
Le co-investissement en plein essor

Avec 9,7 milliards d’euros investis sur les six premiers mois de l'année, le marché de l’immobilier d’entreprise continue d’attirer les investisseurs. « Le résultat du premier semestre 2016 se place au-dessus de la moyenne 2006-2015 qui s’élève à 8,8 milliards d’euros. Si le montant investi en France sur l’ensemble de l’année ne devrait pas atteindre le volume record de 2015 (32 milliards d’euros), il devrait néanmoins dépasser les 26 milliards d’euros engagés », indique la dernière note de conjoncture de BNP Paribas REIM.
Pour intervenir sur ce marché, les investisseurs utilisent les club-deals, des tours de table en petit comité. Toutefois, de plus en plus d’institutionnels se tournent vers la mise en place de fonds d’investissement lorsqu’ils veulent engranger des montants de capitaux plus importants. Dernières venues sur le marché, les plates-formes de crowdfunding profitent de l’engouement du grand public pour concurrencer les modèles d’investissement développés par leurs aînés.
Une opération immobilière confidentielle.
Un club-deal, ce sont des investisseurs qui décident de s’associer autour d’un projet d’acquisition immobilière. « Il s’agit d’une opération impliquant un nombre limité de personnes morales ou physiques. A minima, il faut deux investisseurs mais on ne dépasse quasiment jamais sept ou huit investisseurs. Par principe, un club-deal reste une opération confidentielle », explique Patrice Genre, président de la Française Real Estate Partners.
Mode de financement apparu dans les années 80, il s’agissait au départ d’une opération initiée par un promoteur qui désirait financer un projet immobilier autour d’un noyau dur d’investisseurs qui généralement se connaissaient. Longtemps cantonné aux opérations entre très grosses entreprises du fait de tickets d’entrée élevés, autour du million d’euros, le club-deal tend à déborder de la sphère institutionnelle et se voit de plus en plus souvent proposé à une clientèle de particuliers. « Dans une opération club-deal, on cherche entre 3 et 10 millions d’euros en apport de fonds propres. Ces opérations nous sont généralement proposées par des monteurs-opérateurs avec qui nous avons l’habitude de travailler. Nous étudions le projet au travers du cahier des charges très précis ainsi que le business plan retenu pour la revente de l’actif sous exploitation. Ce sont nos clients les plus fortunés qui ont accès aux club-deals car le ticket d’entrée se situe entre 300.000 et 1,5 million d’euros », indique Christine Chiozza-Vauterin, responsable de l’offre immobilière à la Banque Privée 1818.
Les opérations accessibles par club-deal reflètent la variété des stratégies immobilières : les institutionnels privilégient des détentions à long terme de bureaux qu’ils pourront louer alors que les clients particuliers vont plutôt sur des opérations à court terme de réhabilitation d’immeubles qui seront revendus avec une plus-value.
Les fonds d’investissement alternatifs prennent le pas sur les club-deals.
Dans un souci d’harmonisation des législations encadrant la gestion des fonds d’investissement, l’Union européenne a mis en place un nouveau cadre réglementaire au travers de la directive AIFM, adoptée en France le 27 juillet 2013. Elle a une incidence sur les club-deals en les englobant dans la notion de fond d’investissement alternatif (FIA) par objet.
Si cette directive a vocation à réglementer le maximum de véhicules d’investissement, tous les clubs-deals ne sont pas destinés à devenir des FIA, notamment si les décisions d’investissement relèvent de tous les associés (lire l’encadré p. 11). « Lorsque vous intervenez sur le marché dans le cadre d’un FIA, vous avez l’obligation d’être géré par une société de gestion professionnelle agréée par l’AMF, ce qui n’est pas forcément le cas dans un club-deal. En FIA, vous pouvez également faire un appel public à l’épargne alors que dans un club-deal, vous êtes obligé de respecter l’article D. 411-4 du Code monétaire et financier, à savoir présenter votre opération à un cercle restreint d’investisseurs, soit moins de 150 personnes », explique Arnaud Monnet, directeur général d’Horizon AM. Cette société de gestion est spécialisée dans le financement de projets de promotion et de réhabilitation dans l’immobilier résidentiel et ses premiers véhicules d’investissement, avant l’adoption de la directive, étaient des club-deals. « Dans un club-deal, les investisseurs doivent voter tous les projets, les investissements comme les désinvestissements, alors que dans le cadre d’un FIA, c’est le gérant qui les valide en comité de sélection. Les décisions se prennent donc plus rapidement », indique Arnaud Monnet.
