
Le Conseil d’État explicite la notion d’animation

Dans une décision du 13 juin 2018, le Conseil d’État a jugé que la holding devait avoir une activité à prépondérance commerciale pour être animatrice (L’Agefi actifs n°727, p. 19).
Un arrêt important parce qu’il émane du Conseil d’État réuni en assemblée plénière et qu’il tranche de manière inédite avec la jurisprudence des instances judiciaires. Or la plupart des dispositifs fiscaux qui font référence à la notion de holding animatrice,
à l’image de l’impôt sur la fortune ou des droits de mutation à titre gratuit, relèvent de la compétence de la Cour de cassation. Confrontés à des jugements disparates, voire contradictoires, en fonction des juridictions, les professionnels espèrent depuis longtemps une définition légale et unifiée de la holding animatrice. Un souhait qui pourrait aboutir puisque le Sénat a adopté le 7 juin dernier une proposition de loi dans laquelle il pose une définition de l’animation qui aurait
vocation à s’appliquer à tous les impôts et qui donnerait des présomptions pour identifier plus facilement une structure animatrice.
Rejets des cours d’appel. En 2006, les associés de la holding Cofices ont cédé leurs titres au moment de leur départ à la retraite. Ils prétendaient être exonérés d’impôt sur la plus-value en application de l’abattement d’un tiers par année de détention au-delà de cinq ans, en vertu de l’ancien article 150-0 D ter du Code général des impôts (CGI). S’agissant d’une holding, celle-ci doit être animatrice pour bénéficier de ce régime de faveur. Considérant que les cédants n’avaient pas prouvé que la holding avait effectivement animé le groupe pendant les cinq ans précédant la cession, l’administration a remis en cause l’exonération et a procédé aux redressements des contribuables. « À noter que pour arriver à la même conclusion, les juridictions saisies ont utilisé des traitements distincts », relève Emmanuel Laporte, avocat associé, Laporte Avocats (1).
Définition prétorienne du CE. Une analyse que le Conseil d’État a censuré pour poser sa propre définition de la holding animatrice. Il en ressort qu’une holding « qui a pour activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales est animatrice de son groupe », et doit être regardée « comme une société exerçant une activité commerciale » au sens des dispositions de l’article 150-0 D bis du CGI. Dès lors que ces conditions sont respectées, la société est réputée exercer une activité commerciale.
Commercialité au sens fiscal. Le premier apport de cette jurisprudence est de reconnaître que la holding animatrice exerce en matière fiscale une activité commerciale qui la rend éligible au dispositif d’exonération. « En présence d’une application de plein droit comme en l’espèce, le juge est libre d’apprécier la commercialité de la société indépendamment de tous commentaires administratifs », commente Jean-François Desbuquois, avocat associé, Fidal. « Sur ce point, la Cour de cassation et la jurisprudence judiciaire définissent l’activité de la holding animatrice de manière plus ambiguë, puisqu’elles y voient surtout une activité civile. Elles admettent que certaines entités animatrices puissent bénéficier des dispositifs de faveur réservés aux sociétés commerciales, uniquement parce que la doctrine administrative le tolère ».
Critères de l’animation. De l’avis d’Emmanuel Laporte, « les magistrats ont implicitement déduit que le contrôle de la société sur ses filiales était établi dès lors que la holding détenait 95 % de sa filiale ». Ensuite, ils ont examiné un ensemble d’éléments factuels pour déterminer que l’animation de la société s’étendait à toutes les entités du groupe. « La décision du Conseil d’État ne modifie pas en soi les principes retenus par les juridictions judiciaires pour déterminer le caractère commercial de la structure animatrice, souligne Jean-François Desbuquois. Ce qui continue de prévaloir, c’est la participation de la holding dans la conduite du groupe et dans le contrôle des filiales. Les critères principaux comme subsidiaires sont homogènes en la matière ».
Indices tangibles. Pour conclure au respect des critères, le Haut Conseil s’est référé à un faisceau d’indices, notamment des procès-verbaux des conseils d’administration de la holding qui ont attesté sa participation, conformément à ses statuts, à la conduite de la politique du groupe, en faisant état de plusieurs actions concrètes qui allaient au-delà de l’exercice des attributions qu’elle tirait de sa seule qualité d’actionnaire.
