TAUX EFFECTIF GLOBAL

La dualité des sanctions réaffirmée

La nullité et la déchéance des intérêts restent optionnels en matière de TEG erroné, pour la Cour de cassation
Les juridictions du fond ne l’entendent pas toujours ainsi, parfois au détriment des emprunteurs
Jean-Simon Manoukian, avocat

Déchéance ou nullité des intérêts ? La pratique judiciaire n’est pas toujours cohérente en cas de taux effectif global (TEG) erroné (1). Récemment encore, la Cour de cassation a réaffirmé la latitude de l’emprunteur (2), offrant à ce dernier « la possibilité d’opter alternativement ou cumulativement pour la déchéance et la nullité selon le cas d’espèce et le fondement juridique de l’action », explique Jean-Simon Manoukian, avocat. Mais « depuis plusieurs mois un fossé se creuse entre la Cour de cassation et les cours d’appel qui sont de plus en plus nombreuses à refuser la nullité de la clause d’intérêt et préférer la déchéance des intérêts », selon l’expert. Ainsi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (3) a jugé que « l’emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d’ordre public des articles L312-1 et suivants du Code de la consommation, dans leur rédaction applicable au litige, disposer d’une option entre nullité ou déchéance privant le juge de la possibilité de prévoir une sanction proportionnée à la gravité de l’erreur, une telle option ne participant pas à l’objectif recherché par le législateur, à savoir donner au TEG une fonction comparative ».

Des conséquences variables. La distinction est utile, car la déchéance, sanction issue du Code de la consommation, et la nullité, conséquence du défaut de rencontre des volontés au plan contractuel, obéissent à des régimes bien distincts. Dans l’hypothèse de la nullité, dont seule la clause de stipulation d’intérêt est concernée, « l’emprunteur devra toujours rembourser le capital selon le calendrier d’amortissement, mais avec un intérêt calculé ab initio au taux légal », souligne Jean-Simon Manoukian. En revanche, dans le cas de la déchéance, le juge dispose d’un « pouvoir totalement discrétionnaire pouvant aller jusqu’à ne prononcer aucune déchéance d’intérêt nonobstant un TEG erroné de plus d’un dixième de point ». Le point de départ de l’action de chacun de ces régimes est également différent : la nullité porte sur la date de formation du contrat de prêt (4), tandis que la déchéance concerne celle de l’offre de prêt. « Dans ce cens, si une erreur de TEG dans l’offre est corrigée dans le contrat, l’emprunteur ne peut plus prétendre qu’à une déchéance, qui n’est constitutive d’aucun droit puisqu’elle est abandonnée à un arbitraire discrétionnaire », précise Jean-Simon Manoukian.

L’usure, seul objectif. Toute la difficulté de l’appréciation du TEG réside dans son objet, qui demeure encore parfois mal compris. « Le TEG n’a pas été créé pour comparer des crédits entre eux mais pour mesurer si le coût total d’un crédit dépasse ou non le seuil d’usure. Son mécanisme ne répond qu’a une question : si tous les frais et chargements (dossier, assurance, garanties, etc.) imposés pour l’octroi d’un prêt avaient la nature d’un intérêt, quel serait le taux de ce prêt ? », résume l’avocat. Sur ce point, la fin de l’exonération de la taxation sur la garantie décès dans le cadre de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), actée par la loi de finances pour 2019, n’est pas sans soulever des difficultés. En ce début d’année, certains établissements de crédit ont commencé à augmenter leurs tarifs d’assurance de prêt, « ce qui vient peser sur le TAEG et le coût global du crédit, avec un risque plus élevé de dépasser le taux de l’usure, notamment pour les séniors », analyse le courtier en crédit Vousfinancer.com. Alors que le taux d’usure baisse d’année en année (3,01 % aujourd’hui sur les prêts à taux fixe de 20 ans et plus), « un effet double-peine et pervers qui va à l’encontre du but recherché : le taux d’usure excluant du crédit des emprunteurs parfaitement solvables », conclut Meilleurtaux. 


(1) Le taux annuel effectif global (TAEG), qui s’est substitué au TEG le 21 mars 2016, impose une nouvelle méthode de calcul actuarielle alors que celle-ci était jusqu’alors proportionnelle.
(2) Civ. 1ère, 26 septembre 2018, n°17-15352 ; Civ. 1ère, 6 juin 2018, n°17-16300 ; Civ. 1ère, 12 décembre 2018, n°17-21240.
(3) CA Aix-en-Provence, 11 octobre 2018, n°16-13108.
(4) Civ. 1ère, 14 avril 2016, n° 15-14.760 ; Civ.1ère, 6 décembre 2017, n° 16-19914.