
La SCI, ou comment optimiser ses acquisitions immobilières
À un moment de leur vie, beaucoup de chefs d’entreprise souhaitent acquérir des murs pour loger leur société. On entend par « murs » tous les biens physiques tels que les bureaux, entrepôts, usines ou espaces de logistique ou de production, c’est-à-dire les locaux et terrains destinés à accueillir l’activité d’une société. Bien souvent, les chefs d’entreprise préfèrent acheter « les murs » de leur société plutôt que payer des loyers à un tiers. C’est aussi un excellent moyen de se constituer une épargne patrimoniale pour l’avenir. L’outil privilégié lors de l’acquisition d’un immeuble reste la SCI. Selon le régime fiscal choisi (impôt sur le revenu [IR], ou impôt sur les sociétés [IS]), l’impact financier ne sera pas le même. Il est donc préférable d’étudier les alternatives possibles pour optimiser son investissement. Un mauvais choix pourrait même mettre en sérieuse difficulté, voire en péril, la société d’exploitation. Optimiser sa fiscalité tout en finançant son immobilier d’entreprise est néanmoins possible.
Choisir l’impôt sur le revenu…
À l’IR, la société est « semi-transparente ». Fiscalement, cela signifie que tous les bénéfices dégagés par la SCI sont imposés au niveau des associés. Si ces derniers sont des personnes physiques, ces bénéfices sont imposés dans la catégorie des revenus fonciers. Ils sont taxés au taux marginal d’imposition de chaque associé (0 %, 14 %, 30 %, 41 % ou 45 %), auquel on ajoute les prélèvements sociaux (17,2 %). Autrement dit, si un dirigeant est imposé à un taux marginal de 41 %, il paiera 58,2 % (sans tenir compte de l’impact de la CSG déductible) d’impôts sur ses revenus fonciers, qui se calculent ainsi : on soustrait principalement du loyer les impôts fonciers, les frais de gestion, les intérêts d’emprunt ainsi que les frais d’entretien et de réparations. Ce choix s’avère pénalisant car l’amortissement de l’immeuble n’est pas déductible. Durant la phase de remboursement de l’emprunt, les associés ne perçoivent souvent aucun revenu et le bénéfice ne sert qu’à rembourser l’emprunt. Parfois même, les loyers sont insuffisants pour rembourser cet emprunt et payer les charges, si bien que les associés sont contraints de faire régulièrement des apports pour satisfaire aux besoins de trésorerie ; ce qui peut les amener à s’octroyer davantage de salaires, ce qui augmentera encore davantage le poids des charges sociales et de l’impôt sur le revenu. Le cercle n’est pas vertueux ! Et l’entreprise s’en trouve fragilisée. À l’IR, si les associés ont « le couteau sous la gorge » pendant la phase de remboursement de l’emprunt, la situation devient bien plus agréable lors de la cession de l’immeuble. En effet, ils bénéficient d’un abattement pour durée de détention qui leur permettra, au bout de 22 ans, d’être exonérés d’impôt sur le revenu sur la plus-value immobilière (et après 30 ans, de prélèvements sociaux).
Prenons un exemple : une SCI, détenue par deux associés à 50 %, achète un bureau à 300.000 €. Elle loue le bureau à une société, moyennant un loyer annuel de 30.000 €. Elle contracte un emprunt de 300.000 € sur 15 ans à 2,3 %.
On commence par déterminer le résultat fiscal de la SCI et son besoin de trésorerie
(voir tableau 1 ci-dessous).
Chaque associé est imposé sur 50 % du résultat fiscal, soit 8.590 € chacun. Ensuite, ce résultat sera imposé au taux marginal d’impôt sur le revenu (0 %, 14 %, 30 %, 41 % ou 45 %) et aux prélèvements sociaux (17,2 %).
