L’AMF veut renforcer les droits des minoritaires dans les offres publiques

Les propositions du régulateur, en consultation jusqu’au 15 octobre, visent aussi à donner des moyens suffisants à l’expert indépendant.
Pixabay

L'Agefi Quotidien

Très attendu, le rapport du groupe de travail de l’AMF sur la mise en œuvre du retrait obligatoire et l’expertise indépendante dans les offres publiques est dévoilé ce matin. Avant même le vote de la loi Pacte, qui a abaissé le seuil du retrait obligatoire de 95% à 90% du capital et des droits de vote, le régulateur avait initié dès le mois de mars ce groupe de travail, présidé par Thierry Philipponnat et Patrick Suet, membres du Collège de l’AMF, avec pour objectif affiché d’assurer une «meilleure protection» des actionnaires minoritaires. «Notre logique était de marier des intérêts pas toujours convergents et de trouver le bon équilibre, afin de rendre la Bourse plus dynamique pour les actionnaires et les investisseurs, explique à L’Agefi Thierry Philipponnat. Si les propositions ont été très débattues, elles ont fait l’objet d’un large consensus. »

Les 18 recommandations du rapport s’articulent autour de deux axes : le renforcement de la protection des minoritaires et une plus grande indépendance et transparence de l’expertise indépendante. «Notre objectif est de protéger les intérêts des minoritaires et le travail de l’expert indépendant, en renforçant le rôle du conseil d’administration de la cible, en particulier celui de ses administrateurs indépendants, et en améliorant la qualité du dispositif», explique Patrick Suet. «Nous voulons être sûrs que l’expert indépendant est vraiment indépendant et qu’il a les moyens – temps et informations suffisants – d’assurer son travail quoi qu’il arrive, ajoute Thierry Philipponnat. Ces propositions améliorent aussi la transparence du processus et institutionnalisent le dialogue avec les minoritaires. »

En détail, le groupe de travail confirme la nécessité pour le conseil d’administration de la société visée par l’offre de créer un comité ad hoc constitué majoritairement d’administrateurs indépendants pour choisir et superviser les travaux de l’expert indépendant. Quand la société ciblée n’a pas pu former ce comité ad hoc, elle devrait soumettre à l’AMF, pour agrément, l’expert indépendant qu’elle compte désigner.

En cas d’offre de «fermeture» (quand l’initiateur détient plus de 50% du capital et des droits de vote), le rapport de l’expert indépendant et l’avis motivé du conseil de la société cible seront émis au plus tôt 15 jours de négociations après le dépôt de la note d’information de l’initiateur. Un laps de temps minimum qui permet à la cible d’entendre et de répondre aux éventuelles interrogations des minoritaires. Ces derniers devront avoir un contact précis, indiqué dans le communiqué de presse, au sein de la société et pourront aussi exprimer leurs remarques à l’expert indépendant et à l’AMF via une boite mail dédiée. L’expert devra répondre dans son rapport aux principaux arguments des minoritaires dans un chapitre dédié.
Conditions de fixation du prix revues

L’avis motivé de la société visée sera renforcé. Il devra notamment préciser le processus de nomination de l’expert et les raisons du choix, la liste des réunions et des thématiques évoquées, et la mention que toutes les données prévisionnelles sur le plan d’affaires ont été transmises à l’expert indépendant, avec les explications nécessaires si ce plan a évolué par rapport aux précédentes communications de la société.

Les conditions de fixation du prix devront être clarifiées et justifiées. Lorsque le prix d’offre est inférieur à l’actif net comptable ou la moyenne des cours de Bourse, l’initiateur devra expliquer pourquoi, en cas de retrait obligatoire consécutif à une offre. Le groupe de travail propose également d’étendre le prix plancher des OPA simplifiées (cours de Bourse moyen pondéré des 60 jours précédant l’annonce) à toutes les offres de fermeture.

Quand un complément de prix est envisagé, sa durée doit être limitée à cinq ans, et l’initiateur doit préciser les moyens pris pour assurer le paiement à l’échéance.

Enfin, l’AMF propose d’instaurer un seuil légal de 85% du capital et des droits de vote, qui remplacerait celui des 95%, sur les marchés réglementés. Et sur Euronext Growth de substituer le seuil des 90% à celui actuel des 95%.

Du côté de l’expert indépendant, les contours de sa mission et les situations de conflits d’intérêts devront être précisés dans le rapport d’expertise. Il devra avoir au moins 20 jours de négociations pour rédiger son rapport, à compter de la réception de tous les documents nécessaires. L’expert devra préciser s’il a obtenu toutes les informations jugées utiles, notamment les données prévisionnelles et les synergies liées à l’opération. Dans son rapport, il devra préciser et contextualiser pourquoi il juge «équitables» les conditions financières de l’offre.

Si l’AMF juge le rapport insuffisant – notamment en cas d’incohérences ou de lacunes dans l’évaluation de la société, ou en l’absence de notification d’un conflit d’intérêts – elle pourrait demander à la société visée de nommer, à ses frais, un autre expert. «Nous ne voulons pas de contrôle de l’expertise indépendante par une autorité administrative, mais avons mis en place deux garde-fous – en cas d’absence de comité ad hoc ou d’insuffisance du rapport d’expertise – qui ne devraient pas avoir vocation à jouer », explique Patrick Suet.

L’expert devra justifier une rémunération inférieure à 50.000 euros hors taxe, et tous suppléments de rémunération. Il devra préciser le nombre d’heures consacré à ce dossier et les diligences réalisées.

Le groupe de travail recommande que les changements réglementaires soient pris au plus vite et que l’AMF exerce «une vigilance particulière» sur la mise en œuvre de ce nouveau dispositif. «Nous souhaitons que ces propositions s’appliquent rapidement, afin d’assurer un meilleur équilibre en faveur des minoritaires, notamment suite à l’abaissement du seuil du retrait obligatoire à 90%», ajoute Thierry Philipponnat. Toutes les propositions pourraient intervenir rapidement et pourraient être applicables dès le début 2020.

Pour l’heure, ce rapport est ouvert à consultation publique pour un mois, jusqu’au 15 octobre 2019. L’association professionnelle des experts indépendants (APEI) a également initié un groupe de travail sur le même thème et devrait publier prochainement ses travaux.