
Légitimer les commissions sans fragiliser la valeur des cabinets
Mi-septembre, la communication d’Oddo relative à sa nouvelle offre de gestion conseillée sur sa gamme Fipavie – contrats d’assurance vie Génération Vie – visant à rémunérer les CGPI non plus sur les encours mais au titre de la gestion conseillée n’a pas laissé la Place indifférente. Cette communication est venue alimenter les échanges à Patrimonia, relançant par la même occasion le débat sur la fin des rétrocessions de commissions pour les CGPI formalisé il y a maintenant tout juste deux ans. Les discussions restent animées et le modèle britannique est toujours mis en avant pour accentuer les craintes de la profession sur son avenir, bien que les statistiques avancées ne sont jamais les mêmes sur le nombre décroissant des indépendant financial advisors (IFA).
Une directive MIF II qui patine…
Il est vrai que la législation outre-Manche a inspiré les travaux de révision de la directive MIF puisque la Commission et le Conseil de l’Union européenne prohibent toujours les rétrocessions de commissions pour les prestataires de services d’investissement rendant un conseil en investissements indépendant. En revanche, le Parlement européen s’est montré plus souple en consacrant la transparence des rémunérations et en laissant aux Etats membres le choix de prendre des mesures plus restrictives. Tout dépendra de l’issue des discussions du trilogue qui, selon la Commission, se réunit toutes les semaines pour arriver à un accord avant la fin de l’année, préoccupé par les prochaines élections au Parlement.
Il est toujours difficile d’avoir une certitude sur les orientations prises en matière d’inducements.Pour Vincent Derudder, président de la Fecif, « le plus grand risque que nous courons réside dans l’adoption d’une directive édifiant de grands principes et renvoyant à l’Esma (1) le soin de prendre des mesures d’exécution ». Une source proche du dossier affirme que le rapporteur s’orienterait vers le modèle anglo-saxon tout en précisant que, pour le moment, cette approche n’a pas été formalisée par écrit. Il ajoute également, curieusement, que la gestion de portefeuille échapperait à l’interdiction des rétrocommissions.
Sylvestre Tandeau de Marsac, associé du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés, tient à rappeler l’exception française : « Au-delà de la problématique des rétrocessions de commissions, les CGPI doivent anticiper la disparition programmée du statut de CIF. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un régime dérogatoire à la directive MIF qui les exempte du statut de PSI mais qui n’a pas forcément vocation à subsister éternellement. »
… et un alignement de l’assurance vie dans la balance.
Si le conseil en investissements financiers (CIF) ne représente qu’une faible part de l’activité des CGPI comparativement au courtage en assurance, la vraie crainte pour les intermédiaires résiderait dans un alignement des règles en matière d’inducements à l’assurance vie. Tel est le souhait de la Commission européenne. Néanmoins, la présidence lituanienne du Conseil de l’Union n’a pas programmé de discussion sur la directive intermédiation en assurance (IMD II) par manque de ressources, ce qui conduit la Commission à proposer depuis la rentrée d’inclure l’assurance vie, en tant que produit d’investissement substituable, dans la directive MIF, solution à laquelle ne serait pas opposé le Parlement mais qui n’agréé pas le Conseil.
Le régulateur européen de l’assurance (EIOPA) s’est fendu d’un courrier de sept pages au mois de septembre dernier pour faire savoir qu’il désapprouve cette idée, arguant qu’il faut préserver les spécificités de chaque secteur et rappelant que la directive IMD apporte davantage de protection au consommateur que la directive MIF dans la mesure où elle ne prévoit pas un degré d’information différent selon le profil du client et enjoint aux professionnels de vérifier l’adéquation de l’assurance aux besoins du client, contrairement à la directive MIF qui prévoit un test d’un degré moindre en dehors du conseil en investissements et de la gestion sous mandat.
Ainsi, si ce projet de migration de l’assurance vie dans la directive MIF avorte, il y a des chances que l’assurance vie ne soit pas touchée et que, dans la pire des perspectives, les professionnels soient soumis à une transparence de leur rémunération. En effet, les assureurs auraient été plus efficaces en termes de lobbying. Certains observateurs vont jusqu’à espérer que le législateur, pour respecter le principe de level playing field (même niveau d'exigences réglementaires pour les acteurs), devra revoir sa copie sur la MIF pour s’aligner sur l'IMD. Tout dépendra du calendrier qui évolue continuellement, le vote par la commission Eco du Parlement européen pour la directive IMD II étant prévu le 14 novembre prochain, sauf nouveau report. Dans tous les cas, les professionnels ont encore du temps devant eux avant de voir leur mode de rémunération remis en cause par le législateur.
Que penser des solutions émergentes ?
