
Fiscalité : la fin d’un temps suspendu

Au tournant de la crise sanitaire vient l’heure des choix. Quelles sont les pistes envisagées par Bercy pour faire tomber le statu quo fiscal actuel ? Les temps juridiques forts de 2020 apportent leur pierre à la réflexion.
1/ QUELLE FISCALITÉ APRÈS COVID-19 ?
Si la crise sanitaire qui s’est doublée d’une crise économique pourrait se traduire par des réformes fiscales à moyen ou long terme, l’année 2020, en dépit d’une succession de collectifs budgétaires sans précédent, n’a été marquée par aucune mesure fiscale de grande ampleur. « À la différence des années précédentes, les textes qui ont été votés en 2020 constituent autant de mesures conjoncturelles destinées à adapter notre réglementation à la situation de crise, analyse Charles Ménard, avocat, associé de Ernst & Young Société d’Avocats et responsable de l’Observatoire des Politiques Budgétaires et Fiscales. La plupart d’entre elles sont strictement limitées dans leur objet et dans le temps, et sont insufflées par la volonté du législateur de répondre à court terme aux besoins de trésorerie des entreprises », poursuit le fiscaliste.
Des recettes en baisse
Le débat sur l’après-crise s’ouvre dans un contexte de baisse massive des recettes fiscales. En 2020, elles ont été réduites de 31,1 milliards d’euros pour atteindre la somme de 254 milliards d’euros. La chute de la consommation des ménages a affecté le rendement de la TVA et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). L’impact en matière d’impôt sur les sociétés est encore plus important. Et les recettes de l’impôt sur le revenu ont également subi le contrecoup de la crise. Malgré quelques bonnes surprises - les épisodes de confinement ont fait exploser les recettes fiscales liées au tabac -, la facture de la crise s’avère colossale. Les dépenses générées par les différents plans d’aides conjointes aux pertes fiscales s’élèveraient à 158 milliards d’euros pour 2020. La facture monterait à 171 milliards en 2021. En 2022, les estimations ramènent cette somme à 96 milliards d’euros.
Remanier l’impôt sur les entreprises…
Pour combler le déficit, certains sont tentés par une hausse des impôts. « Le législateur a peu de marge de manœuvre en la matière, explique Frédéric Douet, professeur de droit fiscal à l’Université Rouen-Normandie et auteur de l’ouvrage « Anti-manuel de psychologie fiscale » (Enrick B éd.). En effet, on a assisté à une hausse constante des prélèvements obligatoires et ce depuis plusieurs décennies ».
Aux États-Unis, lors de son premier discours de politique générale présenté au Congrès fin avril, Joe Biden a déclaré qu’il était temps que les citoyens les plus riches paient une juste part d’imposition. Outre l’annonce d’une hausse du taux marginal d’impôt sur le revenu, il a également prévu d’augmenter le taux d’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 % et de doubler le prélèvement sur les filiales étrangères. De quoi inspirer la France ?
Certains, y compris de grands patrons comme Louis Gallois président du conseil de surveillance de Peugeot S.A, plaident en faveur d’un super impôt sur le revenu prélevé pendant deux ans. La résurrection de l’ISF est également évoquée, ou encore des projets pour imposer les grands groupes qui ont su tirer leur épingle du jeu pendant la crise sont envisagés. De son côté, le Gouvernement réfute toute tentation d’augmenter les prélèvements obligatoires.
« En réalité la situation des Etats-Unis et celle de la France sont peu comparables, analyse Charles Ménard. Pour ne prendre que l’exemple de l’impôt sur les sociétés, la pression fiscale en France est trop importante pour pouvoir l’augmenter ». Outre la pression générée par l’impôt sur les bénéfices, les entreprises françaises s’acquittent de nombreux impôts de production. En 2018, ils s’élevaient à 75 milliards d’euros, soit près de trois fois le montant collecté d’impôt sur les sociétés. Certes, le plan de relance acté par la loi de Finances pour 2021, a entériné leur baisse de dix milliards d’euros à partir de 2021.
« En revanche, Joe Biden a une large marge de manœuvre car le taux d’imposition sur les entreprises est actuellement peu élevé. Ce faisant, nos taux d’imposition vont peu à peu s’aligner », continue le fiscaliste. De façon générale, on observe un mouvement de convergence des taux d’impôts sur les sociétés à la baisse. « Cela signe la mort du dumping de taux. La concurrence va se faire au niveau de l’assiette, par exemple en matière d’amortissement des marques », signale Charles Ménard.
