
La France affine son échelle de risque anti-blanchiment

Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Colb) vient de dévoiler sa nouvelle analyse nationale des risques (ANR) de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LCB-FT) en France. Succédant à la première version de 2019, le rapport évalue le cadre français au regard des exigences du Groupe d’action financière (Gafi), un organisme intergouvernemental chargé de l’élaboration des normes internationales en la matière.
«En 2019, chaque autorité de supervision proposait son analyse propre, elle est ici transversale et a été élaborée par secteur en associant les professionnels concernés», a détaillé Didier Banquy, président du Colb, lors d’un briefing presse.
L’estimation du risque, qui se détermine en croisant par secteur le niveau de menace avec celui de vulnérabilité, a été affiné selon une cotation à quatre niveaux pour se rapprocher de la méthodologie du Gafi : faible, modéré, élevé et très élevé. Dans les secteurs présentant un risque modéré à faible, on trouve les services financiers, l’assurance vie et non vie, le crédit hors consommation ou les fiducies.
Trois secteurs à risque très élevé
Le secteur financier pris dans son ensemble concentre comme à son habitude l’essentiel des risques de blanchiment de capitaux. «Le secteur financier comportait déjà le niveau de risque le plus élevé en 2019, a indiqué l’ACPR. Trois secteurs sont identifiés comme à risque très élevé dans ce rapport : les transmetteurs de fonds, les établissements de monnaie électronique et le secteur des actifs numériques.»
Les actifs numériques ont fait l’objet d’une réévaluation en raison de leur plus grande diffusion : selon la banque centrale européenne (BCE), un ménage sur dix en détient dans la zone euro. Le Colb identifie l’anonymisation des détenteurs et l’opacité des transactions, couplée à la «connaissance limitée» de la réglementation LCB-FT par les prestataires, comme une vulnérabilité majeure.
L’émergence des NFT
«l’ANR n’est pas une photographie du passé : le cru 2023 embrasse les risques émergents, a fait observer Tracfin. Les jetons non-fongibles (NFT) sont analysés pour la première fois sous l’angle des menaces et vulnérabilités associées malgré l’absence de législation européenne.»
Des NFT «artistiques» (des certificats d’authenticité d’une œuvre, physique ou non) servent de supports à la promotion de groupe terroristes qui obtiennent des financements directs ou contournent des mesures restrictives les concernant. Les NFT sont mal cernés par la législation française, ce qui aboutit à ce que certains ne rentre pas dans la catégorie des actifs numériques définie par la loi Pacte. Les plateformes d’échanges n’ont alors pas d’obligations de s’enregistrer comme prestataires de services sur actifs numériques (Psan) et passent sous le radar des superviseurs.
Un rapport plus granulaire à venir
L’ANR sera complété par la publication prochaine de l’analyse sectorielle des risques (ASR), proposant une approche plus segmentée de chaque secteur.
Le rapport d’évaluation du Gafi des dispositifs nationaux LCB-FT, sorti en mai 2022, plaçait la France dans le peloton de tête des pays doté des cadres normatifs les plus robustes. Il avait notamment plébiscité les créations répressives françaises comme le parquet national financier (PNF) ou le parquet national antiterroriste (PNT).
Un nouveau paquet européen LCB-FT est en cours d’adoption. Il imposera notamment des obligations de traçabilité des transferts aux Psan.
Le chantier du registre des bénéficiaires effectifs
Créé par une directive européenne LCB-FT de 2015, le registre des bénéficiaires effectifs, ultimate beneficial owner (UBO), liste les personnes physiques qui ont un contrôle effectif sur une société dans les Etats-membres de l'Union européenne. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par une décision du 22 novembre 2022, avait considéré l’accès du grand public à ce registre comme une ingérence disproportionnée. Après avoir suspendu son accès au grand public en décembre 2022, la France l’a rétabli début janvier. Bercy travaille actuellement à définir précisément la notion d’intérêt légitime pour l’accès au registre, qui devra être garanti notamment pour les journalistes et certaines organisations de la société civile. «La décision de la CJUE pas de nature à faire baisser la notation de la France car le Gafi n’exige pas l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs, a rassuré le Trésor. Celui-ci reste bien accessible à tous les acteurs assujettis LCB-FT qui pourront toujours effectuer leurs opérations de vérification et de cohérence.» En parallèle des travaux français, la Commission européenne réfléchit également à la façon d’intégrer dans les prochains textes LCB-FT cette jurisprudence.