FNDP : Dix ans de réflexions patrimoniales

Depuis dix ans, la Fédération nationale droit du patrimoine nourrit la pratique de ses avis
Elle est revenue lors d’un colloque sur les dernières réformes législatives
François Pillet, sénateur, Renaud Mortier, président de la FNDP et Sophie Schiller, présidente du comité juridique de la FNDP

La Fédération nationale droit du patrimoine (FNDP) a fêté lundi 11 février 2019 ses dix ans lors d’un colloque organisé au Sénat. L’occasion pour l’association qui réunit sept Masters 2 de Droit et gestion de patrimoine ainsi que des avocats, notaires, juristes de banques et d’assurances, de faire le point sur les réformes patrimoniales récentes. La Fédération est notamment revenue sur la loi n°2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats (voir Agefi Actifs n°727). La FNDP a rappelé les avancées qu’elle a pu défendre auprès du sénateur François Pillet (Cher, Les Républicains), rapporteur du texte et qui présidait ce colloque. Par exemple, sur l’article 1161 du Code civil permettant de sanctionner les conflits d’intérêts en matière de représentation par la nullité du contrat, la Fédération a milité pour que cette disposition soit limitée aux personnes physiques, la procédure des conventions réglementées existant déjà pour les sociétés, et que le conflit d’intérêt soit clairement mentionné dans l’article en question. « Parfois, une seule personne peut représenter plusieurs  parties au même contrat sans qu’il y ait conflit d’intérêts entre elles », souligne Renaud Mortier, président de la Fédération, citant l’exemple d’une vente en indivision où les deux vendeurs sont d’accord sur le prix.

Promesse. Pour autant, la FNDP a encore trouvé un texte qui pourrait poser difficultés. Il s’agit de l’article 1124 alinéa 2 du Code civil. Celui-ci dispose actuellement que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Cette disposition a été introduite pour « briser » la jurisprudence Cruz de 1993 (1) affirmant que le promettant pouvait révoquer sa promesse unilatérale de contrat, sous réserve de verser des dommages-intérêts. « Simplement le législateur n’a pas englobé toutes les hypothèses », selon Renaud Mortier. La FNDP propose donc de rendre inefficace toute révocation « avant terme ». Il s’agit de sécuriser particulièrement les promesses de vente d’actions avec fenêtre d’option, afin de stériliser toute rétractation de promesse avant la naissance du droit d’option. 

Statut des sociétés. Autre texte d’importance : le projet de loi Pacte. Ce texte instaure une réforme des actions de préférence (lire sur l’Agefi Actifs n°734) et de l’assurance retraite par capitalisation, mais il transforme aussi en profondeur la gestion des sociétés. En particulier, les modifications apportées à l’article 1833 du Code civil précisent qu’une société doit être gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux, et environnementaux de son activité, cela pourrait produire un « impact potentiel fort » sur les montages patrimoniaux, selon Sophie Schiller, présidente du comité juridique de la FNDP. L’introduction d’une exigence de respect de l’intérêt social risquerait de multiplier les contentieux en cas de garantie accordée par une société commerciale à une autre société (civile ou commerciale), parce que « la notion d’intérêt social serait appliquée avec encore plus de rigueur que la position jurisprudentielle actuelle ». La prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux pourra avoir aussi des conséquences dans les sociétés civiles immobilières par exemple : « un gérant pourrait voir sa responsabilité engagée s’il construit des immeubles en dépit des normes environnementales ». Supprimées par un amendement au Sénat, ces mesures devraient être réintroduites par l’Assemblée nationale lors de la prochaine lecture. 

Holding animatrice. Outre ces deux textes qui ont des incidences en matière patrimoniale, la FNDP a proposé plusieurs réformes lors de ce colloque. Jean-François Desbuquois, avocat associé au cabinet Fidal, suggère de sécuriser le concept d’holding animatrice, revenu sur le devant de la scène avec un arrêt du Conseil d’Etat de 2018 (2). Outre la gestion d’un portefeuille de participations, ces sociétés participent activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales.
Si une même définition est communément admise par la jurisprudence, la loi et la doctrine administrative, elle demeure « abstraite » et l’administration fiscale demande des exigences fiscales « cachées », telles que l’absence d’une filiale foncière ou de co-animation, mais l’obligation d’animer la totalité des participations. Par ailleurs, la nature juridique de l’activité de la holding animatrice est perçue différemment par la jurisprudence administrative et judiciaire. La holding animatrice doit être regardée comme une société exerçant une activité commerciale au sens fiscal, selon le Conseil d’Etat, or la jurisprudence judiciaire y voit surtout une activité civile. Pour reconnaître une holding animatrice, le juge va s’appuyer sur un faisceau d’indices. « Or, cette méthode d’analyse est très peu prévisible en amont par le redevable et ses conseils », regrette Jean-François Desbuquois. 