Néanmoins, les schémas se sont multipliés pour prévenir une éventuelle interdiction des rétrocommissions. Comme le remarque Vincent Derudder, « plus une loi est coercitive, plus il est tentant de la contourner ». Les intentions sont plus ou moins louables. Philippe Loizelet, secrétaire général de l’ANCDGP, note que « les plates-formes réfléchissent à la mise en place d’un statut de quasi-agent commercial pour les CGPI avec une part fixe faible et une rémunération pour l’acte de vente qui ne sera plus accompli en qualité de CIF mais de mandataire d’une entreprise d’investissement. Le CGPI perd définitivement la propriété de la clientèle mais ce schéma peut être obligé pour les professionnels réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 100.000 euros car les coûts de compliance vont exploser ».
Chez Maupassant Partenaires, « les cabinets auront le choix de conserver leurs conventions en direct avec les entités qui composent Maupassant ou de devenir à leur initiative agents liés de la plate-forme au travers d’une clause de substitution ». Autre schéma, parmi les possibles : les fonds dédiés. Comme le souligne Louis-Grégoire Logre, associé chez Agama Conseil, « le schéma dans lequel le CGPI distribue l’OPCVM ou le fonds d’investissement alternatif (FIA) et perçoit une rémunération en conséquence sous forme de rétrocessions d’une part, et d’autre part perçoit, à travers une autre entité, des honoraires ou des jetons de présence pour la prestation de conseil prodiguée à la société de gestion de portefeuille est à éviter. Cette situation engendre en effet de potentiels conflits d'intérêts et le risque de ne pas respecter le principe de défense de la primauté des intérêts des clients. La réglementation exige en outre d’assurer une totale transparence des schémas de rémunération retenus vis-à-vis des clients. » Plus généralement, les CGPI devront veiller à ne pas être rémunérés pour une prestation fictive.
Les associations dans l'attente.
Les associations professionnelles, à commencer par l'AFG (lire l'avis d'expert), restent mesurées sur les différentes solutions qui émergent depuis plusieurs mois. Ainsi, Jean-Pierre Rondeau, président de La Compagnie des CGPI, confiant dans le maintien du modèle économique des CGPI, voit à travers les offres des fournisseurs le souhait de ces derniers de les lier définitivement. « Globalement, nous ne sommes pas favorables aux produits qui consisteraient à contourner une législation dans un sens visant à en détourner son essence. Si l’anticipation à des vertus, elle peut aussi avoir des effets indésirables ! Arrêtons de secouer l’épouvantail de la mort de la profession et concertons nous pour montrer la conjugaison qu’il existe entre la défense de tous les épargnants et notre modèle économique actuel », estime Thierry Moreau, président de la CIP.
David Charlet, président de l’Anacofi CIF, ne se positionne pas sur ces alternatives « car le texte final attendu étant, par nature, actuellement inconnu, on ne peut pas garantir que le système mis en place permettra de préserver le modèle économique des CGPI. Je note juste, et nous le disons à ceux qui veulent bien l’entendre, qu’au regard de ce que nous savons des versions possibles des textes, il y a toujours un point faible dans les montages proposés. Par contre, nous entendons le message de nos partenaires qui essayent, je l’espère, de nous signifier que nous trouverons ensemble des solutions ».
Des régulateurs plus regardants.
En revanche, les CGPI devraient davantage se préoccuper d’une mise en conformité avec les textes en vigueur et s’atteler à respecter les exigences des régulateurs qui se concentrent depuis peu, sur la gestion des conflits d’intérêts et l’information de la clientèle sur les rétrocessions de commissions. La position de l’Autorité des marchés financiers (AMF) de juillet dernier ainsi que les contrôles opérés, aussi minces soient-ils, en témoignent (lire l'avis d'expert). Dans sa recommandation n°2013-10, « l’AMF ne considère comme légitimes les rémunérations dans la durée en suite d’un service de conseil en investissements que si elles s’accompagnent d’une amélioration du service rendu au client sur la durée, cette amélioration consistant à prendre périodiquement l’attache de son client selon une périodicité qui ne peut être supérieure à un an, de façon personnalisée selon des modalités prédéfinies et portées à la connaissance du client dès la fourniture du conseil en investissements initial, et ce afin de s’assurer que le produit initialement proposé est toujours adapté au profil du client ». L’AMF précise que cet entretien doit être consacré prioritairement à la vérification de l’adéquation dans la durée des produits conseillés, vérifications qui devront être formalisées.
Le régulateur laisse par ailleurs une marge de manœuvre dans la périodicité du contact sous réserve que le conseiller apporte la preuve que la situation du client ne justifie pas un entretien annuel, étant précisé que cette périodicité ne peut excéder une durée de trois ans. Autre point, selon l’AMF, justifiant la rémunération sur la durée : la mise en place d’un mécanisme de réaction lorsque la performance est différente de celle présentée au client lors de la souscription de l’instrument financier.
Une première sanction.
