Démembrement de propriété

Le régime du quasi-usufruit davantage précisé

La Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont validé de nombreuses utilisations du quasi-usufruit
Une bonne nouvelle pour le contribuable qui ne doit pas occulter les désavantages de cet outil
DR, Rosa Riche, responsable de l’ingénierie patrimoniale, Bordier & Cie France

Les stratégies patrimoniales en matière de démembrement de propriété font l’objet de nombreux rebondissements en jurisprudence. Différents points ont été précisés : le sort des réserves distribuées en présence de parts sociales démembrées, l’organisation d’un quasi-usufruit lors d’une opération de donation avant cession et, enfin, la détermination de l’assiette de l’impôt de plus-values lors d’une cession de valeurs mobilières démembrées.

Déductibilité de la dette de restitution de l’actif successoral…

Première question posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 mai 2015 (voir le tableau) : lorsqu’une société dont les titres sont démembrés décide de distribuer ses réserves, à qui reviennent ces dividendes ? Les réserves distribuées reviennent à l’usufruitier qui exerce sur elles son droit de jouissance sous la forme d’un quasi-usufruit, le nu-propriétaire retrouvant le bénéfice de ces réserves au décès de son parent usufruitier. La succession de ce dernier devient débitrice de cette somme. Fiscalement, cette dette de restitution diminue l’assiette des droits de mutation à titre gratuit réglés par le nu-propriétaire héritier.

… et de l’assiette de l’ISF.

La chambre commerciale a réaffirmé sa position un an plus tard, le 24 mai 2016 (L’Agefi Actifs n°679, p. 20), en prévoyant la déductibilité de la dette de restitution de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) du quasi-usufruitier. La portée est-elle restreinte au quasi-usufruit né de la seule distribution de réserves ? Jean-François Desbuquois, avocat associé chez Fidal, ne le pense pas : « Tout d’abord, la Haute juridiction a énoncé cette considération alors que la question ne lui était pas posée directement. En effet, l’arrêt portait sur une problématique d’évaluation des titres. Ensuite, la Cour de cassation a retenu la déductibilité du quasi-usufruit de l’assiette ISF comme un principe général. Enfin, l’arrêt, rendu en formation de section, a fait l’objet d’une publication au bulletin. »

Une distorsion créée par la première chambre civile.

Un arrêt de la première chambre civile du 22 juin 2016 de la Cour de cassation est ensuite venu semer le trouble. Il a prévu que les bénéfices mis en réserve, « qui constituent l’accroissement de l’actif social », reviennent au nu-propriétaire. La portée de l’arrêt est cependant discutée, certains y voyant une maladresse de rédaction résultant du cas d’espèce. « Pour sécuriser la situation, il faudra conseiller à nos clients, outre la tenue d’une assemblée générale (AG) prévoyant le report du démembrement sur les réserves distribuées, de conclure une convention de quasi-usufruit. Il faut cependant noter que la chambre civile n’a pas pris position sur la possibilité de conclure une telle convention », fait remarquer Vivien Streiff, notaire associé à Condé-sur-L’Escaut. A noter que certains experts conseillent la conclusion de cette convention de quasi-usufruit avant la tenue de l’AG (L’Agefi Actifs n°687, p. 16). Pour Jean-François Lucq, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez KBL Richelieu, « en l’absence de confirmation des arrêts de la chambre commerciale, il peut être conseillé de ne pas procéder à une mise en réserve du résultat en présence d’une situation familiale potentiellement conflictuelle, par exemple dans un ménage recomposé. Le résultat annuel pourra alors être porté à un compte de report à nouveau, sur lequel le droit de l’usufruitier reste incontestable ».

Donation avant cession…

Les opérations de donation avant cession ont également fait l’objet d’arrêts importants où l’éventualité du caractère abusif a été examinée. L’administration a estimé que la stipulation d’un quasi-usufruit sur le prix de cession conférait à l’usufruitier donateur la possibilité de se réapproprier l’intégralité des valeurs données. En effet, seule la fictivité de l’opération peut être invoquée en la matière, ce que différents arrêts ont récemment rappelé, à commencer par l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 février 2017. Dans cet arrêt, des parents ont procédé à la donation-partage de la nue-propriété de titres de société à leurs enfants. L’acte de donation a prévu qu’en cas de cession des titres, une partie du prix reçu reviendrait au donateur qui exercerait sur elle son usufruit sous la forme d’un quasi-usufruit.

