La réforme fiscale de Joe Biden met la finance en émoi

Alexandre Garabedian
Le président américain pourrait annoncer le 28 avril un tour de vis sur les gains en capital. Les gérants de fonds sont en première ligne.
Joe Biden (Bloomberg)

Joe Biden ne prend personne par surprise. Le président américain avait promis durant sa campagne d’augmenter les impôts – ou du moins, de reprendre les cadeaux accordés par son prédécesseur – pour financer une partie de son programme de relance. Après avoir annoncé début avril une réforme de l’impôt sur les sociétés doublée de propositions pour une juste taxation des multinationales, le locataire de la Maison-Blanche s’apprête à en faire autant pour les particuliers. Lors d’un discours devant le Congrès, attendu ce 28 avril, Joe Biden devrait dévoiler une hausse de la fiscalité des particuliers qui affectera d’abord les Américains les plus aisés.

Wall Street a accusé le coup jeudi soir, alors que les médias commençaient à se faire l’écho de ce projet. Et pour cause : les mesures reviendraient quasiment à doubler l’imposition des plus-values en capital. Elles consisteraient à aligner la fiscalité des gains en capital (20%) sur celle des revenus, pour les contribuables gagnant plus de 1 million de dollars par an, et à porter de 37 % à 39,6 % le taux de la tranche supérieure de l’impôt sur les revenus. La contribution de 3,8 % sur les revenus de placement, votée sous Barack Obama et qui s’applique au-delà de certains seuils (125.000 dollars de gains pour un célibataire), continuera à s’ajouter. Au total, les plus-values du capital des contribuables les plus aisés seraient imposées à 43,4 % à l’échelon fédéral. Un taux qui dépasserait 50 % dans des Etats comme la Californie, qui appliquent aussi une taxe locale.

Lobbying intense

Ces mesures toucheraient notamment les gérants de l’univers des hedge funds et du capital investissement. Leur rémunération, sous forme de carried interest, ou intéressement aux plus-values, est aujourd’hui assujettie au taux plus favorable des gains en capital. L’alignement par le haut, qui figurait au programme de Joe Biden, a été maintes fois débattu aux Etats-Unis. Mais le lobbying efficace des financiers de Wall Street a toujours écarté jusqu’à présent cette menace.

Dans la sphère de l’investissement, les réactions hostiles au projet de Joe Biden n’ont d’ailleurs pas tardé. L’argumentaire est connu : plus ils seront taxés, moins les hauts revenus auront à cœur de financer des projets créateurs de richesse et d’emplois. « La taxe à 43,4 % pourrait tuer la poule aux œufs d’or qu’est l’Amérique/Silicon Valley » a twitté Tim Draper, l’une des figures de proue du capital risque outre-Atlantique.

Comme pour l’impôt sur les sociétés, la réforme devra faire consensus au sein de la majorité démocrate et passer l’épreuve du Congrès. « Un compromis sera donc trouvé, relève Sebastian Paris-Horvitz, directeur de la recherche de La Banque Postale AM. A ce stade, l’idée qui semble dominer est une hausse plus modérée autour de 30 % pour les gains en capital. Mais ce qui semble inéluctable est une hausse de l’impôt. » La crise sanitaire et la flambée des actifs financiers ont creusé les inégalités de revenus et de patrimoine. Taxer les « riches », les fameux 1 % les plus aisés de la population, est une idée populaire, surtout si elle vise des gérants de hedge funds dont la fortune personnelle se compte en milliards de dollars. D’après les données du fisc, seulement 0,32 % des Américains déclarent plus d’un million de revenus annuels et seraient concernés par la mesure.

Au Royaume-Uni, lui aussi engagé sur la voie des hausses d’impôt, le gouvernement a lancé fin 2020 une réflexion sur la réforme du carried interest.

Pas de lien avec la performance boursière

La baisse de 1 % de l’indice S&P 500 jeudi est toutefois restée sans lendemain. Le risque d’une vente massive d’actions de la part d’investisseurs individuels souhaitant prendre leurs bénéfices avant d’être imposés à 43,4 % est jugé minime. « Les rares fois où de telles mesures ont été prises dans le passé, on a assisté à des prises de profits, souligne Sebastian Paris-Horvitz. Mais il est plus que probable que ceci sera temporaire, et les flux reviendront s’investir, notamment en Bourse, faute de réelle alternative de rendement. »

Les économistes d’UBS rappellent que les actions américaines sont détenues à 25 % seulement par des investisseurs domestiques, imposables localement. Historiquement, « il n’y a aucun lien entre les changements dans la taxation des gains en capital et la performance du marché boursier américain », indique UBS, qui n’observe pas non plus de corrélation avec les multiples de valorisation des bénéfices. En 2013, date du dernier tour de vis fiscal sur les revenus de placements, l’indice S&P 500 avait même signé un bond de 30 %. La conjoncture, les perspectives de résultats et l’action des banques centrales restent le moteur de la Bourse.