Sociétés de gestion

Le spécialiste produits recherche encore sa place en France

Moins connu en France que dans le monde anglo-saxon, les spécialistes produits évoluent chez les gestionnaires d’actifs de taille importante en tant que portes-parole des gérants et supports des commerciaux - Leurs rôles et leurs profils varient en fonction des gestionnaires. Ces derniers s’accordent toutefois sur un point : l’immersion des spécialistes avec les équipes de gestion est indispensable.

Quel est ce profil capable de se mettre dans la peau d’un gérant et de revêtir l’habit de commercial pour promouvoir les produits d’une classe d’actifs aux côtés des habituels vendeurs d’une société de gestion ? Ce mouton à cinq pattes que les recruteurs décrivent avec tant de peine... Le spécialiste produits, communément dénommé sous l’anglicisme product specialist, est une trouvaille anglo-saxonne importée en France depuis une dizaine d’années environ. Il n’est pas gérant, mais gagne à l’avoir été, il n’est pas commercial non plus, mais doit en avoir les qualités, il est simplement défini comme « l’interface entre les activités de gestion, de marketing et de ventes », avec un rôle variable cependant en fonction de la taille et de la stratégie des différentes maisons de gestion.

Le spécialiste produits a dû lutter pour trouver sa place. Il faut admettre que lorsqu’un fond présente une bonne performance, même un commercial n’est pas indispensable. En tout état de cause, c’est au vendeur qu’on attribue la conclusion d’une affaire et au gérant, les performances. Autant dire que le spécialiste produits doit être reconnu par ses pairs pour ne pas être considéré comme un simple centre de coût. D’ailleurs, les sociétés de gestion de taille moyenne se passent souvent fort bien de ses services, laissant au gérant le soin d’accompagner les commerciaux en rendez-vous client. Il n’en va pas de même pour les grandes structures qui ne peuvent mettre leurs gérants à la disposition des nombreuses équipes de vente lorsqu'une grande partie de leur chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger.

Relais des gérants.

« Les Anglo-Saxons n'inventent rien, ils répondent à un besoin », estime Pierre Perrin, directeur général d'Enthalpia, pôle recrutement, placement et gestion de flexibilité du groupe Hominis. Ce besoin ? Pallier le manque de proximité des gérants auprès de commerciaux qui diffusent l'offre de leur société de gestion à travers un pays aux dimensions continentales. Le gérant ne pouvant parcourir sans cesse le territoire au détriment de sa gestion, s'est naturellement imposée une fonction intermédiaire vouée à suppléer le gestionnaire de fonds dans son activité de développement.

En France, le spécialiste produits s'est doucement développé dans les grandes maisons de gestion comme étant le porte-parole du gérant, surtout à l'étranger. « Comment faire connaître notre gestion de l’Australie au Canada ou du Chili au Japon lorsqu’on ne dispose que de quelques gérants ? », explique Stéphane Mauppin, responsable de l’équipe product specialist actions et volatilité chez Amundi. Le caractère international de la clientèle des grands groupes suppose l’ajout d’un professionnel dans le circuit de distribution afin de remédier à la distance entre les gérants et les commerciaux ainsi qu'aux carences techniques de ces derniers au regard de l’étendue de la gamme à couvrir. Si la société souhaite que le gérant reste concentré sur sa gestion, elle n’a d’autre choix, face à la technicité croissance des clients et à la complexification des produits, que de disposer de personnes à même de diffuser les messages véhiculés par la gestion.

Reconnu indispensable aux Etats-Unis, le spécialiste produits ne bénéficie pas de la même estime en France. Demi-gérant ou demi-commercial, la définition n'est pas toujours flatteuse. Comme tout métier nouveau, le spécialiste produits souffre d'un positionnement flou et d'une reconnaissance insuffisante de la part de certaines directions générales et, par conséquent, de ses pairs.

Se faire accepter.