Si l’associé est imposé au taux marginal de 41 %, il paiera alors 4.760 € d’impôts, qui se décomposent ainsi :
1. IR = 3.522 €
2. Prélèvements sociaux : 1.477 €
3. CSG déductible : – 239 €
Nous sommes au cœur d’une tourmente fiscale, puisque sans percevoir aucun revenu de sa SCI, le dirigeant devra payer 4.760 € d’impôts et avancer à sa SCI 650 € (1.300 € /2) afin de couvrir l’ensemble des frais, soit un total de 5.410 €.
Très souvent sa rémunération devra être augmentée de ce montant qui générera les cotisations sociales supplémentaires ainsi que l’impôt sur le revenu correspondant. La spirale infernale est enclenchée…
Si l’immeuble est vendu 400.000 € au bout de 20 ans, que se passe-t-il ? (voir tableaux 2 et 3 ci-dessous)
À l’issue de 20 ans de détention de l’immeuble professionnel, la charge fiscale sera très supportable puisqu’elle s’élèvera à 4.823 €, soit 4,82 % de la plus-value. Rien à voir avec le taux de l’impôt sur le revenu.
… ou opter pour l’impôt sur les sociétés
Pour pallier les inconvénients de l’IR, il est possible d’opter pour l’IS. Mais attention, l’IS est une option irrévocable. Il se calcule sur le résultat de la société. La différence majeure avec l’IR est que l’on peut déduire l’amortissement du résultat, ce qui a pour effet mécanique une réduction importante de ce dernier. Autre bonne nouvelle : le taux de l’IS est relativement faible, à savoir 15 % pour les bénéfices réalisés n’excédant pas 38.120€, et 28 % ou 33,33 % au-delà. Nous nous retrouvons ici dans une situation favorable, bien loin des 59,14 % à l’IR (taux maximum) !
Malheureusement, le ciel bleu de l’IS s’assombrit lorsqu’intervient la cession de l’immeuble. Et pour cause, si la vie est plus douce à l’IS qu’à l’IR pendant la phase de remboursement d’emprunt, il en va différemment lors de la cession de l’immeuble. En effet, lorsque la SCI cède l’immeuble, il n’y a jamais d’exonération des plus-values de cession, quelle que soit la durée de détention. Finalement, compte tenu de l’IS à payer sur la plus-value de l’immeuble, cumulé à l’IR pour la perception de cette plus-value, il ne reste au final « dans la poche » du dirigeant qu’environ la moitié du prix de vente de l’immeuble (c’était le tiers avant la flat tax).
Comprenons cette situation à l’aide d’un exemple ; on prend les mêmes données que pour l’IR (voir tableau 4 ci-après) :
L’impôt sur les sociétés à 15 % soit 1.080 € est à comparer aux 9.520 € d’impôt sur le revenu. L’économie pour les associés est donc de 8.440 € par an.
Mais si l’immeuble est vendu 400.000 € au bout de 20 ans, que se passe-t-il ?
L’immeuble après 20 ans d’amortissements vaut « comptablement » :
300.000 – (300.000 x 20/30) = 100.000 €.
Plus-value : 400.000 – 100.000 = 300.000 €.
IS sur plus-value 300.000 x 28 % = 84.000 € (on retient un taux d’IS de 28 %).
La plus-value nette est donc de 216.000 €.
L’associé paiera l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux sur 216.000 € soit 216.000 € x 30 % = 64.800 € (on retient ici l’option pour le prélèvement forfaitaire unique appelé plus communément flat tax).
Les associés encaisseront donc 400.000 € – 84.000 € – 64.800 €.
Soit 251.200 €, contre 395.592 € à l’IR. La différence de 144.392 € est colossale.
La combinaison idéale ? Opter à l’IS pendant la phase de remboursement de l’emprunt, et à l’IR lors de la phase de cession de l’immeuble. Le meilleur des deux mondes ! (voir tableau 5 ci-dessous)
Cette solution existe : elle passe par le démembrement des parts de la SCI.
