
Le statut de CGP-CIF en voie de consécration

Peut-être assistons-nous à la reconnaissance réglementaire du statut de conseil en gestion de patrimoine-conseil en investissement financier (CGP-CIF) là où les représentants de la Place ont échoué dans le passé. À l’initiative des autorités, un pas a été franchi au printemps 2018 via la publication de textes références. À commencer par l’arrêté du 23 février 2018 (1) qui modifie le règlement général de l’AMF (RGAMF) afin de tenir compte de la directive MIF2. Fondamental, il organise toute la relation d’affaire du conseiller vis-à-vis de son client mais aussi de ses fournisseurs. Au regard de son incidence, l’exécutif a laissé jusqu’au 8 juin 2018 aux CIF pour s’y conformer. À raison, selon Benoist Lombard, le président de la CNCGP : «À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de l’ensemble des outils techniques nécessaires à une mise en conformité, adaptée et simple, de l’ensemble de nos process» (lire l’encadré).
Un fastidieux travail d’agrégation à prévoir. Les conseillers ne sont peut-être pas encore opérationnels, pour autant ils ont pris la mesure de la tâche qui les attend, notamment en matière d’information de leur clientèle. À leur destination, un guide publié par l’AMF sur son site internet, à l’automne 2017, a repris les grandes règles applicables à l’agrégation des données portant sur les coûts et les frais liés à l’activité de conseil. Une telle démarche doit d’ailleurs être effectuée lors de la recommandation et de la vente de produits financiers. Il en découle une obligation d’informer sa clientèle une fois l’opération réalisée, chaque année et en personnalisant les informations communiquées, ce qui revient à mettre en relation ces données avec la performance de l’investissement.
Du principe à la pratique. Force est de constater que l’application de cette règle est loin d’être une sinécure, notamment dans les situations d’offres de services multiples où différents intervenants sont appelés à intervenir. Pour Jean-Marc Fourré et Vincent Boisseau, associés, du cabinet de conseil Opadeo, il s’agit d’un sujet essentiel. «Du point de vue d’un client, cette information est délivrée par son conseiller, qui est appréhendé comme l’unique interlocuteur. On mesure le poids que représente une telle charge pour un CIF.» Dans la pratique, il incombera à cet intermédiaire de clarifier les différentes prestations qui seront présentées au client. C’est en tout cas l’avis de ces experts : «Le CIF pourra ranger les coûts et les frais en trois catégories : ceux relevant de la fabrication du produit, ceux relevant de sa distribution et enfin ceux représentés par le conseil en lui-même. Évidemment, récupérer des informations sur les deux premières catégories de coûts peut représenter une certaine gageure. En ce qui concerne la tarification du conseil, c’est clairement un moyen de développer les honoraires.»
L’information a priori et a posteriori. En ce qui concerne par exemple les frais ex ante, dans le détail, il ressort du RGAMF modifié que leur appréciation doit reposer sur une «estimation raisonnable». L’article 325-14 mentionne cette éventualité «lorsque les coûts réels ne sont pas disponibles». Sur le terrain, «il s’agit d’intégrer et d’automatiser la gestion des fichiers transmis par les fournisseurs, normalisés au regard des contraintes MIF2 et désignés sous le terme “EMT”, avant d’obtenir un coût global automatisé, explique Benoist Lombard. Un tel travail a d’ailleurs été entrepris par la CNCGP avec les éditeurs de solutions informatiques.» Pour l’ensemble des CIF, le report au 8 juin est d’autant plus appréciable qu’ils dépendent largement de ces prestataires pour fixer leurs processus opérationnels.
La présentation du produit financier. Cette révision à la hausse des exigences attendues du CIF se confirme. Lorsqu’il présente des produits, «une contrainte importante est posée, témoigne Philippe Glaser, avocat associé, Taylor Wessing. Il ressort de la lecture de l’article 325-12 que, lorsque les informations délivrées au client contiennent une indication des performances passées, ces données doivent couvrir les performances des cinq dernières années. En d’autres termes, lorsqu’il a déjà noué une relation d’affaires, le conseiller doit être en capacité de rendre compte des préconisations qu’il a présentées durant cette période.» Autre information à intégrer dans ces documents commerciaux : les performances passées ne préjugent pas des performances futures. «Cette présentation semblait évidente, le législateur considère qu’elle devra apparaître clairement», poursuit l’avocat.