Fin octobre, l’AMF a rendu une première décision de sanction à l’encontre d’un CGPI pour défaut d’information sur ses rémunérations à la suite d’un contrôle mené concomitamment par l’ACPR à l’automne 2011. L’AMF sanctionne également le cabinet pour manquement à l’exigence d’adresser à ses clients une information exacte, claire et non trompeuse dans le cadre de la commercialisation d’instruments financiers complexes (position de l’AMF n°2010-05) et non-respect de l’obligation de formalisation du conseil fourni, étant précisé que le grief relatif au caractère inadapté des conseils formulés a été écarté en l’absence d’éléments suffisamment probants . Cette décision illustre néanmoins la volonté de l’AMF, comme le fait déjà l’ACPR, de vérifier l’adéquation du conseil fourni à la situation du client.
Quant au manque de transparence dans la perception de commissions, la Commission des sanctions relève que le CIF a fourni une information insuffisante à ses clients. Elle rappelle que, conformément à l’article 325-6, 2° a) de son Règlement général, le CIF doit délivrer à ses clients une information complète, exacte et compréhensible quant au montant ou au mode de calcul de sa rémunération. L'AMF précise aussi que l’indication de la rémunération perçue par les commercialisateurs des produits dans les documents commerciaux adressés par l’émetteur et soumis aux clients avant toute souscription ne permet pas de s’acquitter de cette obligation. « Ces informations doivent être fournies par le CIF lui-même à ses clients », souligne le régulateur, ajoutant par ailleurs que « les documents commerciaux établis par l’émetteur sont imprécis alors que la société X disposait d’informations bien plus claires ; qu’à titre d’exemple, selon les annexes à la convention de partenariat conclue avec la plate-forme de produits structurés et relatives au produit ‘CLN Y’, la société X percevait une commission dite ‘up-front’ de 2,10 %, pour le produit secondaire, et de 2,75 % pour le produit primaire. » Il s’agit d’une première décision en la matière et si l’ACPR a également diligenté un contrôle, elle n’a pas pour le moment rendu de décision analogue pour la distribution de contrats d’assurance vie.
Quid de la propriété de la clientèle ?
Dès lors que la rémunération du CGPI sur les encours doit être justifiée par un conseil sur la durée, « on change de paradigme dans la mesure où la valeur d’un cabinet reposera non plus sur le stock des contrats mais sur le suivi des clients », remarque Philippe Loizelet. Pour ne prendre que l’exemple de l’option de gestion conseillée d’Oddo, le CGPI ne sera plus commissionné sur les encours mais au titre du conseil alloué au client qui devra être formalisé par un contact au moins une fois par trimestre. Cette option répond aux attentes de l’ACPR de conseiller le client sur la durée du contrat d’assurance vie. « Qu’advient-il si le CGPI n’accompli pas ses obligations ?, poursuit Philippe Loizelet. Le fournisseur – plate-forme, compagnie d’assurances ou société de gestion – peut-il agir en lieu et place de celui-ci, voire transférer le client à un autre professionnel, mettant à mal la propriété de la clientèle, à ce jour reconnue ? Le CGPI sera-t-il en droit, à l’aune du troisième usage du courtage, de continuer à percevoir des rétrocessions sur sa production ? »Autant de questions qui devraient être réglées contractuellement ou que les tribunaux seront amenés à trancher.
La voie judiciaire.
Enfin, si les CGPI sont rarement sanctionnés pour manque de transparence sur leurs rémunérations, comme c'est aussi le cas pour les banques, en revanche, il n’est pas improbable que les clients mécontents attaqueront demain sur ce fondement. La décision de la Cour d’appel de Paris du 26 septembre dernier ouvre la voie. Dans cette affaire opposant une société minière calédonienne et la Société Générale, « la Cour d’appel relève que la banque, professionnelle des opérations de couverture, a une obligation d’information et de conseil envers sa cliente qui cherche à protéger sa production de nickel des risques de fluctuation du marché financier des matières premières. Les magistrats considèrent que la banque avait le devoir d’informer sa cliente de la manière dont elle va se rémunérer pour sa prestation, même dans le cadre d’une opération à prime nulle, et ce par ‘loyauté et transparence’ », indique Sylvestre Tandeau de Marsac, qui estime que « cette décision impose une transparence sur la marge commerciale perçue par la banque et non pas seulement sur la rémunération du service supporté par le client ».
La pratique des fonds dédiés pourrait également être sanctionnée par les juges. Hélène Feron-Poloni , avocate, défend un client ayant investi dans un produit similaire : « Nous avons assigné en responsabilité un CGPI ayant fait signer à notre client un contrat d’assurance vie luxembourgeois en mettant en exergue l’existence d’un conflit d’intérêts dans la commercialisation de ce contrat créé spécifiquement pour ce CGPI, lui-même dirigeant d’une autre structure gérant les fonds de cette assurance vie présentant des frais pour le moins élevés. »
(1) European Securities and Markets Authorithy, l'Autorité européenne des marchés financiers.