Prélèvements sociaux des non-résidents

Le débat n’est pas clos

L’affaire Jahin prive les travailleurs hors Union du droit à restitution des contributions sociales prélevées par la France
De nouvelles réclamations arrivent pour contester les cotisations perçues par Bercy à compter de 2016
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En 2012, la France a soumis aux prélèvements sociaux les revenus immobiliers de source française perçus par les non-résidents. Un dispositif remis en cause par l’arrêt « de Ruyter », rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en février 2015. Dans le prolongement de cette affaire, la Cour a été saisie du dossier Jahin (1), dont la problématique est similaire à celle de l’arrêt de Ruyter.

Droit à restitution. Gérard de Ruyter exerce aux Pays-Bas et cotise à la Sécurité sociale hollandaise. Du fait de sa qualité de résident fiscal français, ses revenus sont assujettis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux (PS) français, en dépit du principe d’unicité d’affiliation posé par le règlement communautaire de 2004. Sur ce fondement, Gérard de Ruyter a interrogé la CJUE pour savoir si la France était fondée à prélever des contributions sociales sur ses revenus alors qu’il relevait de la législation sociale d’un autre Etat membre de l’Union européenne (UE). Le 26 février 2015, la Cour tranche et rappelle qu’il n’y a pas de cumul possible des législations sociales. En conclusion, le « travailleur migrant » affilié à la Sécurité sociale du pays qui l’emploie cotise auprès du seul système social de cet Etat. Il ne peut pas être soumis dans son Etat de résidence à des cotisations qui financent directement les organismes sociaux nationaux auxquels il n’est pas rattaché. Sanctionnée par la CJUE, la France a procédé au remboursement des cotisations sociales indument perçues entre 2012 et 2015. Bercy prend acte de l’arrêt de Ruyter, à une exception près, puisque l’administration ne reconnaît le droit à restitution qu’aux travailleurs affiliés à un régime de Sécurité sociale de l’Espace économique européen (EEE). Aucune réclamation n’est acceptée de la part des ressortissants cotisant auprès d’un Etat tiers.

Affaire Jahin. Frédéric Jahin, affilié à un régime de Sécurité sociale chinois, conteste devant la CJUE cette différence de traitement. Il perçoit des revenus immobiliers dans l’Hexagone, sur lesquels la France recouvre des prélèvements sociaux. « En pratique, la question posée revenait à savoir si l’arrêt de Ruyter pouvait être étendu à un ressortissant de l’EEE, résident et affilié dans un Etat tiers », précise Emilie Lecomte, avocate, cabinet August-Debouzy. Eve d’Onorio di Méo, avocate associée, cabinet d’Onorio di Méo, qui a défendu le dossier, a déposé un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat au motif que la discrimination fondée sur le lieu d’affiliation du ressortissant n’était pas conforme au principe de libre circulation des capitaux.

Décision de la CJUE. Dans ce second volet judicaire, la France obtient gain de cause. Le 18 janvier 2018, la Cour européenne reconnaît qu’il existe bien une distorsion de traitement, contraire a priori au principe de libre circulation. Pourtant, « les magistrats européens ont jugé que cette restriction à la liberté de circulation des capitaux était justifiée par la “différence objective” de situation existant entre un affilié à un régime social de l’EEE et Frédéric Jahin, assuré auprès d’un régime privé hors Union », explique Emilie Lecomte.

Stratégie de contournement. La France a décidé en 2016 du changement d’affectation des PS afin de les sortir du champ d’application du règlement de 2004, le principe d’unicité des cotisations ne valant selon les pouvoirs publics que pour les retenues contributives. Les cotisations sont devenues non contributives pour permettre à Bercy de recouvrer des PS indépendamment du pays d’affiliation des travailleurs. Ce subterfuge législatif « laisse planer de sérieux doutes. Le règlement communautaire vise toutes les cotisations sociales, peu importe qu’elles soient affectées au secteur contributif ou non », analysent Michaël Khayat et Arnaud Tailfer, avocats, cabinet Arkwood. Un raisonnement corroboré par certaines juridictions du fonds, qui contestent cette réaffectation.

Contentieux. « Un arrêt “de Ruyter bis” pourrait obliger la France à restituer les prélèvements sociaux qu’elle perçoit depuis 2016 auprès des affiliés communautaires. Compte tenu de l’avancement des procédures en cours, le délai pour obtenir une décision du Conseil d’Etat pourrait considérablement étendre la période sur laquelle des restitutions peuvent être demandées. Sous réserve, bien entendu, d’avoir introduit des réclamations dans les délais. Cette situation laisse perdurer une législation douteuse, dont la remise en cause représenterait des enjeux significatifs, ce qui n’est pas sans rappeler le dossier de la contribution de 3% », avertissent les avocats du cabinet Arkwood.

 

(1) CJUE, 18 janv. 2018, aff. C 45-17.