L’administration fiscale a tenté de prouver la fictivité de la donation au motif que les sommes, objet du quasi-usufruit, n’ont pas été réellement données par les parents. D’ailleurs, aucune sûreté n’a été prévue pour garantir aux nus-propriétaires de retrouver la créance de restitution au moment de la succession de leur auteur. Le Conseil d’Etat n’a fait pas droit à la demande des services fiscaux au motif que les donateurs se sont dessaisis des biens ayant fait l’objet de la donation de manière effective et irrévocable.

... et quasi-usufruit dans l’acte de donation.

La Haute juridiction a relevé la licéité de la stipulation d’un quasi-usufruit conventionnel portant sur une somme d’argent, rappelant les termes de l’article 587 du Code civil. « Le Conseil d’Etat nous indique que les opérations licites qui ne sont pas fictives ne peuvent être attaquées sur le terrain de l’abus de droit », commente Nicole Goulard, avocat associé chez STCPartners. Le Conseil d’Etat a aussi rappelé que le quasi-usufruitier n’est pas tenu de donner caution en vertu de l’article 601 du Code civil. En conséquence, estime le Conseil d’Etat, « un acte de donation-partage peut valablement contenir une clause de quasi-usufruit non assortie d’une caution ». Pour Pierre Dedieu et Matias Labé, respectivement avocat associé et avocat counsel chez CMS Bureau Francis Lefebvre, « l’absence de sûreté n’est pas un élément suffisant pour prouver l’abus de droit ».

Dans une tribune publiée dans nos colonnes, Sandrine Quilici, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Pictet Wealth Management, a indiqué que cette décision était particulièrement importante au regard de l’impôt de plus-value (L’Agefi Actifs n°697, p. 22). L’experte conseille en outre, pour sécuriser l’opération, de prévoir « dans la convention de quasi-usufruit une obligation d’information des nus-propriétaires à la charge de l’usufruitier […]. De cette manière, les nus-propriétaires seraient en mesure de suivre le devenir de leur créance et d’exercer, le cas échéant, une action en abus de jouissance (article 618 du Code civil) à l’encontre d’un usufruitier peu scrupuleux […] ». Le rapporteur public, dans cette affaire, a d’ailleurs requis l’instauration d’une telle obligation d’information. Il a également imposé le placement des fonds et des titres qui font l’objet du quasi-usufruit sur un compte-titre spécifique, ainsi que l’inscription des intérêts des titres soumis au quasi-usufruit ou acquis en remploi sur un autre compte dédié.

« Cet arrêt est une bonne nouvelle pour le contribuable qui veut transmettre son entreprise car il faut rappeler qu’il n’existe pas de statut spécifique en matière de cession de titres démembrés. On observera cependant que l’administration voit souvent l’abus de droit dès lors que l’opération civile est sophistiquée. Une suspicion qui nuit au développement économique. L’utilisation du rescrit serait souhaitable dans certains cas », indique Nicolas Meurant, avocat associé chez Taj.

Clause d’inaliénabilité.

A noter que le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur la licéité d’une clause d’inaliénabilité dans l’acte de donation. « En outre, le Conseil d’Etat juge que le fait qu’une partie du prix de cession ait été remployée dans l’acquisition de titres d’une société civile de gestion patrimoniale dont les statuts octroient au donateur des pouvoirs étendus de décision n’est pas en soi susceptible de remettre en cause la réalité de la donation », relève Nicole Goulard, avocat chez STCPartners.

Abus de droit.

L’arrêt du 10 février 2017 est à mettre en regard avec celui du 14 octobre 2015. Dans cette dernière affaire, un parent a donné la nue-propriété d’actions à ses enfants, l’acte de donation prévoyant le remploi du prix de cession, en cas de cession, dans des titres eux-mêmes démembrés. Le parent donataire était cependant bénéficiaire de l’intégralité du prix de cession. Ce dernier et ses enfants ont signé ensuite une convention par laquelle l’usufruit du parent est converti en quasi-usufruit. Le Conseil d’Etat a sanctionné la donation pour son caractère fictif, le donateur ayant récupéré une partie du prix de cession avant de réaliser une convention de quasi-usufruit pour régulariser la situation n’avait pas l’intention de « mettre ses enfants en possession de la nue-propriété soit de ces actions, soit d’autres titres démembrés comme stipulé dans l’acte de donation […] ».

