
L’accession à la propriété est-elle une fin en soi ?
François Geerolf, économiste.
-Si ce n’est la poursuite d’un objectif politique - les propriétaires de leur logement auraient un comportement plus civique du fait de leur attachement au droit de propriété -, je ne vois aucune raison objective pour favoriser l’accession à la propriété. Sauf à considérer qu’être locataire constitue une forme d’insécurité, mais en France, les locataires sont plutôt bien protégés par les pouvoirs publics, ou qu’a contrario être propriétaire permet de gagner en bien-être.
Mais surtout, il est très difficile de connaître les bénéficiaires finaux de la subvention à l'accession (primo-accédants contre vendeurs finaux) : comme lorsqu’on taxe une entreprise, est-ce le consommateur, le travailleur ou les actionnaires qui payent ? Ce n’est jamais évident. Lorsque l’on facilite l’accès à la propriété, le facilite-t-on réellement ou donne-t-on des gains en capitaux à ceux qui vont vendre cette propriété ? Favoriser la propriété ayant avant tout contribué à augmenter les prix, il semblerait que ce soit plutôt cette deuxième solution.
En tant qu’économiste, je ne trouve de toute façon aucune raison à privilégier un type d’actif plutôt qu’un autre et à encourager les particuliers à disposer d’une épargne immobilière aussi élevée. Le secteur immobilier bénéficie déjà d'avantages fiscaux considérables par rapport au financement des entreprises.
De plus, le manque de mobilité des propriétaires dû, entre autres,
aux droits de mutations, dessert le marché du travail.
Claire Juillard, sociologue.
-La propriété est un frein à la mobilité résidentielle, donc à la mobilité professionnelle alors même que nous vivons dans une société qui l’encourage. Il se trouve, par ailleurs, qu’il est de plus en plus difficile d’accéder à la propriété. De plus en plus de ménages, y compris les classes moyennes, sont exclus de la propriété. Cette dernière continue de progresser mais essentiellement en faveur des ménages les plus aisés. A côté de cela, le parc locatif social se paupérise et le parc locatif privé perd du terrain alors qu’il est le principal instrument de la mobilité géographique. Encourager l’accession à la propriété, c’est assumer une dichotomie marquée entre les populations.
Derrière l’impression d’un parc relativement harmonieux entre locataires (42 %) et propriétaires (58 %) repose un équilibre très instable entre le statut d’occupation (propriétaire/locataire), le type de logement (collectif ou individuel) et la localisation (centre agglomération, banlieue ou périurbain).
Aujourd’hui, l’accès à la propriété se fait davantage dans des zones retirées en marge des agglomérations ; il est difficile d’échapper statistiquement à l’équation « propriétaire d’une maison individuelle en zone périurbaine ». Tant que ces trois termes restent structurellement aussi liés, favoriser la propriété, c’est également s’enferrer dans un modèle dont tout le monde connaît les limites.
Hippolyte d’Albis, économiste.
-Il faut favoriser ce que veulent les individus. Et ce qu’ils souhaitent, c’est de s’assurer d’avoir un toit. Aujourd’hui, être locataire est une source d’incertitude. Il y a donc deux solutions : soit on protège mieux le locataire en régulant les loyers, en instaurant des baux plus longs…, soit on privilégie la propriété. Et pour y arriver, il faudrait orchestrer la baisse des prix.
Je pense que cette baisse viendra naturellement, mais il ne faut pas tout faire pour la freiner. Nul besoin par exemple de favoriser l’accession avec des prêts à taux zéro absorbésin finepar le vendeur. Lorsque les propriétaires vont comprendre que les prix vont diminuer et que rien ne sert d’attendre au risque que la baisse s’aggrave, ils mettront leurs biens à vendre.A ce niveau, je crois qu’il faut saluer la volonté du gouvernement de créer un choc d’offre avec les différentes mesures entreprises - densifier et libérer des terrains, taxer les logements vacants…
Vincent Renard, économiste.
- L’idée d’une France de propriétaires n’est plus d’actualité. On imagine que le particulier qui est propriétaire et endetté est politiquement un citoyen calme. Ce sont de vieux fantasmes politiciens. Promouvoir l’accession à la propriété, plus personne n'en fera une priorité à échéance prévisible.Ce qui est important, c’est de disposer d’un marché locatif large. C’est devenu un véritable indicateur de localisation des entreprises. De plus en plus, ces dernières souhaitent implanter leurs bureaux et leurs usines dans des zones où il existe un réel marché locatif.
Il convient donc de le solidifier, notamment en stabilisant les relations propriétaires-locataires. Donc produire des logements, donc résoudre le problème du foncier.
Quant aux aides à l’investissement locatif, on ne peut pas y couper, mais il faudra se décider à stabiliser le système. Oui au principe même de l’avantage fiscal, oui à la contrepartie sociale, mais, on le sait, ces politiques sont techniquement délicates à mettre en œuvre. Il ne faut pas qu’il y ait trop d’effets d’aubaine et, pour cela, il faut adapter les politiques selon les zones, donc disposer d’une excellente connaissance des territoires. Ce qui est loin d’être le cas.