Grande profession du droit

Le chantier de la commission Darrois fait débat

Les positions des différentes professions juridiques sont sur certains points difficilement conciliables, notamment entre notaires et avocats A quelques semaines de la remise prévue du rapport, L’Agefi Actifs revient sur les difficultés de la grande réforme souhaitée par le président de la République.

Le 30 juin 2008, le président de la République chargeait l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois de réfléchir à une réforme de la « profession d’avocat avec, comme objectif, la création d’une grande profession du droit ». Celui-ci, à la tête d’une commission composée d’une dizaine de membres, devrait remettre début janvier 2009 un ensemble de propositions visant à favoriser la compétitivité internationale des professionnels du droit et à améliorer le système de l’aide juridictionnelle.

La demande du président de la République, qui s’inscrit dans le prolongement des conclusions du rapport Attali rendu en janvier 2008, touche un sujet sensible. Si pour certains, cette requête conduirait à fusionner les professions d’avocat et de notaire, pour d’autres, il s’agit, notamment, de délimiter les domaines de chacun et de favoriser l’interprofessionnalité. A quelques semaines de la sortie prévue du rapport, quatre représentants des professions concernées, experts-comptables, juristes d’entreprise, avocats et notaires, donnent leur approche à L’Agefi Actifs.

André-Paul Bahuon, expert-comptable, président de Créatis Groupe et fondateur du réseau Différence. « Une des missions confiée à maître Jean-Michel Darrois est de faire rayonner la profession du droit français en Europe et dans le monde. Admettre que seul l’avocat peut dispenser un acte de droit, c'est-à-dire nier que les autres professions puissent faire en accessoire de leur mission principale, pose problème. En effet, les experts-comptables, pour la moitié de leur cursus, apprennent le droit. La comptabilité est la traduction économique de faits juridiques. Nous coopérons d’ailleurs fortement avec le monde des avocats en matière d’entreprise et il n’est pas rare de voir des experts-comptables, des avocats et des notaires collaborer.

Je suis très favorable à l’interprofessionnalité, voire à l’interpénétration des professions. Il faut reconnaître qu’avocats et experts-comptables ont un périmètre d’activités commun. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que l’expert-comptable apporte des conseils en matière de droit fiscal et de droit social. En outre, je crois beaucoup à la contractualisation qui permet de créer un périmètre d’activité commun. A ce titre, un accord signé entre l’Institut français des experts comptables (Ifec) et les avocats conseils d’entreprises (ACE), le 24 avril 1997, avait mis fin à la guerre entre le droit et le chiffre.

Ainsi, j’invite la commission Darrois à reconnaître aussi bien notre seuil d’incompétence, concernant par exemple les actes juridiques complexes qui sont forcément du ressort des avocats, que notre compétence dans les matières du droit applicatif en matière fiscale et sociale qui font notre quotidien. »

Alain-Marc Irissou, président de l’Association française des juristes d’entreprises. « La création d’une grande profession du droit pouvant aboutir au rapprochement des juristes d’entreprises et des avocats est souhaitable puisqu’elle contribuera à favoriser la sécurité juridique des entreprises françaises. L’idée serait en fait de s’aligner sur ce qui se fait dans les pays d’Amérique du Nord et la plupart des grands pays de l’Union européenne. C’est pourquoi nous désirons créer un nouveau mode d’exercice de la profession d’avocat intitulé avocat en entreprise. En effet, dans les pays de Common Law, il n’existe aucune distinction sémantique et statutaire entre le juriste d’entreprise et l’avocat. Les corporate lawyers des pays anglo-saxons bénéficient de la protection du legal privilège. Il est de l’intérêt des entreprises françaises de pouvoir opposer le secret professionnel de leurs avocats internes contre toute tentative de saisie des consultations fournies par leurs juristes. »

Jean-René Farthouat, avocat à la Cour, ancien bâtonnier du barreau de Paris. « La commission Darrois a été mise en place pour réfléchir à une possibilité de création d’une grande profession du droit et pour recentrer le rôle et les missions de chacun. Les travaux de cette commission sont donc utiles et nécessaires puisqu’ils permettront de délimiter les frontières de la fonction juridique ayant connu ces dernières années un développement et une évolution considérables.

Si la commission n'a pas nécessairement pour objet de proposer une fusion de toutes les professions du droit, il reste que la réflexion sur le statut des notaires doit être envisagée. En effet, il est aujourd’hui incompréhensible que ces derniers puissent continuer à bénéficier d’un monopole contraire à la situation européenne actuelle. »

Jean-François Humbert, président de la Chambre des notaires de Paris. « Nous attendons avec sérénité les conclusions de la commission Darrois. Le Conseil national des barreaux a extrapolé la lettre de mission du président de la République. La mission attribuée à cette commission n’est pas de réfléchir à une fusion des professions d’avocats et de notaires mais à la coopération des professions juridiques entre elles.

Le métier d’avocat est totalement différent du métier de notaire, officier public. Vouloir les fusionner est aussi peu sensé que prétendre fusionner les juridictions judiciaires et administratives parce qu’elles rendent toutes des jugements, ou les cardiologues et les sages-femmes parce qu’ils font des actes médicaux. Il faut réfléchir à la collaboration des deux professions du droit, qui ont toutes deux leur identité.

En outre, il serait intéressant de permettre à l’ensemble des professionnels du droit et du chiffre de coopérer au sein de mêmes structures, cette barrière des métiers du droit et du chiffre étant, à ce jour, artificielle.

Pour autant, l’intérêt du client, et c’est bien là l’essentiel, ne réside pas dans cette fusion. Selon le problème rencontré par celui-ci, il a besoin d’une réponse soit notariale, soit d’un avocat, dont les deux domaines d’activité sont distincts. »

Il semblerait que la commission étudie la possibilité d’introduire l’« acte sous signature juridique » (1), demandé depuis longtemps par la profession d’avocat. La mise en jeu de cet acte entraînerait une plus grande responsabilité pour l’avocat.

Par ailleurs, une taxe sur les actes juridiques passés par les notaires, et peut-être par d’autres professionnels, serait en cours de discussion, confirment certains avocats et notaires. Cette taxe, réglée par le client, permettrait de participer au financement de l’aide juridictionnelle.

A noter enfin qu’un site internet -  www.commission-darrois.justice.gouv.fr - a été mis en place par la commission au mois de septembre dernier pour permettre aux internautes de contribuer à son travail de réflexion au travers de divers forums. Le débat sur le périmètre d’activité des notaires et des avocats ouvert sur ce site à déjà suscité plus de 550 interventions. Valentine Clément et Charlotte Simoni

(1) Acte sur lequel le professionnel du droit, comme l’avocat, aura apposé sa signature. Cet acte se situerait entre l’acte sous seing privé, établi par les parties elles-mêmes sous leur seule signature, et l’acte authentique, acte rédigé par un officier public comme le notaire selon des formes légales