Les aides versées aux professionnels dans le viseur de Bercy
Le « quoi qu’il en coûte » s’accompagne d’une extrême vigilance. A fin février 2021, l’aide du Fonds de solidarité (FDS) a déjà été versé à environ 2 millions d’entreprises pour un total de plus de 14 milliards d’euros. Bercy a donc fait du contrôle de la régularité de ces aides une mission prioritaire. Depuis le début de la crise sanitaire, une cinquantaine d’agents des équipes du contrôle fiscal sont déployés au sein d’une cellule ad hoc. Les équipes de la Mission requêtes et valorisation (MRV) composée de data scientists - qui se chargent d’établir des listes de contribuables cibles transmises chaque semestre aux services chargés du contrôle - ont également été appelées à la rescousse.
Ces missions de contrôles sont chronophages, tant le dispositif à vérifier s’avère complexe, notamment en raison de la grande variabilité des critères d’attributions : secteur d’activité, chiffres d’affaires à retenir, montant accordé, etc.
Premier axe d’intervention : les contrôles a priori. D’après les derniers chiffres de Bercy, ces contrôles ont permis d’éviter des paiements immédiats pour environ 1,8 million de demandes. Second axe d’intervention : les contrôles a posteriori. 45.000 contrôles ont déjà permis de mettre en évidence un total de 64 millions d’euros de versements indus entre avril 2020 et avril 2021. Afin de mieux cibler ces contrôles, la MRV a transmis aux équipes du contrôle une première liste de 92.000 dossiers de potentiels fraudeurs. Début février, elle a dressé une nouvelle liste de 150.000 dossiers.
… ou sur le patrimoine ?
Sur le plan de la fiscalité patrimoniale, la tâche n’est guère plus aisée. « Certes son recentrage sur les actifs immobiliers avec l’IFI a constitué un cadeau fait aux plus aisés, puisque plus les patrimoines sont importants, plus la part d’immobilier y est réduite. Mais une mesure de rétablissement de l’ISF irait à contre-courant de la pratique de la majorité des États européens, dans lesquels cet impôt est ultra minoritaire, ajoute Frédéric Douet. De même, il paraît difficile d’accroître la pression sur les successions comme ont pu le proposer le collectif les Jeunes avec Macron en début d’année. Nos droits de succession sont parmi les plus élevés d’Europe et l’absence de réévaluation des barèmes et des abattements depuis 2012 a conduit à des hausses de taux rampants », analyse Frédéric Douet.
Dans ces conditions, comment flécher l’épargne des contribuables ? « Une piste consiste à reconstituer les réductions de droits liées à l’âge du donateur. Une mesure simple à mettre en œuvre et efficace », conclut le spécialiste qui parie également sur d’autres réformes : sortir la résidence principale de l’assiette de l’IFI, alléger les impôts de production, abaisser la pression fiscale sur les ménages afin de relancer la consommation, adapter notre fiscalité à l’économie numérique, et mettre en place une taxe de 0,5 % ou 1 % sur l’ensemble des transactions.
Le patrimoine : cible stratégique des contrôles
Les services de contrôle fiscal de Bercy ont été à l’arrêt pendant une grande partie de l’année. Au regard du contexte sanitaire, Bercy a privilégié les contrôles sur pièces pour aboutir à un total de 365.200 contrôles, un chiffre en baisse de -17 % en comparaison avec l’année précédente.
Avec 8,2 milliards d’euros de sommes mises en recouvrement, le rendement du contrôle fiscal a reculé de 30 % par rapport à l’année 2019. Le droit de reprise de l’administration fiscale a été étendu de 156 jours afin de permettre de réaliser les contrôles fiscaux qui n’ont pu être effectués en 2020 pour tous les impôts et tous les délais de reprise, qu’il s’agisse d’une prescription de 3, 6 ou 10 ans. Ainsi le droit de reprise triennal qui court jusqu’au 31 décembre de la 3e année de celle qui suit le fait générateur de l’impôt, soit jusqu’au 31 décembre 2020 pour les rectifications concernant les revenus 2017 en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, court désormais jusqu’au 14 juin 2021.