Une mise en garde et une prestation de conseil… À destination des CIF, Hugues Bouchetemble, avocat associé, de Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP, rappelle que la lettre de mission, qui doit mentionner le caractère indépendant ou non indépendant de l’activité du CIF, est «renforcée» et que le devoir de mise en garde est «consacré dans la loi» à l’article 325-6 du RGAMF. L’obligation de conseil est aussi traitée, le suivi doit être effectué en continu par le biais d’une évaluation périodique du caractère adapté du service et des produits. Plus précisément, selon l’article 325-17, ce suivi doit être assuré à partir du moment où le service proposé le nécessite, ou plutôt «l’implique», comme il est évoqué dans l’arrêté. Ce qui revient à un examen annuel, voire davantage. Tout dépendra du profil de risque du client et du type d’instruments financiers recommandés.
… À l’intention d’un client parfaitement identifié. Selon l’article 325-8, si le CIF ne dispose pas de l’ensemble des informations attendues de son client, il s’impose à lui de s’abstenir de toute recommandation. Ce qui distingue fortement le conseil financier du conseil en assurance vie, où l’absence de remise des informations entraîne une mise en garde seulement (lire p. 15). La bonne connaissance du client s’est imposée comme une priorité et notamment en ce qui concerne les personnes morales : «Il faudra déterminer quel est le représentant dont on devrait s’assurer, entre autres, du niveau de connaissances», indique Philippe Glaser. À charge pour le CIF de prévoir «une procédure visant à déterminer qui fera l’objet de l’évaluation de l’adéquation et la façon dont elle sera matérialisée».
Des procédures à formaliser. D’ailleurs, il ne s’agit pas de l’unique travail de formalisation à la charge des cabinets de CIF. Hugues Bouchetemble retient qu’il est désormais inscrit, à l’article 325-2-1 du RGAMF modifié, «la mise en place d’un programme d’activités, comme le font les banques et les prestataires de service d’investissement [PSI]». Ce qui revient, pour le CIF, à indiquer le type d’activités qu’il envisage ou, entre autres, la manière dont sera organisé son cabinet. À charge pour les associations de CIF d’en vérifier le contenu. L’avocat relève également, à l’article 325-8, «l’obligation de détenir des procédures de suitability (adéquation) à la manière d’un PSI».
Un alignement sur les établissements agréés. Une situation qui conduit l’expert à considérer que, «de par ce symbole du programme d’activités, jusque-là réservé aux banques, un cap est véritablement franchi : on quitte le monde d’activités régulées vers un monde totalement aligné sur celui des établissements agréés». Une autre orientation s’inscrit en complément de cette réflexion : «Une reprise à droit constant des obligations de MIF2, en les adaptant, très peu toutefois, aux CIF. Désormais, plus grand-chose ne les distingue des PSI en matière de règles de bonne conduite.» Soit, là encore, un important travail de mise à niveau, si l’on en croit Hugues Bouchetemble, au regard de «l’énorme fossé culturel» qui existe en matière de réglementation. Pour preuve, la commission des sanctions de l’AMF a récemment sanctionné un CIF, entre autres, en l’absence de remise de lettres de mission.
Une structuration interne concernée. L’application à la lettre de la directive MIF2 n’aura pas qu’une incidence sur les procédures. Elle va jouer sur l’organisation des cabinets. «Si le CIF déclare à son client qu’il réalise une partie de son activité de conseil de manière indépendante, pour ce qui relève du conseil non indépendant, celui-ci devra être assuré par un autre salarié de la structure, retient Philippe Glaser. On peut d’ores et déjà mesurer l’impact de cette disposition pour les plus petites structures.» Cette règle est posée à l’article 325-18 du RGAMF, «le CIF n’autorise pas les personnes physiques qu’il emploie à fournir à la fois des conseils indépendants et des conseils non indépendants». Par ailleurs, la prévention des conflits d’intérêts comporte un autre impératif : «Pour les dirigeants de cabinets, il est désormais question de “surveiller” leurs effectifs puisque les conseillers qui se trouvent dans une situation de risque potentiel de conflit d’intérêts ne devront pas s’échanger d’informations», signale l’avocat. Une règle posée à l’article 325-29, dont on voit mal comment elle pourrait être respectée en pratique.
