La Cour de cassation relance le débat sur l’AMF

La plus haute instance judiciaire a annulé un arrêt de la cour d’appel qui avait permis à l’AMF de reprendre une procédure.

Par L'Agefi Quotidien

Un vieux dossier refait surface : celui des ventes à découvert d’actions Natixis en 2008, qui oppose l’Autorité des marchés financiers (AMF) à deux hedge funds. La Cour de cassation a rendu le 24 octobre dernier un arrêt de principe qui pourrait remettre en cause certaines pratiques de l’instance de supervision.

En octobre 2008, l’AMF avait lancé une enquête sur la baisse du titre Natixis pendant son augmentation de capital le mois précédent, au plus fort de la crise financière. En février 2012, sa commission des sanctions avait condamné Coudrée Capital Management (CCM) et Compania Internacional Financiera (CIF) à des amendes : elle leur reprochait d'avoir vendu des actions Natixis à découvert sans pouvoir les livrer à temps et d’avoir prévu des couvertures insuffisantes ou tardives pour pallier le risque d'un retard de livraison.

Mais cette décision avait été annulée en octobre 2013 par la cour d’appel de Paris pour vice de forme, les accusés n’ayant pu exercer leur droit de récusation concernant l’un des membres de la commission des sanctions, également salarié d’une banque impliquée dans l’augmentation de capital.

Débat autour de l'annulation de sanctions

Il s’en est ensuivi une polémique. Au lieu d’en rester là, l’AMF, à travers son collège, a décidé en septembre 2014 de reprendre la procédure là où elle s’était arrêtée, estimant que la cour ne s’était prononcée que sur la violation du droit de récusation. Un mois plus tard, sa commission des sanctions condamnait à nouveau les fonds.

Les avocats des fonds estimaient eux que l’autorité s’était vue définitivement dessaisie de l’affaire. Ils ont donc à leur tour fait appel. Il est courant que l’AMF reprenne des procédures lorsqu’il s’agit de recours disciplinaires devant le Conseil d’Etat, qui est une juridiction administrative. Mais cela n’est jamais arrivé dans des contentieux portés devant la cour d’appel de Paris, car celle-ci annule purement et simplement la décision de sanction de l’autorité inférieure – il existe quelques cas rares où elle lui a substitué sa propre sanction, selon son pouvoir de réformation. " Le seul moyen pour l’AMF de pouvoir reprendre l’affaire aurait été d’attaquer la décision de la cour d’appel de 2013 ", affirme à L’Agefi Patrick Jaïs, avocat associé du cabinet De Pardieu Brocas Maffei, qui défend les deux fonds.

Or en mars 2016, la cour d’appel de Paris confirme cette fois les sanctions contre CCM et CIF, estimant que " l’annulation prononcée par l’arrêt […] du 24 octobre 2013 n’est pas de nature à affecter la validité de l’ensemble de la procédure mais uniquement des actes intervenus à compter de la convocation à la séance de la commission, et que la procédure de sanction suivie antérieurement à la décision du 16 février 2012 est toujours pendante ", comme le rappelle la Cour de Cassation dans ses attendus.

Effet dévolutif  du recours en appel

C’est contre cette décision en appel que les fonds se sont pourvus en cassation, soulevant plusieurs moyens : les vices de procédure en vertu du principe de non bis in idem, les griefs reprochés à CCM et CIF et les sanctions elles-mêmes. C’est sur le premier moyen que repose la décision de cassation.

Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle qu’il appartient à la cour d’appel de se prononcer sur le fond de l’affaire, en vertu de l’effet dévolutif du recours (qui désigne le fait que la cour d'appel est amenée à réexaminer tout le dossier). Or, " l’arrêt du 24 octobre 2013 avait annulé la décision de la commission des sanctions sans statuer sur le fonds de l’affaire, ni ordonner le renvoi de la procédure devant l’AMF aux fins de reprise de l’instruction ", rappelle la plus haute autorité judiciaire. Cette absence, que la cour d’appel a elle-même constaté en 2016, a rendu la décision irrévocable. Il en résulte " que cette décision avait eu pour effet de mettre fin aux poursuites ". C’est pourquoi la Cour de cassation a cassé et annulé le dernier arrêt de la cour d’appel, ainsi que la décision de la commission des sanctions de l’AMF d’octobre 2014.

" Cet arrêt règle plusieurs problèmes, estime Patrick Jaïs : l’effet dévolutif du recours devant la Cour d’appel et le dessaisissement de l’AMF lorsqu’une décision est annulée par la cour d’appel, sauf si celle-ci l’autorise expressément. Et il pose à nouveau le problème de la dissociation organique entre les fonctions de poursuite et de sanction au sein de l’AMF. "

Sollicitée par L’Agefi, l’AMF répond qu’elle «prend acte et ne commente pas plus avant les décisions des juridictions».