La Cour de cassation renforce sa vigilance à l’égard des intermédiaires

Un arrêt du 17 juin 2015 traduit un renforcement sensible de la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de la responsabilité des intervenants dans le cadre d’opérations de défiscalisation immobilière, qu’il s’agisse des conseillers en fiscalité immobilière ou des notaires. Silvestre Tandeau de Marsac, avocat au barreau de Paris, en détaille la portée.
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La jurisprudence relative à la responsabilité des professionnels intervenant dans le cadre d’opérations de défiscalisation immobilière vient de s’enrichir d’un arrêt lourd de conséquences pour ces derniers.

En l’espèce, un couple d’investisseurs désireux de réaliser un investissement immobilier dans le but de défiscaliser leurs revenus sont entrés en relation avec un agent immobilier et conseiller en gestion de patrimoine qui, à la suite d’études personnalisés, leur a conseillé d’investir dans un programme immobilier sous le régime des monuments historiques, développé par l’un de ses partenaires promoteurs immobiliers.

L’investissement devait permettre d’accéder au dispositif de défiscalisation loi Malraux.

Les époux investisseurs ont par acte authentique du 29 décembre 2006 acquis un local à usage d’habitation, à un prix comprenant le coût de l’immeuble et celui des travaux de réhabilitation dont le financement était assuré au moyen de deux prêts immobiliers constatés dans le même acte notarié.

Par la suite, le promoteur-vendeur et ses filiales chargées de la réalisation des travaux et de l’exploitation de la future résidence hôtelière ont été placés en redressement puis en liquidation judiciaire avant même que ne débutent les travaux de réhabilitation.

Les investisseurs, soutenant avoir réglé en pure perte une somme en l’occurrence de 328.387 euros à titre d’avances sur travaux, ont assigné en responsabilité l’agent immobilier et le notaire instrumentaire de l’acte de vente en leur reprochant un manquement à leurs obligations d’information et de conseil.

Ils furent déboutés en première instance et an appel de leurs demandes au motif qu’ils avaient été informés des éléments essentiels de cette opération et adhéré à un projet correspondant exactement au type d’investissement défiscalisant qu’ils recherchaient en l’absence de tout apport, ce qui supposait de leur part l’acceptation d’un certain aléa qu’ils devaient assumer.

L’arrêt est censuré.

La Cour de cassation relève que les juges d’appel ne démontraient pas que les investisseurs, qui contestaient ce point, avaient été informés que l’acquisition conseillée ne leur garantissait pas la bonne fin de l’opération, dont le succès était économiquement subordonné à la commercialisation rapide et à la réhabilitation complète de l'immeuble destiné à être exploité en résidence hôtelière, ce qui constituait un aléa essentiel de cet investissement immobilier de défiscalisation à finalité touristique.

Autrement dit, le manquement reproché porte sur l’absence d’informations sur l’aléa économique de l’opération.

Mais ce n’est pas tout.

La décision est également cassée au visa de l’article 1382 en ce qui concerne la responsabilité du notaire instrumentaire.

L’arrêt attaqué avait jugé que les acheteurs investisseurs ne remettaient pas en cause la validité de la vente, que lorsque l’acte authentique avait été reçu, ils avaient déjà levé l’option de sorte que la vente était parfaite et qu’à ce stade, le notaire n’était pas tenu d’un devoir de mise en garde sur l’opportunité économique de l’opération, ni sur ses risques.

L’arrêt est à nouveau censuré.

La Cour de cassation juge qu’en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la circonstance que la promesse de vente comme la déclaration d'intention d'aliéner avaient été établies avant que le promoteur-vendeur n'acquiert l'immeuble à réhabiliter, n'était pas de nature à alerter le notaire sur la faisabilité juridique et financière de cette opération de défiscalisation immobilière, de sorte qu'il lui incombait d'en informer les investisseurs, voire de leur déconseiller de souscrire à ce programme, devoir que la perfection de la vente du lot ne le dispensait pas d'accomplir, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil.

Enfin, l’arrêt relève un troisième moyen de cassation au visa toujours des articles 1147 et 1382 du code civil en reprochant à la Cour d’appel ne pas avoir suffisamment caractérisé l’absence de lien causal entre la perte alléguée des fonds empruntés et les manquements reprochés au conseiller en défiscalisation immobilière comme au notaire.

En définitive, cette décision traduit un renforcement sensible de la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de la responsabilité des intervenants dans le cadre d’opérations de défiscalisation immobilière, qu’il s’agisse des conseillers en fiscalité immobilière ou bien des notaires.

Dans un cas comme dans l’autre, la Cour de cassation relève qu’il pèse sur ces derniers des obligations d’information renforcées.

Au premier chef, l’agent immobilier qui conseille une opération de défiscalisation immobilière doit informer ses clients sur l’aléa économique susceptible d’affecter une opération d’investissement immobilier de défiscalisation à finalité touristique en particulier sur la nécessité d’une commercialisation rapide et d’une réhabilitation complète de l’immeuble pour que l’opération soit menée à bonne fin.

Quant au notaire, il se voit mettre à sa charge non seulement une obligation d’information mais aussi un devoir de déconseiller de souscrire à un programme dont la faisabilité juridique et financière ou apparait incertaine.

A l’évidence, cette décision marque un tournant dans l’appréciation des obligations d’information et du devoir de conseil pesant sur les professionnels de la défiscalisation immobilière. L’idée que pèse sur le notaire instrumentant une vente immobilière un devoir de déconseiller à son client de souscrire à une opération refait surface.