
L’AMF serre la vis sur les déclarations en période d’OPA
L'Autorité des marchés financiers (AMF) a promis de dévoiler ses mesures sur l’activisme avant la fin du trimestre. Elle semble avoir pris de l’avance en demandant à sa commission des sanctions d’infliger une amende record de 20 millions d’euros à l’encontre du fonds activiste Elliott. Lui sont reprochés : des déclarations inexactes sur la nature des instruments financiers acquis lors de l’OPA de l’américain XPO Logistics sur le transporteur français Norbert Dentressangle en 2015, une communication tardive de sa déclaration d’intention, et des manquements d’entrave au cours de l’enquête.
Face à un risque d’amende aussi lourd, la tension était palpable vendredi matin au siège du gendarme boursier. Si la commission suivait la préconisation du Collège, cette amende serait du même niveau record que celle infligée à Morgan Stanley en novembre 2019. Toutefois la banque américaine a interjeté appel de cette décision. En juillet 2017, l’AMF avait prononcé une amende de 35 millions d’euros à l’encontre de Natixis, mais le Conseil d’Etat l’a réduite à 20 millions en novembre dernier.
«DISCRIMINATION ET HOSTILITÉ» RESSENTIES
«Je ressens un très profond malaise. Il se dégage un sentiment de discrimination et d’hostilité non dissimulées». C’est avec ces mots que le ténor du barreau d’affaires, Jean-Pierre Martel, associé chez Orrick et avocat d’Elliott, a débuté sa plaidoirie. A la suite de la rapporteur de la commission des sanctions, il rappelle qu’il n’y a pas eu d’atteinte au marché.
Elliott n’a aucun problème avec les gendarmes boursiers américain, anglais, et de Hong-Kong, «pourquoi cette haine, ce rejet du régulateur français», s’interroge Jean-Pierre Martel. «Elliott n’est pas Muddy Waters», qui a simplement écopé d’une «admonestation paternelle» de la part de l’AMF, poursuit l’avocat d’Elliott, dénonçant «un sentiment de discrimination dont ne voulons pas faire les frais».
«En entendant la représentante du Collège, je croyais entendre XPO», poursuit Jean-Pierre Martel. De fait, la représentante du Collège n’a pas mâché ses mots en insistant sur la gravité des faits, sur «la volonté [d’Elliott] de cacher au marché sa stratégie afin de négocier auprès de XPO un relèvement de l’offre» et sur la pratique de «chantage à la sortie de la cote». Elle demande ainsi à la commission «une très grande fermeté», et rappelle qu’Elliott a été condamné en 2014 à 16 millions d’euros. A l’époque la commission avait demandé 40 millions d’euros d’amende ! De plus, la représentante du Collège souligne qu’Elliott a gagné 38 millions d’euros en cédant finalement en novembre dernier ses titres Norbert Dentressangle avec une prime de 20% sur le prix de l’offre de 2015. Elle évalue le préjudice pour XPO à 167 millions de dollars.
LE MARCHÉ N’A PAS ÉTÉ TROMPÉ
Premier grief, l’AMF reproche à Elliott d’avoir déclaré des positions en CFD (contract for difference) à dénouement en espèces alors que les transactions portaient sur des equity swaps. «Ce n’est pas anodin», pour la représentante du Collège. Elliott a pu faire croire qu’il ne cherchait qu’une exposition économique, alors qu’une position en equity swaps aurait alerté les investisseurs sur sa volonté de bloquer l’offre, poursuit-elle. «Sophisme inacceptable», pour Jean-Pierre Martel, expliquant qu’il n’y a pas de distinction entre ces deux instruments, tous deux à dénouement en espèces. Toutefois, «il n’est pas établi que le marché a été trompé», précise la rapporteure de la commission des sanctions, prenant ainsi le contre-pied de la poursuite.
Le règlement général de l’AMF (article 231-46) précise que les déclarations doivent «prendre la forme du modèle type défini dans une instruction de l’AMF. L'AMF peut demander au déclarant toute précision ou complément qu'elle juge nécessaire». Pour l’AMF ce formulaire type, qui précise la nature des instruments financiers, a une base légale ; mais pour la défense, aucun texte n’impose cette distinction. Elliott rappelant par ailleurs qu’il a toujours répondu aux demandes de l’AMF. «Le juge ne peut refaire la loi et l’interpréter dans un sens extensif», ajoute Jean-Pierre Martel, ajoutant que dans le dossier Hermès, LVMH avait «seulement» écopé de 8 millions d’euros d’amende, alors que tout le montage était caché.
LE MANQUEMENT D’ENTRAVE CONTESTÉ
Deuxième grief, Elliott aurait dû déclarer plus rapidement qu’il n’avait pas l’intention d’apporter ses titres à l’offre, selon le gendarme boursier. Pour la première fois, la commission de l’AMF se penche sur cette question. Pour le régulateur, la déclaration d’intention doit être immédiate, même si l’intention d’apporter ou non ses titres à l’offre n’est pas définitive. Elliott rétorque ne pas pouvoir faire de déclaration d’intention sur des actions qu’il n’a pas, tant qu’il détenait des instruments dérivés. Une fois qu’Elliott a acquis des titres en «dur», il estime ne pas pouvoir faire de déclaration tant que sa décision n’était pas prise. En réponse à l’AMF, la défense d’Elliott s’interroge sur la pertinence pour le marché de faire une déclaration, qui peut être modifiée à tout moment.
La poursuite estime aussi que la décision de Davidson Kempner de ne pas apporter ses titres est due à la déclaration d’intention d’Elliot. «Mensonge. Contre-vérité», s’insurge Jean-Pierre Martel, précisant que Davidson Kempner avait indiqué ses intentions auparavant à la SEC américaine.
Troisième grief, le gendarme boursier reproche un manquement d’entrave à Elliott, qui n’aurait pas fourni tous les éléments demandés en temps et en heure. Alors que l’article 621-15-II-f du Code monétaire et financier évoque un «refus» de donner accès à un document, ou de communiquer des informations, peu importe que ce refus soit explicite ou implicite, selon l’AMF. Elle reproche notamment à Elliott d’avoir mis près de deux ans à fournir certains documents. La défense rétorque qu’elle ne peut répondre précisément qu’à une question précise. Par ce manquement, l’AMF manifeste «la volonté de nous discréditer», estime Kami Haeri, associé Quinn Emanuel et avocat d’Elliott, estimant que les principes de loyauté de l’enquête, d’équité du procès, de prévisibilité juridique et de proportionnalité ont été violés. Elliott a transmis près de 38.000 documents, a répondu aux questions de l’AMF, alors que le régulateur n’a pas réagi à son courrier, ajoute-t-il.