« Le poste a évolué en dix ans, témoigne Anthony Finan, responsable marketing et communication de BNPP IP et membre du comité exécutif, anciennement en charge de l'équipe spécialiste produits de BNPP AM pendant sept ans. La fonction n'est plus un parcours de formation pour accéder à la vente ou à la gestion, mais un métier à part entière que les collaborateurs exercent de manière durable. »

Peu connu à ses débuts, le spécialiste produits a dû faire sa propre promotion en interne, auprès des commerciaux notamment. Peu reconnu ensuite, il a dû démontrer son utilité pour se faire admettre. Et cette quête d'adoption dure toujours. « Le gérant est jugé sur ses performances, le commercial sur sa collecte. Comme toute fonction support, il faut prouver sa valeur ajoutée pour se faire accepter », indique Cyril Toma, ancien spécialiste produits chez JPMorgan AM, aujourd'hui directeur de l'équipe commerciale en France. « C’est un travail dont le bénéfice n'est pas immédiat. C'est lorsque surgissent les tensions qu'un interlocuteur capable de produire rapidement de l'information, de justifier les positions en portefeuilles ou de donner les valorisations va révéler tout son intérêt. C’est pour cela que je pense que, s'il n’a pas été gérant auparavant, le spécialiste produits sera difficilement adopté par les équipes commerciales comme interlocuteur apportant de la valeur ajoutée aux clients et risque d'être cantonné à la rédaction des documents (appels d’offres, brochures, rapports mensuels) », explique-t-il.

Différents profils.

Nombreux sont les professionnels qui s'accordent sur ce point : un ancien gérant fait un spécialiste produits légitime auprès de ses collègues comme auprès de la clientèle. « Paradoxalement, mon élément de crédibilité est de ne pas être gérant - pour ne pas mettre en avant un fonds plus qu'un autre - mais de l'avoir été. C'est cet antécédent qui instaure un rapport de confiance avec le client », explique Philippe Descheemaeker, responsable des spécialistes produits à la gestion obligataire d'Axa IM.

Pourtant, les parcours sont, somme toute, assez variés. « L'ancien gérant est extrêmement marginal », note Sophie de Bièvre, directeur de recherche de Vendôme Associés, spécialisée dans les métiers de la gestion d'actifs. « Les premières générations de spécialistes produits sont le plus souvent de formation universitaire, qui ont fait leurs premiers pas à la direction marketing d’une société pour appréhender ses activités et qui ont évolué par la suite vers ce type de poste », poursuit Denis Marcadet, président de Vendôme Associés. Il n’est pas inhabituel de retrouver un product manager - chef de produits responsable de la conception de la gamme - ou un chargé d’appels d’offres à cette fonction. « Chez BNPP IP, nous avons opté pour la complémentarité des parcours », déclare Anthony Finan, reconnaissant que certains produits « extrêmement techniques » nécessitent des formations d’actuaires ou d’ingénieurs. Ces formations sont d’ailleurs de plus en plus courtisées par les gestionnaires.

Pour l’heure, en fonction des classes d’actifs et des sociétés de gestion, les profils diffèrent. Les quotidiens également.

Proche de la gestion au quotidien.

Lorsque les équipes sont restreintes, le spécialiste produits est multitâche : Chez Aviva Investors par exemple, il cumule travaux de représentation et d’écriture. Pas le temps donc, de former un junior. Dans la plupart des cas en effet, les sociétés privilégient le vécu à la jeunesse.

Cependant, plus les structures sont de taille importante, plus la fonction est parcellisée. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver chez ces dernières des situations de binôme avec un junior à la rédaction des textes standards et des rapports de gestion, et un senior en développement commercial. Quel que soit le milieu dans lequel le spécialiste produits évolue, il est défini comme un maillon central de la communication interne et externe. Les conférences téléphoniques avec les prospects, les clients ou les commerciaux, c’est lui. Les remontées des besoins clients, c’est lui. Les notes de marchés, c’est encore lui.

