
La réserve héréditaire est-elle toujours adaptée ?

Jacques Charles, avocat, cabinet Legrand et associés et Amélie de Bryas, docteur en droit, directrice adjointe à l’institut de gestion du patrimoine de Paris Dauphine
De nombreuses recompositions familiales prennent naissance sous des formes variées avec l’arrivée d’enfants issus d’unions différentes. Ce phénomène a pour effet de mettre en présence de plusieurs générations des besoins de protections différents, le tout accompagné d’une place de plus en plus prégnante du conjoint. En outre, des actifs productifs peuvent être mis en péril à l’occasion de transmissions conflictuelles. Comment, dès lors, la transmission harmonieuse des patrimoines doit-elle s’organiser au profit des enfants issus de ces différentes unions ? Il en découle une nécessaire adaptation des règles de transmission successorale dans notre droit français.
Le constat. La réserve héréditaire issue de la rédaction du Code civil de 1804, et érigée en disposition d’ordre public, impose une transmission héréditaire légale d’une quote-part de la succession en fonction du nombre d’enfants en ne laissant que très peu de place à la transmission organisée par testament et en ne tenant aucun compte de l’âge, de l’autonomie, des liens avec son auteur ou de l’origine familiale de chaque enfant. De timides assouplissements ont vu le jour, avec la dernière réforme portant sur le droit des successions, avec l’avènement de quelques dispositions techniques, notamment la renonciation anticipée à l’action en réduction, qui en réalité ne voit que peu d’applications dans la pratique notariale. La mobilité géographique des individus les amène à être confrontés aux règles juridiques édictées par la common law, qui privilégie, à l’inverse de notre système juridique, la transmission testamentaire, ne laissant qu’une place résiduelle à la succession légale, et qui met en outre à la disposition de ses ressortissants l’institution du trust, méconnue du droit français et pourtant beaucoup plus adaptée à la souplesse de l’organisation successorale.
Les solutions mises en œuvre par la pratique juridique. Les praticiens de la gestion de patrimoine utilisent les outils à leur disposition pour rechercher de la souplesse et de la sécurité juridique dans l’organisation de la transmission successorale, en essayant de contourner, sans toutefois l’afficher clairement, les rigidités de la réserve. En faveur du conjoint, un usage adapté des avantages matrimoniaux, de clauses de préciput ou de clauses d’attribution intégrale en pleine propriété permet d’avantager clairement le conjoint survivant, souvent parent des plus jeunes enfants du couple que ce dernier souhaite en général protéger. La question de l’action en retranchement de l’article 1527 du Code civil, permettant aux enfants d’un premier lit de percevoir leur part réservataire, est alors abordée sous l’angle de la contractualisation, l’assurance décès ou l’assurance vie venant alors au secours du préfinancement de l’opération. Elle peut être envisagée, dans certains cas, en créant un nouveau lien de filiation au moyen d’une adoption simple des premiers enfants par le nouveau conjoint. D’une manière plus agressive, des techniques permettant de protéger le couple au détriment des enfants sont mises en place par la pratique, qui voit, par exemple, renaître les acquisitions immobilières sous le régime de la tontine, soit directement, soit sur des parts sociales de société, lesquelles, couplées à un pacs, permettent une neutralité fiscale.
Les nécessaires évolutions législatives. Ne serait-il pas plus sain de prendre en compte l’évolution de la société actuelle des familles afin de réinventer un système de transmission faisant une place plus importante à la liberté, permettant ainsi à chaque testateur de tenir compte de la spécificité de sa propre famille ? La loi pourrait intervenir d’une manière plus résiduelle sous la forme de règles anti-abus, en réglementant d’une manière plus stricte les contournements aujourd’hui constatés. Si les Français ne semblent pas prêts, aujourd’hui, à l’adoption du système anglo-saxon, par respect de la tradition de notre pays, qui considère que la réserve est aussi bien un prolongement de l’obligation alimentaire qu’un instrument égalitaire et impératif de répartition des biens au sein de la famille, ne seraient-ils pas prêts à un assouplissement des règles ? Il pourrait également être envisagé de repenser les critères nécessaires au calcul des parts de réserve individuelle. Par exemple, un paramètre tenant compte de l’âge du bénéficiaire de la réserve pourrait intervenir. Ainsi, les enfants mineurs seraient davantage protégés par rapport à ceux qui sont déjà installés dans la vie.