très sensible des affaires de Ponzi... Dans ces affaires, il y a eu à la fois des professionnels purement et simplement fraudeurs, mais il y a eu aussi un certain nombre de professionnels qui ne se sont pas posés les questions appropriées. Cela ne relève pas d’ailleurs nécessairement que des normes antiblanchiment, cela peut relever de beaucoup d’autres normes professionnelles, mais néanmoins c’est un vrai sujet.
Fabrice Pesin. - Cela relève de l’exercice illégal d’une profession réglementée. Nous avons déjà rencontré des intermédiaires d’assurance qui faisaient tout simplement de l’assurance sans être agréés. Ils encaissent les primes, envoient des relevés annuels fictifs et reversent les sommes aux personnes désirant racheter partiellement ou complètement leur contrat. Dans ces cas, cela relève du pénal et nous transmettons au procureur de la République.
Jean-Baptiste Carpentier. - On peut également avoir des gens qui exercent une profession régulée, qu’il s’agisse de CIF ou d’entreprises d’investissement, d’intermédiaires, peu importe, et qui par ailleurs utilisent ce métier, cette honorabilité, pour monter une activité parallèle. Là aussi, ils s’inscriront évidemment dans l’illégalité la plus totale.
Par ailleurs, nous avons plusieurs affaires de blanchiment de fraude fiscale avec comme élément clé la participation d’un intermédiaire qui, en omettant de poser certaines questions, a permis des échanges de fonds entre l’étranger et le territoire national. Nous n’en sommes pas à avoir un degré d’exigence conduisant ces professionnels à avoir un avocat pour étudier chacun des montages ou des mouvements financiers de ses clients. On est vraiment dans le principe de bon sens.Ce sont des situations dans lesquelles le professionnel travaille avec des clients qu’il ne connaît absolument pas, sur lesquels il n’a pas la moindre idée de leur profil clientèle, des fonds dont il ne justifie pas l’origine et qui semblent parfois avoir une origine suspecte.
C’est bien le rôle de l’AMF et à l’ACPR de les sanctionner disciplinairement...
Jean-Baptiste Carpentier. - Lorsque nos investigations vont nous amener à constater une suspicion d’infraction pénale ou d’infraction fiscale, on va transmettre le dossier à l’autorité légitime destinataire, qui est selon le cas ou de façon cumulative l’autorité judiciaire, l’autorité fiscale, l’autorité douanière. Mais en parallèle, on va aussi se poser des questions sur l’attitude réelle ou supposée de tel ou tel professionnel soumis à régulation au titre de la loi antiblanchiment. Lorsqu’il nous semble que le professionnel pourrait ne pas avoir respecté ses obligations, parce que nous n’avons pas reçu de déclaration de soupçon ou parce que nous en avons reçu une très tardivement – le cas classique est la déclaration qu’on reçoit le lendemain de la perquisition faite par la police, ou un contrôle de l’ACPR et de l’AMF –, la loi nous autorise à communiquer tout à fait librement, avec les deux institutions ici présentes, pour leur adresser des dossiers à finalité disciplinaire. A ce moment-là, il leur appartient d’apprécier, tout à fait librement et de façon autonome avec l’action pénale, les suites à donner.
Fabrice Pesin. - De notre côté, nous menons des contrôles réguliers auprès des établissements de crédit, des entreprises d’investissement et des organismes d’assurances pour vérifier que l’ensemble des établissements financiers mettent en place l’ensemble des dispositifs exigés par la loi. Plusieurs établissements ont été sanctionnés par l’ACPR pour défaut de mise en place de certaines procédures exigibles. Nous avons prononcé plusieurs sanctions portant sur des dispositifs antiblanchiment insuffisamment précis ou pertinents.
Au-delà ces travaux européens, quels sont vos prochains chantiers nationaux ?
Guillaume Eliet. - Un chantier important pour nous aujourd’hui est de faire un point d’étape avec les associations professionnelles de CIF, qui ont été mises en place il y a une petite dizaine d’années pour la majorité d’entre elles et ont beaucoup œuvré pour faire émerger ce statut. Ainsi que nous l’avions annoncé dans notre plan stratégique, nous souhaitons mieux définir leur positionnement et leur rôle de supervision des acteurs et, de façon générale, travailler plus étroitement avec elles au quotidien.
