
L’ajout d’un souscripteur ne vaut pas novation
Le 6 décembre 1988, un particulier souscrit un contrat d’assurance vie, son épouse y adhérant conjointement le 11 septembre 1995 avec un dénouement programmé au second décès. Le mari décède en 1999. Cette même année, l’épouse survivante désigne comme bénéficiaires à parts égales ses sept petits-neveux et nièces et procède à un versement complémentaire de 600.000 euros. L’épouse décède à son tour en 2003. Les bénéficiaires du contrat reçoivent leur quote-part de capital.
Une novation du contrat revendiquée par les services fiscaux…
L’administration fiscale leur réclame le paiement de droits de succession, estimant qu’il y a eu novation du contrat en 1995 lors du passage d’une adhésion simple à une co-adhésion. L’enjeu est de taille puisque l’administration fiscale substitue à une exonération totale des droits de mutation – la prime versée par le souscripteur initial dans le cadre de son contrat souscrit avant le 20 novembre 1991 est exonérée de droits de succession, et les 600.000 euros de versement complémentaire versés par l’épouse ne sont pas imposés compte tenu de l’abattement de 152.500 euros par bénéficiaire – une taxation des neveux et nièces à un taux de droits de succession de 55 % (si l’épouse assurée a plus de 70 ans au moment de la modification)... Après règlement de l’impôt, les redevables assignent le directeur général des Finances publiques afin d’obtenir l’annulation de l’imposition contestée et le remboursement des sommes versées.
… et rejetée par les juges d’appel et de cassation.
La Cour d’appel fait droit à la demande des bénéficiaires du contrat d’assurance vie considérant que la co-adhésion de l’épouse le 11 septembre 1995 au contrat d’assurance vie initialement souscrit au seul nom de son époux ne constituait pas une modification essentielle dudit contrat constitutive d’une novation. Le directeur général des Finances publiques forme un pourvoi que la Cour de cassation rejette au motif que pour qu’il y ait novation, il doit y avoir une substitution du rapport d’obligation et non un rajout.
Antériorité fiscale conservée.
L’absence de novation civile se traduit par une absence de novation fiscale, le contrat conservant ainsi son antériorité fiscale. Pour Frédéric Douet, professeur de fiscalité à l’université de Bourgogne, « la Cour de cassation aurait tout aussi bien pu se référer à l’obligation essentielle de l’assureur : celle de couverture du risque. Le passage d’un risque simple (un assuré) à un risque complexe (deux co-assurés) modifie la couverture du risque. Il est possible de considérer que cette modification ne peut se faire qu’au prix d’un nouveau contrat ».
Entre opportunités patrimoniales…
Cet arrêt laisse envisager de nombreuses opportunités en termes de stratégies patrimoniales, en particulier pour ceux qui possèderaient un contrat souscrit avant le 20 novembre 1991 et pour les couples mariés sous un régime de communauté. « Pour ceux dont le contrat de mariage prévoit une clause de préciput ou une attribution intégrale, un passage en co-adhésion avec dénouement au second décès – en réalisant un avenant au contrat – permettra au survivant de conserver le contrat d’assurance vie jusqu’à son décès, ceci sans incidence fiscale. Aujourd’hui, le seul moyen pour les conseillers patrimoniaux de passer de l’adhésion simple à la co-adhésion consiste à clôturer le contrat existant pour souscrire un nouveau contrat. Cet arrêt permet d’éviter le dénouement du contrat initial par rachat total en réalisant un avenant au contrat initial. Par ailleurs, pour éviter les conséquences de la réponse ministérielle Bacquet, il pourrait aussi être opportun de réaliser une telle co-souscription avec dénouement au premier décès », fait ainsi observer Stéphane Pilleyre, consultant et formateur en gestion de patrimoine.
… et dérives fiscales.
On peut aussi imaginer un petit-enfant, voire un arrière petit-enfant, se joindre au contrat. « Le contrat peut alors passer les générations et être rechargeable en primes sans remise en cause du régime fiscal favorable. On peut alors penser que l’administration fiscale demandera au législateur de mettre un terme à ces contrats d’assurance vie à l’ADN fiscal modifié », met en garde Frédéric Douet, ce que les assureurs n’ont certainement pas manqué d’observer.