L’autre avantage du FIA est de pouvoir moduler les tickets d’entrée et de toucher une clientèle plus large. A ce titre, Horizon AM propose des fonds accessibles à partir de 5.000 euros. Si la structure en FIA permet d’accroître les volumes de collecte et d’assurer un meilleur développement commercial, les contraintes de gestion les rapprochent de celles des SCPI : les capitaux sont d’abord collectés puis investis dans des projets identifiés par l’équipe de gestion alors que dans un club-deal, le projet est préalablement identifié puis financé à l’issue d’un tour de table. « En FIA, la difficulté consiste à pouvoir investir l’argent collecté avec le bon timing sinon il ne rapportera rien et le fonds ne dégagera pas de rentabilité suffisante », explique Arnaud Monnet.
Une recherche de rentabilité élevée.
Que l’on soit en club-deal ou en FIA, l’objectif reste le même : dégager de la rentabilité à l’issue de l’opération. Généralement les espérances de rendement affiché sont élevées. « Nos véhicules ont un objectif de rendement compris entre 6 % et 8 % », annonce Arnaud Monnet. Par comparaison, les rendements prime, c’est-à-dire les plus sécurisés, sont actuellement autour de 3,25 %. L’investissement en club-deal classique ou au travers d’un FIA présente donc des risques et s’adresse avant tout à des investisseurs avisés.
Toutefois, la concurrence qui sévit actuellement sur le marché de l’immobilier rend plus difficile la finalisation des montages en club-deals. « Ce type d’opération reste rare en pratique car il faut trouver l’actif immobilier qui va être acheté et établir la stratégie de revalorisation qui va permettre de dégager la rentabilité attendue par les investisseurs, généralement de 6 % à 7 %. Pour atteindre un tel seuil, il faut acheter l’actif au bon prix. Aujourd’hui, les acteurs du marché immobilier cherchent à dénicher les meilleures opérations d’investissement. Or, le foncier est élevé pour les opérations intéressantes et le marché des transactions manque de fluidité, ce qui limite les possibilités de monter des club-deals », analyse Christine Chiozza-Vauterin.
L’investisseur est un associé.
Un investisseur au sein d’un club-deal ou d’un FIA devient associé d’une société qui peut prendre des formes diverses : SAS ou SCI le plus souvent. « Un club-deal, c’est un petit nombre d’associés qui doivent prendre des décisions de gestion ensemble. Les pouvoirs des uns et des autres doivent être formalisés dans les statuts de la société ou dans un pacte d’actionnaires, analyse Patrice Genre. Les décisions importantes concernant la vie de la société se prennent en assemblée générale, il faut donc établir en amont quelles sont les règles de majorité applicables dans le respect du droit des sociétés. »
La directive AIFM vient se superposer aux règles applicables au droit des sociétés, ce qui peut en compliquer la lecture. « Avant l’adoption de la directive AIFM, le recours à la SCI ne faisait pas l’objet d’une régulation mais il était clair que ce type de structure ne permettait pas de faire de publicité et encore moins appel public à l’épargne. Depuis l’adoption de la directive, si un gérant choisit de soumettre sa SCI à la réglementation AIFM, il existe un flou sur le point de savoir si cela lui permet de communiquer comme tout gestionnaire de FIA peut le faire », analyse Stéphane Puel, avocat associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel. Le recours à la SCI reste toutefois une forme juridique prisée par les institutionnels en raison de sa transparence fiscale, ce qui facilite son traitement comptable. Plus contraignante en termes de responsabilité, elle est destinée aux opérations de détention à long terme. C’est pourquoi le véhicule le plus couramment utilisé reste la SAS. Plus adaptée aux investisseurs privés, elle permet un meilleur cantonnement du risque et se révèle adaptée pour les opérations de plus-values.
Quelle que soit la forme adoptée, l’investisseur doit également prendre garde aux conditions de sortie de la société dans laquelle il est associé. Les titres qu’il possède ne sont pas cotés et présentent donc peu de liquidité. « Les relations entre associés et les clauses de sortie doivent être soigneusement rédigées afin de déterminer à quelles conditions et à quel prix peuvent être rachetés les titres par les autres associés », indique Stéphane Puel. En FIA, les statuts de la société prévoient le temps maximum d’immobilisation des capitaux. « Dans nos véhicules, l’investisseur connaît la stratégie générale qui va être suivie par le gérant ainsi que la durée maximum d’immobilisation des fonds, généralement entre six et huit ans. Au-delà de cette durée, le fonds est liquidé et la plus-value éventuelle partagée entre associés », explique Arnaud Monnet.
Les blocages liés à une mésentente entre associés restent rares si le projet a été bien bouclé en amont et correctement expliqué aux investisseurs. « Dans nos club-deals, le vote des projets se fait à l’unanimité. Le fait que chaque associé ait le détail du projet et la façon dont seront investies les sommes a un effet fédérateur », poursuit Arnaud Monnet. Dans la pratique, de plus en plus de véhicules sont constitués pour financer plusieurs projets et non plus un seul afin de réduire les risques d’investissement. Il est également fréquent que les FIA disposent d’un fonds de roulement destiné à financer les éventuelles sorties anticipées d’actionnaires.