Cela fait deux ans que vous êtes sur la délégation des contrôles…
Guillaume Eliet. - C’est un autre sujet. L’AMF n’avait pas juridiquement l’autorisation de déléguer ses contrôles aux associations professionnelles de CIF alors qu’elle pouvait le faire auprès de toute une série d’autres acteurs ou institutions, comme la Banque de France ou des cabinets d’audit, par exemple. A la suite d’une modification de la loi, nous avons aujourd’hui cette possibilité mais nous n’avons pas l’intention de demander dans l’immédiat aux associations de mener des contrôles au nom de l’AMF. En revanche, les associations, depuis le départ, ont une mission de contrôle de leurs membres en leur propre nom et elles doivent l’exercer. Quant à nous, nous sommes convaincus que nous devons adapter nos processus de contrôle et, le cas échéant, de sanction aux CIF, qui sont très divers et dont le nombre a crû fortement ces dernières années. Nous ne pouvons pas nous contenter de quelques dizaines de contrôles par an sur une population de 5.000 CIF aujourd’hui.
Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place avec les associations un système de reporting simple mais permettant d’obtenir annuellement une cartographie assez précise des CIF, en termes de chiffre d’affaires, de statut, de type d’activité ou de produits conseillés. Mieux connaître la réalité du métier de CIF nous permettra de mieux adapter notre régulation et notre supervision. Nous sommes également en train de travailler, conjointement avec l’ACPR, sur les conventions entre producteurs et distributeurs. Nous souhaitons être davantage certains que les distributeurs, et notamment les CIF, sont en mesure d’obtenir de la part des producteurs les informations nécessaires pour construire les documents commerciaux et bien informer sur les produits. Nous avons aussi travaillé récemment sur la formation permanente des CIF en précisant les sujets qui nous semblaient devoir faire partie de la liste des formations. Par exemple, les sujets de blanchiment ne doivent pas être oubliés dans les formations obligatoires des CIF.
Fabrice Pesin. - Je voudrais revenir sur les conventions producteurs-distributeurs. C’est un chantier du Pôle commun avec l’AMF. En effet, les deux autorités travaillent sur ce sujet. La loi est claire pour un schéma simple, c’est-à-dire un schéma où il y a un producteur et un distributeur directement en contact avec le client. Mais les chaînes d’intermédiation sont souvent bien plus longues. Dans ces cas, nous recommanderions d’introduire dans la convention entre le producteur et l’intermédiaire – dit initial – une clause obligeant ce dernier à conclure lui-même, avec chaque intermédiaire en contact avec le client, une convention portant sur les modalités de validation des documents publicitaires et sur la transmission des informations nécessaires à l’appréciation de l’ensemble des caractéristiques du produit. Une consultation a été ouverte avec l’ensemble des professionnels.
Sur le contrôle, nous ne faisons pas de délégation, c’est une différence avec l’AMF. Nous continuons nos travaux avec évidemment des points d’attention qui réapparaissent sur le devoir de conseil en assurance vie, sur les problématiques de produits complexes. Les tentations pour placer des produits « exotiques » peuvent réapparaître dans un contexte de taux bas. Nous sommes toujours aussi vigilants sur ce point.
Allez-vous entamer une série de contrôles des IOBSP ?
Fabrice Pesin. - Oui, puisqu’ils rentrent dans notre champ de compétence. Le législateur attend de nous que nous contrôlions la bonne application des règles de bonne conduite. Sachant que nous avons clarifié la doctrine au niveau du contrôle interne des établissements, entre les mandataires et les courtiers en opérations de banque. Il s’agit d’une profession qui existait depuis bien longtemps et qui, de fait, doit rentrer dans de nouvelles cases réglementaires. Ce n’est pas nécessairement évident pour tout le monde. Mais à partir du moment où la loi et la réglementation ont été arrêtées après une large consultation, il faut les respecter.