Un quasi-usufruit valablement prévu…

Dans un arrêt du 31 mars 2017, le Conseil d’Etat a semblé assouplir sa position concernant la détermination du moment où le quasi-usufruit peut être exercé. En l’espèce, des parents ont donné la nue-propriété de titres à leurs enfants en prévoyant le report de leur usufruit sur le prix de cession puis sur les biens acquis en remploi, en cas de cession simultanée en usufruit et en nue-propriété des titres. Après la cession des titres, une convention conclue entre donateurs et donataires a réitéré la clause incluse dans la donation et six contrats de capitalisation ont été souscrits en démembrement. La convention a fixé également les pouvoirs des usufruitiers et les conditions dans lesquelles ces derniers peuvent procéder à des rachats partiels, voire total, des contrats. Les usufruitiers ont ainsi procédé à des rachats pouvant amputer le montant net investi. « Dans ces conditions, précise la convention, les [usufruitiers] exerceront alors un quasi-usufruit sur lesdites sommes mais resteront redevables vis-à-vis du nu-propriétaire d’une créance de restitution d’un montant équivalent. »

… et valablement exercé ultérieurement.

Le Conseil d’Etat a jugé l’absence de fictivité de la donation car « les usufruitiers donateurs se sont effectivement et irrévocablement dessaisis des biens ayant fait l’objet de la donation ». Ils sont restés redevables à l’égard des donataires d’une créance de restitution d’un montant équivalent. « Les considérants de l’arrêt du 10 février 2017 sont repris, à savoir la licéité de la clause de quasi-usufruit et le rappel que la dispense de sûreté stipulée dans l’acte de donation ne vaut pas réappropriation », relève Rosa Riche, responsable de l’ingénierie patrimoniale de Bordier & Cie France. Pour cette dernière, le Conseil d’Etat va plus loin que dans son arrêt du 10 février 2017 : « En phase avec la réalité de la vie économique, l’arrêt valide une certaine souplesse dans la gestion des biens acquis en remploi des titres – ici les contrats de capitalisation – dont la nue-propriété a été transmise par donation. »

Le quasi-usufruit pourrait-il être valablement prévu postérieurement à la donation ? Pour Pierre Dedieu et Matias Labé, « cette considération pourrait être défendue puisque le quasi-usufruit naît de la cession, pourquoi ne pas envisager la possibilité de son instauration entre la transmission à titre gratuit et la cession, voire concomitamment à la cession ? ».

Calcul de la plus-value de cession.

Un dernier arrêt du 11 mai 2017 a amélioré le calcul du prix d’acquisition pour l’impôt sur les plus-values issues de la cession de parts démembrées. En l’espèce, un père a donné la nue-propriété des titres d’une société à ses enfants et l’usufruit des mêmes titres à son épouse. Quelques mois après, les donataires ont vendu conjointement la nue-propriété et l’usufruit des titres en prévoyant le remploi de prix de cession dans un autre bien. Dans cette configuration, seuls les nus-propriétaires sont redevables de l’impôt de plus-value. Dans le calcul du prix d’acquisition, ils prennent en compte non seulement les frais globaux acquittés pour la détermination des droits de donation relatifs à la nue-propriété qu’ils ont reçue, mais aussi les droits que leur mère a acquitté pour recevoir son usufruit. L’administration remet en cause la prise en compte des frais d’acquisition réglée par cette dernière. Cependant, le Conseil d’Etat n’a pas fait droit aux prétentions des services fiscaux estimant que « le cédant est en droit de se prévaloir des frais acquittés par l’usufruitier pour l’acquisition de l’usufruit lorsqu’il calcule la plus-value imposable à raison de laquelle il est seul susceptible d’être taxé ».

Une application au quasi-usufruit ?

Pierre Dedieu et Matias Labé relèvent « qu’il semble ressortir de la logique de la décision, et par effet de symétrie, que dans l’hypothèse où l’usufruitier est seul redevable de l’impôt, il aurait la possibilité d’imputer les droits pris en charge par le nu-propriétaire dans le calcul de sa plus-value ». Des experts de Rothschild Patrimoine et de la Banque Martin Maurel ont également indiqué (L’Agefi Actifs n°702, p. 26) que « cet arrêt soulève également la question de savoir si, dans le cas d’une donation avec réserve d’usufruit, le nu-propriétaire redevable de l’impôt pourrait se prévaloir des abattements pour durée de détention de l’usufruitier ».