Surtout, la crise sanitaire a incité Bercy à repenser les axes stratégiques du contrôle fiscal. Les opérations actuelles ciblent en priorité les personnes physiques qui n’ont pas été affectées par la crise, et se concentrent le domaine patrimonial avec des contrôles de droits de successions et d’IFI. « En matière de contrôle fiscal, l’administration fiscale me semble particulièrement attentive en présence de ce qu’elle estime être des dispositifs de faveur. Si on prend l’exemple des pactes Dutreil, elle fait preuve d’une particulière exigence y compris sur des points de détail formels », commente Charles Ménard.
L’administration fiscale recourt de plus en plus fréquemment à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour cibler ses contrôles. La programmation des contrôles sur la base du datamining représente désormais un tiers des contrôles. En 2021, elle devrait concerner 50 % des contrôles.
Une exigence croissante de justice fiscale
La pandémie exacerbe l’aspiration à la justice fiscale. Cette inclination à la transparence est alimentée par les enquêtes à fort retentissement qui mettent en lumière l’opacité des pratiques liées à l’existence des paradis fiscaux. Dernière en date : les révélations, en février dernier, de l’enquête OpenLux menée par Le Monde sur les actifs cachés des Français au Luxembourg.
« Ce besoin de transparence est facilité par le développement des échanges automatiques de renseignements. En matière de contrôle fiscal international, la DGFiP exploite désormais un volume inédit de nouvelles données », commente Charles Ménard. L’administration dispose ainsi d’informations relatives notamment au solde ou au montant des paiements effectués sur plus de 4,8 millions de comptes détenus par des résidents français à l’étranger. Et cette situation n’est pas propre à la France. Le vaste mouvement de transparence de la communauté internationale signe de facto la fin du secret bancaire.
Cette exigence s’applique également aux personnes morales. L’obligation de déclaration pays par pays en matière de prix de transfert, Country by country reporting (CbCR), est à nouveau sous les feux des projecteurs. Le débat sur la publication du CbCR s’accélère sous l’impulsion de la présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne. « Des propositions en ce sens ont été faites par les parlementaires français, notamment dans le cadre de la loi Sapin II de 2016, mais son adoption a été repoussée au vote d’un texte au niveau européen », rappelle Charles Ménard.
2/ 2020, LE CALME AVANT LA TEMPÊTE ?
Juridiquement parlant, la période marche dans les traces des réformes entreprises précédemment. « 2020 n’a pas été marquée sous le sceau d’une révolution patrimoniale, mais se situe dans la continuité avec des ajustements. » Fabien Vatinel, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Neuflize OBC, résume bien la période juridique que nous venons de traverser. A l’inverse, un chamboulement réglementaire en pleine crise sanitaire aurait paru pour le moins ubuesque, surtout après la déferlante de directives qu’ont dû encaisser les professionnels du patrimoine ces dernières années. 2020 a été relativement calme, mais les tendances qui se dessinent – au rang desquelles le contentieux autour des CNL Rallye ou l’épée de Damoclès qui pèse sur la fiscalité de l’assurance vie - ont en revanche de quoi retenir l’attention du secteur. Revue de détail.
Responsabilité
- La prescription de la responsabilité du conseil financier dans le cadre d’une opération où les investisseurs bénéficient d’un régime fiscal privilégié de cinq ans court classiquement à compter de la mise en recouvrement de l’impôt par l’administration fiscale. « Devant les tribunaux, on peut ainsi écarter l’action de l’investisseur qui a attendu l’issue de l’ensemble des procédures administratives pour engager la responsabilité de celui qui l’a conseillé », traduit Philippe Glaser, avocat associé de Taylor Wessing. Or, la Cour de cassation fait dans un arrêt (1) courir ce délai à compter de la fin de la procédure de réclamation entre contribuable et administration. Si la haute juridiction n’a pas donné de retentissement particulier à sa décision, sa confirmation future signifierait un report du point de départ de la prescription à la fin du débat contradictoire, postérieurement à la mise en recouvrement.