Recourir au démembrement. Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Les associés de la SCI vendent l’usufruit temporaire de leurs parts pour une durée fixe à la société d’exploitation. Le Code civil nous impose une durée temporaire au plus égale à 30 ans car le cessionnaire est une personne morale. En règle générale, pour un juste équilibre des parties (les associés de la SCI d’une part, et la société opérationnelle d’autre part), la durée de l’usufruit doit excéder d’au moins deux ans celle de l’emprunt. Sur le plan juridique, la société d’exploitation reste locataire de l’immeuble et continue à ce titre à verser un loyer à la SCI. Mais en qualité d’usufruitière des titres de la SCI, c’est elle qui indirectement perçoit ces revenus.
La valeur de l’usufruit devra s’opérer au taux actuel du rendement du bien (loyer perçu/investissement). Ce prix économique sera le plus facile à défendre vis-à-vis de l’administration fiscale car celle-ci ne pourra mettre en œuvre ni l’arsenal de la répression de l’abus de droit (article L.64 du LPF), ni l’acte anormal de gestion. En effet, il sera facile de défendre l’intérêt économique de cette opération grâce à ce taux de rentabilité interne.
La SCI reste alors soumise à l’impôt sur le revenu. Le résultat fiscal de la SCI étant appréhendé par l’usufruitier, c’est la société d’exploitation qui acquittera l’impôt sur les sociétés sur le résultat de la SCI comme si celle-ci était à l’IS en vertu de l’article 238 bis K du CGI. En conséquence, la SCI peut amortir l’immeuble et déduire cet amortissement des loyers perçus. Le résultat de la SCI remontant à la société opérationnelle, cette dernière bénéficiera au final d’un double amortissement, celui afférent à l’immeuble et celui de l’usufruit des titres. Pendant la durée du démembrement, les nus-propriétaires ne supporteront ni impôt sur le revenu, ni contributions sociales. À l’expiration du délai, l’usufruit temporaire s’éteint sans formalités, ni coût ! Les associés se retrouvent alors dans une situation identique à celle de départ. Le démembrement des parts sociales de la SCI représente une solution gagnant-gagnant. La société d’exploitation tirera autant de profit que son associé dans cette opération.
Ce schéma permet un gain fiscal compris entre 20 % et 40 % (selon le taux de rentabilité de l’immeuble) de la valeur du bien parce que les règles prévues en matière de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) permettent de déduire l’amortissement du prix de revient de l’immeuble sur les revenus de la SCI et que l’impôt sur les sociétés est souvent inférieur à l’impôt sur le revenu cumulé aux prélèvements sociaux. Autre avantage, l’usufruitier réalise une opération financière intéressante grâce à l’effet de levier généré par la différence entre le rendement du bien et le coût de la dette. De plus, le démembrement lui permet d’être plus qu’un « simple » locataire.
Points de vigilance. Avant de recourir à ce mécanisme d’optimisation, il est nécessaire de réaliser une étude économique et juridique. Il faudra savoir préserver les droits juridiques et économiques de l’usufruitier. Cependant, des erreurs peuvent compromettre une telle organisation juridique : il est donc impératif d’être accompagné par un professionnel.
Des points de vigilance particuliers devront être apportés :
• Sur la présence et le vote lors des assemblées ;
• sur la répartition des résultats ;
• sur la durée de la cession temporaire d’usufruit.
Le risque fiscal de l'opération doit être apprécié au regard des deux armes dont l'administration pourrait être tentée de faire usage : la théorie de l'acte anormal de gestion et l'abus de droit.
Acte anormal de gestion. En premier lieu, le dirigeant, en accord avec la société cessionnaire (et donc avec lui-même s'il est ultra majoritaire dans cette dernière), pourrait être tenté de surévaluer l'usufruit des titres et donc de gonfler artificiellement le prix de cession. Ce qui d'une part serait préjudiciable à l'intérêt de la société d'exploitation et constitutif d'un abus de bien social et d'autre part exposerait celle-ci à la théorie fiscale de l'acte anormal de gestion. Il en résulterait une double conséquence :
• Pour la société, la réintégration d’une fraction de l’amortissement indûment comptabilisé ;
• pour le dirigeant, l’imposition dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sans le bénéfice de l’abattement de 40 %, de la différence entre le prix de cession et la valeur réelle du droit cédé.