D’où l’intérêt d’être physiquement proche de la gestion afin de transmettre de manière satisfaisante l’information auprès des commerciaux. Nos sociétés françaises l’ont bien compris. « Il est également essentiel que le specialiste produits soit intégré dans l'équipe de gestion. Il faut être immergé dans la gestion tous les matins, voir comment les portefeuilles évoluent, les flux de marché, le comportement des acteurs. Cela permet de restituer l'évolution des portefeuilles aux commerciaux et aux clients en les situant dans l'environnement de marché », témoigne Cyril Toma en tant qu’ancien spécialiste produits pour JPMorgan AM délocalisé à Paris. Aujourd’hui, la société de gestion ne dispose pas de spécialiste produits en France, mais c’est aussi le cas pour Invesco ou encore BlackRock.

Rattachement hiérarchique variable.

« Les sociétés de gestion se sont longtemps demandé à qui le spécialiste produits devait rapporter », rappelle Thierry Mageux, business development director de Robert Half. Au marketing, aux ventes, à la gestion, le rattachement hiérarchique est toujours discuté. Chez BNP Paribas IP, plusieurs modèles ont été expérimentés. Autrefois reliées aux ventes, les équipes de spécialistes produits sont aujourd’hui supervisées par le département marketing et communication. Chez Axa IM, ils dépendent de la gestion, mais seulement depuis le début de l’année. Auparavant, ils appartenaient à la distribution. Toutes les combinaisons sont donc possibles.

Pour les partisans de l’intégration au marketing, le rattachement à la gestion augmente la pression du producteur sur le distributeur, donc l’existence de possibles conflits d’intérêts. Pour les adeptes de l’annexion à la gestion, la fluidité de l’information prime. Et cette fluidité passe par l’adoption d’un responsable commun entre le gérant et le spécialiste.

Génération d’idées.

Qu’importe le rattachement pourvu que la communication s’opère. Car le spécialiste produits doit participer, par ses retours d’échanges clients, au renouvellement de produits distribués. A lui de tester ses idées auprès des commerciaux et des gérants puis de les soumettre au marketing qui, lors de comités produits, jugera ensuite en fonction des contraintes juridiques, fiscales, tarifaires et de rentabilité, du lancement d’un véhicule d’investissement et de son calendrier.

Eu égard à l’industrialisation et à la simplicité des gammes destinées à une clientèle de particuliers, le spécialiste produits est moins présent sur les canaux de distribution tels que les banques ou les conseillers indépendants. Et sa participation à la création de produits reste limitée. En revanche, face à des institutionnels exigeants, demandeurs de fonds dédiés, sa place se trouve davantage justifiée.

Les sociétés de gestion étrangères pour lesquelles disposer de spécialistes produits loin des centres de gestion semble être un inconvénient majeur, se sont beaucoup plus développées en distribution. Ces clients ne sollicitant pas de produits sur mesure, ce sont des directeurs commerciaux et des vendeurs qui prennent la relève.

Objectif vente.

Si la plupart des spécialistes produits ne sont pas rétribués directement sur les ventes des commerciaux en tant que telles, il n’empêche qu’ils sont toutefois notés sur leur contribution à la réalisation des objectifs des vendeurs. Car la fonction est bien une activité d’aide à la vente.

Du côté des rémunérations, un commercial expérimenté se verra proposer un salaire entre 70.000 et 110.000 euros, hors bonus. Tout dépend du canal de distribution sur lequel il est spécialisé, la clientèle institutionnelle permettant plutôt de côtoyer la fraction haute de la fourchette. Il n’y a pas d’homogénéité dans l’allocation des bonus, ces derniers variant en fonction de l’établissement. La partie variable représente en moyenne entre 30 % et 50 % du salaire mais peut monter jusqu’à 100 %, voire au-delà, les sociétés anglo-saxonnes étant les plus généreuses. Le spécialiste produits, lui, oscille entre 60.000 et 90.000 euros annuels.