Fraude fiscale : Bercy se donne une nouvelle feuille de route

Frédérique Perrotin-Laquerrière
Le gouvernement vient de dévoiler ses objectifs ambitieux en matière de lutte contre la fraude fiscale d’ici la fin du quinquennat.
REA

Le contrôle fiscal et la lutte contre la fraude sont affichés comme des priorités politiques. Sur la période 2017-2021, en cinq ans, 9 Md€ ont été encaissés en moyenne chaque année en matière de contrôle fiscal, soit 45 Md€ encaissés au total sur le premier quinquennat. Les droits notifiés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) se sont élevées à 14,6 Md€ en 2022, un montant jugé historique par Bercy.

Cibler les patrimoines les plus importants

Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics auprès du ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a annoncé une série de mesures de lutte contre la fraude fiscale.  En matière de contrôle fiscal,  Bercy compte augmenter en volume le nombre de contrôles fiscaux des particuliers de 25 % d’ici 2027, en ciblant les plus gros patrimoines. En matière de programmation des contrôles fiscaux des particuliers,  un contrôle sur deux devrait être généré grâce au datamining. Les équipes chargées du datamining  recourent aux outils de l’intelligence artificielle pour mieux cibler les contrôles. Environ 100 000 dossiers de personnes physiques devraient être concernés d’ici 2027.

Plus de moyens pour Bercy

Pour parvenir à ces ambitions, les effectifs du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale seront augmentés de 15 % d’ici la fin du quinquennat. Les effectifs de la police fiscale seront quant à eux doublés dès 2025. En outre, un grand plan d’investissement de 100 M€ dans les moyens du renseignement économique et financier fera de la lutte contre la fraude une priorité opérationnelle de l’action de la communauté du renseignement. Enfin, le concours de Tracfin, la cellule de renseignement financier française, à la lutte contre la fraude sera consolidé : au moins 1 000 transmissions seront réalisées chaque année dans son domaine. En 2022, Tracfin a transmis des signalements sur la fraude pour des enjeux de 1,5 Md€.

Miser sur le renseignement fiscal

Bercy a également annoncée la création d’une nouvelle cellule de renseignement fiscal s. Cette cellule hébergée au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et constituée  d’agents expérimentés mobilisera les techniques de renseignement prévues par le code de sécurité intérieure pour la recherche et la prévention des fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves. Elle a pour but de traiter les situations dans lesquelles les outils actuels du contrôle fiscal sont inefficaces, notamment la dissimulation d’avoirs à l’étranger dans les paradis fiscaux et les entités opaques comme les trusts. Bercy cite également de façon large «  le recours à des cabinets de défiscalisation et l’optimisation abusive des grandes multinationales », pour définir le périmètre d’intervention de cette cellule.

Création d’un  Conseil de l’évaluation des fraudes

Afin de mieux chiffrer la fraude fiscale un Conseil de l’évaluation des fraudes sera mis en place. Présidé par le ministre délégué chargé des Comptes publics, il rassemblera les administrations compétentes, des personnalités qualifiées, des experts indépendants et des parlementaires afin de s’assurer de la fiabilité des estimations produites. Dès 2025, la fraude fiscale évitée sera évaluée par la DGFiP et un objectif annuel proposé au Parlement. Pour combattre l’opacité financière, la France prendra en outre la tête d’une initiative internationale en faveur de la transparence fiscale, destinée à partager plus rapidement et de façon plus efficace les informations utiles entre Etats. S’appuyant sur les travaux de l’OCDE, l’objectif à terme sera de disposer d’une connaissance complète de la détention du patrimoine mondial.

Se doter de moyens d’actions nouveaux

Des mesures inédites seront prises contre les sociétés-éphémères, celles qui disparaissent avec le produit de leur fraude. A cet effet, le détournement de la transmission universelle de patrimoine (TUP) sera empêché en prévoyant un délai d’opposition de 60 jours et en assurant l’information des services de l’État. En outre, le recours à la liquidation amiable des sociétés sera conditionné à l’absence de dettes fiscales ou sociales. La judiciarisation des fraudes sera renforcée en étendant le modèle de la  police fiscale  à toutes les fraudes aux finances publiques grâce à la transformation du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) en Office National Anti-Fraude (ONAF).  Enfin, de nouvelles passerelles entre services de l’Etat seront par ailleurs ouvertes pour décloisonner les données utiles à la lutte contre les fraudes. D’ici la fin de l’année 2023, des protocoles de coopération d’un nouveau genre seront conclus entre la douane et la DGFIP, d’une part, et la DGFIP et l’URSSAF Caisse nationale, d’autre part.

Durcir la réponse pénale

Pour les personnes reconnues coupables de fraude fiscale, même sans peine de prison, le Gouvernement souhaite qu’une peine complémentaire de travaux d’intérêt général (TIG) puisse être  appliquée. La DGFIP développera, en lien avec l’Agence du TIG (ATIGIP), une offre de TIG dans les trésoreries-amendes pour accueillir des personnes coupables de fraude fiscale. Un délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale devrait être créé  afin de punir la mise à disposition de schémas de fraude. Il permettra, indépendamment de tout contrôle fiscal ou de toutes poursuites à l’encontre des personnes ayant réellement commis la fraude et de leurs complices, de réprimer la mise en ligne, sur internet et les réseaux sociaux, de véritables « kits de fraude » et de sanctionner les personnes qui commercialisent des outils juridiques et financiers destinés à dissimuler des revenus ou patrimoine. Enfin, le Gouvernement étudie les modalités de création d’une sanction d’indignité fiscale, qui priverait temporairement les personnes condamnées pour manquements graves à leurs obligations fiscales, du droit de percevoir des réductions d’impôt et crédits d’impôt.

Renforcer le droit à l’erreur

Pour les citoyens de bonne foi, la dynamique du droit à l’erreur initiée dans le cadre de la loi ESSOC de 2018 sera prolongée et renforcée.Les régularisations proactives par l’administration seront généralisées au sein de la DGFiP avec, dès 2023,  l’équivalent de 200 emplois temps plein dédiés à l’envoi de courriers de régularisation afin d’ éviter l’ouverture de contrôles fiscaux lorsque des anomalies à faible enjeu et liées à des oublis ou erreurs ont été identifiées. Enfin, afin que l’indemnisation des erreurs aille dans les deux sens, des intérêts moratoires seront systématiquement payés aux contribuables à chaque fois qu’une erreur est commise, même sans réclamation, en fonction du retard pour restituer l’indu. Cependant cette mesure ne couvrira pas les cas où le fonctionnement de l’impôt implique des remboursements sans qu’aucune erreur n’ait été commise.