Une adaptation continue du statut de CIF. Confrontés aux lourdeurs du statut de CIF codifié par le RGAMF, des acteurs de la distribution de produits d’épargne se sont interrogés sur la pertinence de l’abandonner, un tel niveau d’exigence étant de nature à susciter la critique (lire l’encadré). Un choix que Benoist Lombard condamne : «Le statut de CIF est par nature réservé aux CGP. Par définition, on ne peut pas prétendre à l’exercice du conseil en gestion de patrimoine si l’on ne fournit pas une préconisation financière régulée et balisée par la réglementation associée. Prétendre exercer hors du statut de CIF, c’est exclure de ses préconisations une importante palette de solutions financières. Dès lors, en quoi s’agit-il d’une approche cohérente adaptée à l’intérêt du client ?»
L’exclusion du haut de bilan. Au niveau des autorités aussi, la question de savoir si l’imposante réglementation propre aux CIF trouvait à s’appliquer à tous les types de prestations de conseil s’est posée. Certains opérateurs pouvaient-ils quitter le statut de CIF ? Une interrogation finalement tranchée par l’AMF dans une position du 14 mars 2018 (2). Il est désormais question de distinguer le statut de CIF régulé du conseil en haut de bilan, dont l’exercice est libre, à partir de l’objectif poursuivi par le client. Cette activité est de nature entrepreneuriale, le conseil est libre, c’est-à-dire non régulé. En revanche, si l’objectif est de nature patrimoniale, c’est le cas lorsque le client cherche à se constituer une épargne ou un rendement financier régulier, par exemple, alors le conseil relève du CIF en vertu de l’article L.321-1 du Code monétaire et financier.
Le pragmatisme de l’AMF. Et si la même opération poursuit les deux objectifs, lors du départ à la retraite d’un dirigeant par exemple ? Le régulateur considère que la qualification de la mission de conseil offerte au client requiert «une analyse in concreto de sa nature, s’appuyant sur les critères identifiés». Comment ? En appréciant les différences entre les prestations rendues. À commencer par les diligences à réaliser pour connaître le besoin du client. Dans le conseil en haut de bilan, elles portent entre autres sur les fondamentaux de l’entreprise. La mission de recherche proprement dite doit également être analysée. Dans un cas, le conseiller accompagne son client dans la recherche des contreparties. Dans l’autre, il s’agira d’instruments financiers. Finalement, le régulateur s’est voulu pragmatique, de quoi permettre aux conseillers de se positionner.
Une position de l’AMF qui dérange. Sauf que cette évolution réglementaire n’est pas de nature à convaincre les associations représentatives des intérêts des CIF et des conseils en haut de bilan (lire l’encadré). David Charlet, le président de l’Anacofi, prend position : «Ce qui nous dérange, ce n’est pas un problème sur le fond. Au départ, nous avons souhaité stabiliser ce mode opératoire en partant du constat que les protocoles tels que la recommandation personnalisée sous la forme prévue pour les CIF ne sont pas adaptés au conseil en haut de bilan.» En quoi cette position pose-t-elle difficultés ? «On ne voit pas qui veille désormais au contrôle des conseils en haut de bilan, résume-t‑il, et ce alors même qu’au regard du droit européen, rien n’empêche que cette activité soit intégrée à la réglementation CIF et que des contraintes existent quand même pour le corporate finance.»
La gouvernance produit détaillée. Dernière initiative en date qui permet d’approfondir le champ d’intervention des CIF, l’AMF a publié le 12 avril 2018 une position sur la «gouvernance produits» pour les prestataires de services d’investissement (3). Elle est importante en ce qu’elle prévoit la possibilité pour le distributeur de vendre des produits en dehors de leur marché cible, notamment à des fins de diversification. Est visée la recommandation qui satisfait aux exigences d’adéquation évaluées au niveau du portefeuille du client. Ce qui est de nature à inspirer les CIF dans l’exercice de leur devoir de conseil.
(1) Arrêté portant homologation des modifications du règlement général de l’AMF (RGAMF). Journal officiel (JORF) du 8 mars 2018.
(2) Position DOC 2018-03.
(3) Position DOC 2018-04.