Le crowdfunding emprunte à la mécanique du club-deal.
Il s’agit du mode de financement qui gagne le plus en notoriété auprès du grand public. Afin de favoriser son développement, les pouvoirs publics ont créé un cadre réglementaire spécifique à cette activité par le biais d’une ordonnance du 30 mai 2014. Selon la nature du financement proposé, les plates-formes doivent justifier d’un statut réglementé. Lorsqu’elle propose la souscription de titres financiers émis par une société non cotée, la plate-forme doit être immatriculée en tant que conseil en investissement participatif (CIP). Elle peut également opter pour le statut de prestataire en services d’investissements (PSI). Lorsqu’elle propose de financer un projet sous la forme d’un prêt, elle agit en tant qu’intermédiaire en financement participatif (IFP).
Le modèle dominant est celui de la promotion immobilière, proche de la mécanique du club-deal (lire l’entretien p. 10). Si les montants collectés ne peuvent pour l’instant pas dépasser réglementairement le million d’euros, des acteurs de la gestion regardent le sujet avec intérêt, comme par exemple la Banque Privée 1818 qui a bouclé une opération de crowdfunding pour ses clients patrimoniaux avec la plate-forme Immovesting en juin 2016. « Le ticket d’entrée était de 20.000 euros. L’opération à financer en partie par du crowdfunding portait sur le repositionnement locatif d’un immeuble de 11.000 m2 à Lyon Gerland. La plate-forme a bouclé son tour de table avec près de 460.000 euros collectés », indique Christine Chiozza-Vauterin.
Du côté des conseillers en gestion de patrimoine, l’intérêt est également manifeste. « Les club-deals sont un domaine qui reste réservé aux cabinets les plus importants, mais les structures de taille plus modeste regardent davantage du côté des opérations de crowdfunding », explique Ravy Joseph, directeur général de Flornoy & Associés Formation. « La conformité entre les différentes réglementations est souvent sous-estimée par les conseillers. Ils doivent prendre conscience des différents risques d’un bout à l’autre de la chaîne. D’autant plus que le client du conseiller peut être susceptible d’engager sa responsabilité si l’opération ne se déroule pas comme prévu », indique Ravy Joseph.
Un développement du modèle hors des frontières.
L’un des objectifs de la directive AIFM est de faciliter la commercialisation des fonds hors de leur pays d’origine via l’obtention du passeport européen. L’article L. 214-24-1 du Code monétaire et financier prévoit expressément cette possibilité. Toutefois, les fonds ne peuvent être commercialisés qu’auprès d’une clientèle professionnelle. Pour les plates-formes de crowdfunding, seules les entreprises ayant obtenu l’agrément PSI peuvent revendiquer l’utilisation du passeport européen.
A l’heure actuelle, si le développement à l’international ne concerne que les plus grosses sociétés de gestion de la place, des sociétés spécialisées explorent des marchés de niche, à l’image d’Horizon AM qui a lancé un FIA sur la thématique du marché résidentiel allemand. « Nous nous intéressons particulièrement à la réhabilitation de bâtiments classés. Il y en a près de 900.000 en Allemagne, ce qui concerne près de 5 % du marché. De plus, dans la mesure où le foncier est moins cher outre-Rhin, il est possible d’afficher une meilleure rentabilité », explique Arnaud Monnet. Le ticket d’entrée du fonds est de 100.000 euros.
D’autres sociétés s’intéressent à des segments plus spécifiques tel le cabinet Altitude International Realty, qui propose des opérations en co-investissement très proches des montages en club-deals mais sur de l’immobilier localisé aux Etats-Unis. « L’idée est de regrouper quelques investisseurs autour d’un projet d’acquisition d’immeuble qui sera réhabilité puis revendu. Aux Etats-Unis, le marché est plus fluide car les Américains considèrent plus l’immobilier comme un bien de consommation courante que les Français. Le cabinet s’occupe de la structuration du projet, notamment pour tout ce qui concerne la déclaration des revenus lorsque les acheteurs résident en France. Des Français expatriés mais qui veulent avoir un point d’entrée sur le marché américain sont également intéressés par ce type d’opération », explique Victor Pagès, fondateur du cabinet.
De façon générale, l’appétit des investisseurs pour l’immobilier ne semble pas près de se tarir. « Les institutionnels tels que les compagnies d’assurances ont besoin de trouver du rendement dans un contexte où les obligations d'Etat ne rapportent plus rien. De plus, l’immobilier présente le double intérêt d’être contracyclique par rapport aux obligations et d’être indexé sur le niveau de l’inflation par le jeu de l’indexation des loyers », indique Frédéric Nouel, avocat associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel. Ce qui pousse les investisseurs à s’impliquer davantage dans les opérations de promotion afin de disposer de plus de choix dans les actifs qu’ils désirent avoir en portefeuille.