
La déchéance du dispositif peut être partielle

Dans un arrêt rendu le 10 juillet 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation (1) a pris le contrepied de l’administration fiscale en jugeant que la cession d’une parcelle agricole appartenant à un ensemble de biens loués à long terme n’entraînait pas la déchéance du dispositif d’exonération. Un arrêt de principe qui tranche avec la jurisprudence existante.
Problématique. Les biens ruraux donnés à bail à long terme sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit à hauteur des trois-quarts de leur valeur, sous réserve que les héritiers les conservent pendant un délai de cinq ans à compter de la transmission (article 793 bis du Code général des impôts – CGI). Ces actifs étant définis par l’administration fiscale comme l’objet du bail, « les services fiscaux estiment que l’obligation de conservation porte sur tous les éléments compris dans le bail au motif qu’ils constituent un bien unique », commente Fabien Barthe, avocat du cabinet Racine.
Espèce. La défunte laisse pour lui succéder ses deux fils. La succession est composée de différents biens loués à une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), dont les héritiers sont les seuls associés. Avant l’expiration du délai de cinq ans, les deux frères ont scindé l’une des parcelles en trois lots et ont cédé deux d’entre eux à l’EARL.
Déchéance totale de l’exonération. À l’issue d’un contrôle, le fisc a considéré que l’obligation de conservation n’avait pas été respectée et que la cession partielle de la parcelle entraînait automatiquement la déchéance du droit à l’exonération pour toutes les parcelles reçues et incluses dans le bail, y compris celles conservées par les contribuables. Une position que l’administration défend pour lutter contre certaines pratiques abusives qui consistent par exemple pour un propriétaire à donner des biens objets du bail en bénéficiant d’une exonération de droits, à voir le donataire vendre le bien reçu au preneur, provoquant l’extinction prématurée du contrat de location. Dans ce dossier, les services de Bercy ont rappelé les droits de succession et les pénalités dus sur la totalité des terres exonérées.
Contentieux. Un redressement que les héritiers ont contesté devant le tribunal de grande instance de Troyes, qui dans sa décision a suivi les conclusions de Bercy. « Les juges ont visé dans leur jugement deux arrêts, l’un de la cour d’appel de Versailles (2) l’autre de la chambre commerciale de la Cour de cassation (3), pour conclure que les biens donnés à bail à long terme devaient être considérés comme une unité indissociable », précise Fabien Barthe, et « que la cession de l’un d’eux justifiait la déchéance totale du régime de faveur ». Déboutés, les contribuables ont interjeté appel du jugement. La cour d’appel de Reims et la Cour de cassation ont infirmé la décision de première instance et ont déchargé les héritiers du paiement des droits supplémentaires notifiés par l’administration.
Une décision inédite. Dans leur attendu, les magistrats de cassation ont confirmé que la cour d’appel avait exactement retenu que la remise en cause de l’exonération ne devait porter que sur les deux parcelles cédées à l’EARL et non sur toutes celles données à bail. « Une décision qui constitue un arrêt important et attendu puisqu’en 2004, la chambre commerciale avait adopté dans une affaire similaire une position exactement inverse », analyse Fabien Barthe. Selon les magistrats, aucune disposition légale n’évoque la notion de « bien unique » pas plus que le CGI ne mentionne que la condition exonératoire implique la conservation de la totalité des biens. Pour définitivement écarter les prétentions de l’administration fiscale, les juges se sont prévalus de la doctrine administrative qui indique « qu’en cas de pluralité de biens de même nature ayant bénéficié de l’exonération partielle, la déchéance encourue sur l’un des biens est sans incidence à l’égard des autres biens, mais aussi à l’égard des co-indivisaires. »
(1) Cass. Com. 10 juillet 2018,
n°16-26.083.
(2) CA Versailles, 7 février 2002.
(3) Cass. Com., 3 novembre 2004,
n°02-14.421