Société civile unipersonnelle. Toujours en matière de droit des sociétés, la FNDP recommande la reconnaissance de la société civile unipersonnelle. Cette création permettrait notamment d’éliminer des contestations entre associés ou faciliter l’apport d’un bien à une société dont les parts pourront être transmises aux héritiers. Pour Jean Prieur, professeur et président d’honneur de la FNDP, cette modification pourrait être réalisée simplement en ajoutant à l’article 1845 du Code civil qu’une société civile peut être instituée par une ou plusieurs personnes. 

Résidence principale du dirigeant. La FNDP revendique également l’insaisissabilité de la résidence principale du dirigeant de société et souhaite la consacrer dans l’article L. 526-1 du Code de commerce. Sylvain Guillaud-Bataille, notaire à Paris, met en avant un paradoxe : « Le patrimoine personnel du dirigeant de société, malgré l’écran de la personnalité morale, peut se retrouver plus exposé que celui de l’entrepreneur individuel qui a bénéficié des lois successives de 2003, 2008 et 2015. Or, la résidence principale doit être protégée pour tout entrepreneur ». En effet, lorsque la société est en procédure collective, en cas de liquidation pour insuffisance d’actif, le dirigeant pourra se voir condamner s’il a commis une faute de gestion qui a pu directement ou indirectement concourir à cette situation. « L’application par les juges est parfois sévère et toujours imprévisible », souligne le notaire.  

Régime matrimonial. Le renforcement de l’autonomie professionnelle des époux était également à l’ordre du jour de ce colloque. « Lorsque le couple n’a pas rédigé de contrat de mariage, le régime légal de la communauté réduite aux acquêts concilie difficilement l’autonomie professionnelle des époux avec l’exercice d’une activité professionnelle par le biais d’une structure sociétaire », explique Estelle Naudin, professeur à l’Université de Strasbourg, faisant référence à l’article 1832-2 du Code civil. Si des fonds communs sont apportés à la société par un époux, la qualité d’associé pourra aussi être demandée par l’autre époux pour la moitié des parts, jusqu’à la liquidation du régime. L’époux majoritaire pourrait finalement se retrouver minoritaire, ce qui parasiterait la conduite de l’entreprise. Pour la FNDP, l’interprétation de l’article 1832-2 du Code civil doit se faire à la lumière de l’article 1421 alinéa 2 du Code civil qui déroge au principe de la gestion concurrente régissant les actes accomplis par les époux. Ainsi, l’article 1832-2 du Code civil ne doit pas s’appliquer lorsque l’époux exerce par le biais de sa société une profession séparée nécessitant de lui reconnaître des pouvoirs exclusifs tant pour les actes d’administration que de disposition (sauf réserve de l’article 1421 alinea 3).
 Par ailleurs, la rédaction actuelle de l’article 265 du Code civil, qui prévoit la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial, peut menacer l’effectivité des clauses du contrat de mariage. Si des époux ont choisi le régime de la participation aux acquêts, la clause qui conduit à exclure les biens professionnels du calcul de la créance de participation est considérée comme un avantage matrimonial et sera donc révoquée de plein droit en cas de divorce. La FNDP appuie donc un vœu formulé lors du 106e Congrès des notaires de 2010 pour réécrire ce texte. Sans répondre précisément sur ce point, une récente réponse ministérielle « laisse peut être entrevoir une éclaircie », espère Estelle Naudin, puisque le ministère de la Justice se dit « très attentif aux demandes qui sont faites pour simplifier ou clarifier le droit des régimes matrimoniaux » (3). 

Fiducie. Enfin, la FNDP n’a pas manqué d’appeler au « déverouillage » de la fiducie patrimoniale. La fiducie a été instituée par la loi du 19 février 2017, mais elle fait encore l’objet de plusieurs « blocages textuels » pour être opérationnelle, selon Claire Farge, avocate au cabinet Fidal, telles que la nullité de l’intention libérale (article 2013 du Code civil) ou la possible révocation du contrat de fiducie par le constituant tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire (article 2028). Un groupe de travail d’universitaires avait déjà suggéré à la Chancellerie des améliorations législatives. Claire Farge regrette que le gouvernement n’ait pas saisi l’opportunité de les intégrer dans le projet de loi Justice ou Pacte, ce dernier s’est cantonné à une réforme de la fiducie sûreté. 


(1) Civ. 3e, 15 décembre. 1993, n° 91-10199.
(2) Conseil d’Etat, Assemblée plénière, 13 juin 2018.
(3) Question n°12382 dont la réponse a été publiée le 1er janvier 2019.