
Le verrou de Bercy entrave-t-il la lutte contre la fraude fiscale ?

Nous souhaitons apporter un regard de praticiens au débat. Si, en l’état, la situation n’est pas satisfaisante, selon nous, les attaques actuelles procèdent plus d’une recherche perpétuelle de la transparence que d’un souci de préservation des droits du contribuable.
Liberté du parquet. En premier lieu, nous ne sommes pas convaincus par les reproches adressés au verrou de Bercy. Il ne nous semble pas que les parquets soient démunis à l’égard des fraudeurs fiscaux. Le blanchiment de fraude fiscale étant une infraction de conséquence autonome, il est constitué dans la grande majorité des dossiers frauduleux. En pratique, les parquets sont d’ores et déjà libres de mettre en œuvre l’action publique dans ces dossiers. L’affaire Cahuzac en a été une illustration : une enquête préliminaire a été ouverte en janvier 2013 par le parquet de Paris, alors que la plainte de l’administration fiscale a été déposée trois mois plus tard.
Le mythe de la rétention de dossiers. Les critiques sur les dérives du fisc dans l’opportunité de transmettre, ou non, les dossiers à la justice ne nous paraissent pas non plus justifiées. L’idée reçue selon laquelle le fisc disposerait de dossiers de fraude clairement établie mais ne les transmettrait pas à la justice en contrepartie du règlement de la créance fiscale nous semble relever du fantasme. En réalité, les seuls dossiers où une discussion reste possible sont ceux pour lesquels la qualification frauduleuse est douteuse et constitue un argument de négociation pour le fisc.
Le « verrou », une garantie pour les contribuables. S’agissant des dossiers transmis à la justice, ledit verrou représente une sécurité pour les redevables. Rappelons d’abord que la faculté pour Bercy de déposer plainte ne peut s’exercer que sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales [CIF]. Ce dispositif permet d’éviter chaque année, dans 50 à 90 dossiers, le dépôt d’une plainte lorsque la CIF ne partage pas la qualification frauduleuse retenue par le fisc. Cette CIF étant composée presque exclusivement de magistrats, il serait douteux de remettre en cause sa sincérité sur la qualification des faits qui lui sont soumis. Ainsi, il nous semble que le verrou de Bercy constitue une garantie pour tous les intervenants : en filtrant les dossiers les plus douteux, il évite des procédures longues, éprouvantes pour les contribuables et chronophages pour les magistrats.
De l’opportunité de généraliser le « verrou ». Nous sommes d’avis que la suppression du verrou ne serait pas judicieuse. En quoi pourrait-elle être bénéfique, dans la mesure où le ministère public peut déjà contourner ce mécanisme ? À ce jour, l’effet le plus prévisible ne serait-il pas d’achever de saturer les parquets ? Enfin, si le nombre de dossiers transmis au ministère public augmentait, faute de filtre, il serait permis de douter d’une réelle augmentation des condamnations. Au contraire, afin d’en améliorer l’efficacité, voire d’en généraliser les effets, il pourrait être envisagé d’étendre le verrou de Bercy à l’ensemble des délits fiscaux, en ce compris le blanchiment et l’escroquerie. L’édifice actuel des infractions pénales fiscales n’apparaît plus vraiment logique.
Renforcer les pouvoirs de la CIF. Une autre piste serait d’instaurer un débat contradictoire devant la CIF, pour mieux distinguer les dossiers non frauduleux, reposant sur un réel débat technique avec l’administration fiscale, de ceux pour lesquels la fraude est caractérisée. De plus, doter la CIF d’un pouvoir d’auto-saisine mettrait un terme aux critiques sur les critères de transmission des dossiers par le fisc. Le verrou de Bercy étant menacé, il nous semble opportun de le replacer dans un objectif plus large de recherche d’efficacité dans la lutte contre la fraude fiscale. D’après le nombre d’auditions de la mission parlementaire en cours, nous pouvons espérer que l’intérêt d’étendre le verrou à l’ensemble de la procédure n’aura pas échappé aux parlementaires.