Le fait que le président directeur général (P-DG) de la holding fût également celui de la filiale ou que des personnalités qualifiées indépendantes, spécialisées dans le secteur d’activité de la filiale fussent membres du conseil d’administration de la holding laissait supposer de l’implication de Cofices dans la conduite du groupe. De plus, la holding et la filiale avaient signé en 2003, une convention d’assistance en matière administrative et en matière de stratégie précisant que la société Cofices prendrait part activement à la stratégie et au développement de la société CES.
Limites. Emmanuel Laporte regrette toutefois que le Conseil d’État n’ait pas « véritablement fourni de précision sur ceux des indices qui seraient nécessaires, déterminants ou secondaires pour parvenir à ses conclusions. On peut seulement constater qu’en l’espèce leur cumul a manifestement permis aux juges d’estimer que l’animation étaient suffisamment caractérisée ». Des précisions qui auraient été utiles tant les instances judiciaires et administratives peinent à s’accorder sur les indices réellement opérants et ceux plus subsidiaires.
À titre d’exemple, le Conseil d’État a retenu « sans l’expliciter, l’influence de la présence de dirigeants communs alors qu’il s’agit pour le juge judiciaire d’un critère insuffisant à lui seul », constate l’avocat.
Convention d’assistance. « Le Conseil d’État a également écarté la nécessité d’une convention d’animation pour s’attacher au rôle exercé par la mère. Il ajoute qu’à partir du moment où l’activité d’animation est prévue dans les statuts, la société est réputée jusqu’à preuve du contraire exercer directement une activité professionnelle », note Marc Bornhauser, avocat associé, cabinet Bornhauser. De son côté, Emmanuel Laporte précise que « le Conseil d’État apporte ici une réponse un peu plus souple que certains arrêts de la Cour de cassation qui ont pu exiger la présence d’une convention d’animation. Mais il est difficile d’en tirer davantage d’enseignements sur le poids réel d’une telle convention par rapport aux autres indices d’animation. En fin de compte, la décision introduit un doute par rapport aux relatives assurances antérieurement données par la Cour de cassation ».
Innovation majeure. Après avoir étudié les indices de l’animation, le Conseil a introduit un élément de définition inédit, en jugeant que la société devait avoir une activité à prépondérance commerciale pour être qualifiée d’animatrice. Dans les faits, Cofices avait une activité mixte, l’une commerciale et une autre patrimoniale. Dès lors, la question était de savoir si cette double activité compromettait l’animation et faisait échec à l’application de l’article 150-0 D ter. D’après le Conseil d’État, la holding n’a pas besoin d’avoir une activité exclusivement commerciale pour être animatrice, ce que conteste régulièrement l’administration fiscale. L’animation est établie dès lors que son activité est principalement commerciale, c’est-à-dire lorsque la valeur vénale de la filiale est prépondérante dans l’actif de la société, ce qui était le cas de Cofices. « Le Haut Conseil confirme implicitement que la présence de participations minoritaires (y compris immobilières) ne serait pas de nature à disqualifier automatiquement la holding animatrice », retient Emmanuel Laporte, « or à notre connaissance la Cour de cassation ne s’est jamais fondée sur un critère quantitatif lié à l’activité principale d’une société pour lui reconnaître le statut de holding animatrice. Au contraire, elle a largement mis l’accent sur des critères qualitatifs tenant à la conduite du groupe ». Il faut que dire que cette dernière n’a pas eu l’occasion de prendre position de manière aussi claire que le Conseil d’État sur cette notion d’activité principale et son appréciation chiffrée.
Portée. « La définition ainsi donnée par le Conseil d’État a toute l’allure d’une définition sur le plan de la loi fiscale. Pourtant, les motivations des juges n’apparaissent pas clairement : on ne la retrouve ni dans la loi, ni dans la doctrine administrative », commente Emmanuel Laporte. De plus « cette définition est immédiatement adossée à l’indication qu’une telle société exerce une activité commerciale au sens de l’article 150-0 D bis du CGI. Il existe en cela un doute relatif sur sa portée réelle s’agissant des autres régimes fiscaux se rapportant à la holding animatrice et relevant de la compétence des juridictions administratives », avertit l’avocat. Une analyse qui n’est pas celle de Marc Bornhauser qui estime que « cette solution est transposable à d’autres dispositifs d’exonération, comme celui des titres de PME acquis dans les dix ans de la création de l’entreprise ou le nouveau régime des dirigeants partant à la retraite ».
(1) Lire l’intégralité de la tribune sur www.agefiactifs.com