Afin d’éviter toute mésaventure fiscale, on peut retenir que la valeur de l’usufruit est la somme des flux futurs actualisés au taux de rendement interne du bien.
Abus de droit. La cession de l'usufruit des parts de la SCI à la société exploitante a pour effet, on l'a vu, d'améliorer la situation du dirigeant au regard de l'impôt sur le revenu. Pourrait-on considérer que la stratégie mise en place a eu pour seul mobile d'éluder l'impôt, alors même qu'en contrepartie le dirigeant se trouve privé des revenus pendant toute la durée du démembrement ? Si nous acceptons ce préambule, toutes les ventes d'immeubles dès lors que le vendeur a entendu opérer un arbitrage patrimonial pour échapper à une fiscalité trop lourde seraient constitutives d’un abus de droit. Ce serait bien entendu ubuesque.
Du côté cette fois de la société cessionnaire du droit d'usufruit, l'administration ne serait-elle pas fondée à estimer que l'opération a eu pour seul but de pratiquer un double amortissement sur le même bien ? Là encore, les arguments à opposer à l'administration ne manquent pas. Plus généralement, l'existence d'un abus de droit doit être appréciée globalement. C'est l’opération dans son ensemble qui est ou non constitutive d'un abus. Dès lors, s'il est démontré que l'opération présente une utilité patrimoniale autre que fiscale pour le cédant, la procédure de répression des abus de droit doit être écartée, quand bien même l'opération présenterait un avantage fiscal pour la société d'exploitation. Il faut absolument démontrer l’intérêt économique et patrimonial de ce schéma pour la société opérationnelle.
Un avis rendu par le Comité de l’abus de droit fiscal est récemment venu conforter ce type de montage (séance du 23 juin 2016, affaire 2016/11). Un montage qui consiste à apporter l’usufruit temporaire de titres de SCI (non soumises à l’IS) à des sociétés à l’IS, permettant entre autre de bénéficier des règles favorables de l’IS, ne constitue pas un abus de droit dès lors que les sociétés bénéficiaires de l’apport sont pourvues de substance économique.
Le comité de l’abus de droit estime que l’option d’une société pour l’assujettissement de ses bénéfices à l’impôt sur les sociétés n’est pas en elle-même constitutive d’un abus de droit alors même que le régime d’imposition qui résulte de cette option est plus favorable au contribuable.
Il en irait autrement si le montage était purement fictif. Tel serait le cas si les sociétés ayant opté pour l’IS étaient dépourvues de substance économique et n’avaient été créées que dans le seul but d’atténuer la charge fiscale du contribuable par une application littérale de l’article 238 bis K du CGI contraire aux objectifs voulus par le législateur.
Au-delà du démembrement, d’autres décisions, notamment celles concernant le montant du capital de la SCI, ou l’affectation du résultat, ou encore la décision d’amortir ou non, ont toutes un impact significatif sur les différents impôts et taxes (voir tableau 6).
Conclusion
Le schéma de démembrement permet à tout chef d’entreprise d’acquérir un bien immobilier dans son patrimoine personnel sans mettre en péril la pérennité de sa société opérationnelle. Il permet ainsi de séparer le bien immobilier des aléas de la vie de l’entreprise et aussi, d’envisager la transmission de son patrimoine à ses héritiers.
D’aucuns crient au loup prétendant que ce montage est constitutif d’un abus de droit. Même s’il est vrai que certains contribuables ont été redressés en utilisant cette construction juridique, ils l’ont été parce qu’ils l’utilisaient mal, voulant notamment s’accaparer l’ensemble de l’économie d’impôt. Une stratégie tentante, mais risquée, puisqu’elle conduit la société opérationnelle à ne tirer aucun profit de son opération d’acquisition
de l’usufruit.
Rolland Nino, directeur général exécutif, BDO France