Des discussions sur le retrait d’adhésion
La mise en œuvre du RGAMF modifié incombe pour partie aux associations représentatives (1). Par exemple, des travaux sont en cours avec l’AMF afin de définir à quel moment le retrait du statut de CIF doit être prononcé. «Pour notre part, nous sommes opposés à l’éventualité d’un retrait en l’absence d’exercice d’activité pendant au moins six mois. Ce délai doit être porté a minima annuellement, et ce, à l’occasion de la collecte Fracif», revendique Benoist Lombard, le président de la CNCGP. Au niveau des associations, d’autres échanges sont en cours à propos de leur dispositif de gouvernance, à commencer par la gestion des conflits d’intérêts par les élus au titre de leurs mandats. «Sur ce point, la CNCGP souhaite que les pratiques de transparence mises en place soit étendues aux élus des autres associations», annonce-t-il.
(1) Les associations représentatives des CIF agréées par l’AMF sont l’Anacofi, la CNCGP, la chambre des CGPI et la CNCIF. L’ANCDGP n’en fait pas partie.
«Il manque un statut de courtier financier»
Philippe Loizelet, président de l’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP).
Vous êtes critique à l’égard du statut de CIF. Pourquoi ?
Selon nous, c’est ce lien de dépendance qui existe aujourd’hui entre les CIF et leurs fournisseurs qui est préjudiciable à la profession. Il ne peut y avoir d’indépendance totale des conseillers dès lors qu’ils doivent s’engager, par exemple, sur des volumes de collectes ou des encours sous gestion, auprès de leurs partenaires, via des chartes de commercialisation. Dès lors, bien loin des premiers projets réglementaires de 2003 excluant les incitations de toutes sortes, le statut de CIF est, à mon sens, galvaudé puisque considéré uniquement comme un circuit de distribution, les dispositions réglementaires mises en œuvre en 2018 renforçant la contractualisation avec les fournisseurs.
Vous défendez un statut de courtier financier. De quoi s’agit-il ?
Il manque, depuis 2003, un statut de courtier financier où l’exercice du métier de conseil serait indépendant d’un point de vue économique des promoteurs. Ce statut ouvrant, dès lors, l’accès, à des conditions uniformes d’intermédiation, à l’ensemble des produits et services d’investissements.
L’intégralité de cette position est à lire en ligne sur agefiactifs.com.
Réorganisation à l’œuvre pour les associations haut de bilan
La suppression de l’agrément pour l’exercice de l’activité de conseil en haut de bilan a une incidence pour les associations qui regroupaient ces spécialistes du conseil aux entreprises.
Délai de réflexion. «Sur l’ensemble de nos membres, une soixantaine sont pleinement concernés par ce dispositif. À côté, certaines structures qui sont présentes sur d’autres activités de conseil ont conservé le statut de CIF. À l’Acifte, sur 320 entreprises membres, moins de 200 auraient conservé le statut CIF», relève David Charlet, le président de l’Anacofi. L’année 2018 devrait être l’occasion pour les adhérents des associations de CIF concernés de s’interroger sur la pertinence de sortir du statut de CIF et des exigences, en termes de formations, par exemple, qu’il impose. Concrètement, les assurances RC professionnelles de ces acteurs devraient continuer à les assurer, mais à des tarifs nettement supérieurs.
Regroupement. De leur côté, la CNCIF et l’Acifte ont annoncé leur rapprochement. Stéphane Fantuz, le président de la CNCIF, résume la situation. «Nos membres spécialisés en haut de bilan vont rejoindre l’Acifte. Ceux de l’Acifte qui réalisent du conseil aux institutionnels vont rejoindre la CNCIF. L’Acifte se place sous l’égide de la CNCEF. Notre pôle dédié aux CIF en sort renforcé, ainsi que celui dédié aux conseils en haut de bilan. Nous allons maintenant construire une autorégulation du conseil en haut de bilan.» Les conseils en financement d’entreprises «resteront à deux groupes de joueurs», annonce David Charlet, répartis entre l’Anacofi et le CNCEF. «La première urgence est d’accompagner nos membres dans nos réflexions. Pour mémoire, nous étions d’accord pour travailler sur des normes communes de Place dans l’objectif sans l’intervention du régulateur en adaptant par exemple le protocole CIF.»