- La perte de chance d’éviter les moins-values constatées sur un support conseillé n’est pas compensée par les performances des autres Unités de compte (UC) d’un contrat d’assurance vie (2). La Cour de cassation retient le préjudice lié à un Fonds commun de placement (FCP) sans s’intéresser à la rentabilité globale du contrat, ceci même si l’ensemble des sous-jacents ont permis de dégager une plus-value. La banque concernée avait conseillé l’investissement initial puis le désinvestissement du FCP, mais voit néanmoins sa responsabilité engagée pour défaut de conseil. Philippe Glaser a plaidé sur un dossier similaire sans avoir gain de cause : « la Cour a considéré que quelle que soit la rentabilité du portefeuille au moment de sa liquidation, la société de gestion pouvait engager sa responsabilité sur une seule ligne d’un contrat d’assurance vie, et que cela constituait un préjudice autonome, même si l’ensemble de l’opération permettait de dégager une plus-value. »
- Un contentieux qui découle des conséquences de la sauvegarde du groupe Rallye débute tout juste mais fera à coup sûr parler de lui dans les années à venir. La maison mère du groupe Casino avait été placée en procédure de sauvegarde fin 2019, affectant nombre de contrats d’assurance vie ou de capitalisation contenant notamment des Credit linked notes (CLN) Rallye. La perte pour les investisseurs - acquise sous réserve de réinvestissement – a été fixée par l’International Swaps and derivatives association (Isda) à 87,5 % du capital investi. Des épargnants furieux ont engagé en 2020 des procédures contre les conseils financiers et les établissements chargés de leur commercialisation. Ceux-ci doivent-ils s’inquiéter ? « L’information selon laquelle ces produits peuvent connaitre des événements conduisant à une perte de capital était clairement indiquée par les documents remis aux investisseurs, informe Philippe Glaser. Mais si ces notes d’information sont précises et répondent à l’obligation d’information, je ne suis pas certain que tous les intermédiaires financiers aient attiré l’attention de leurs clients, par écrit, de manière distincte, sur le risque lié à ce type d’investissement. » Or, une jurisprudence constante de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pose que le conseiller financier n’est pas déchargé de son obligation de conseil après avoir remis une brochure sur les risques au client s’il n’a pas lui-même attiré son attention sur lesdits risques. En bref, une documentation détaillée ne suffit pas. « Ce n’est pas la position des juges, mais certaines juridictions pourraient la reprendre à leur compte », prévient Philippe Glaser.
Conjugalité
- La jonction progressive des différents modes de conjugalité se poursuit. Le financement du logement acquis en indivision peut depuis une récente décision (3) être une modalité de l’aide matérielle pour les pacsés, sans créance possible de l’un sur l’autre. « Quand un couple achète sa résidence principale, schématiquement, l’un paye souvent le prêt pendant que l’autre remplit le frigo : le remboursement du prêt ne s’opère pas conformément à la contribution programmée pour chacun », observe Barthélemy Barthelet, directeur général de Barthelet et associés. En conséquence, celui qui a financé plus que sa part contributive prétend souvent à une créance lors du règlement de l’indivision. Mais la demande de créance s’efface devant le devoir d’aide matérielle. Cette priorisation vaut aussi pour les concubins qui supportent les dépenses de la vie courante et les époux qui contribuent aux charges du mariage. Aussi, lors d’un bilan patrimonial, le CGP doit conseiller aux époux de conserver la preuve des flux financiers et d’insérer une clause de présomption simple à l’acquisition pour que celui qui a le plus financé soit présumé créancier lors de la liquidation de l’indivision. Un compte joint alimenté de façon égalitaire pour payer l’emprunt est également gage de sérénité d’esprit. « Il vaut mieux que le déséquilibre se matérialise dans les dépenses de la vie courante plutôt que dans le remboursement du prêt, ce qui facilitera la sortie de l’indivision », préconise Barthélemy Barthelet.
Cet arrêt illustre une tendance générale de la haute juridiction, « de moins en moins intéressée par les comptes d’apothicaires », indique Régis Casso, secrétaire général de Notalis, qui considère la situation problématique. A la liquidation du régime matrimonial, un compte de récompenses est mis en place s’il est apparu, au cours du mariage, un appauvrissement du patrimoine propre de l’un des époux au profit du patrimoine commun. Or, avec l’extension jurisprudentielle de la notion de contribution aux charges du mariage, les juges le délaissent de plus en plus pour la résidence principale ou secondaire. « S’il fallait systématiquement l’écarter en raison de l’utilité du bien pour la famille, pourquoi avoir des textes du code civil sur les créances (régimes séparatistes) ou les récompenses (régimes communautaires) ? », s’interroge le notaire.
- La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 s’intéresse au droit de partage pour les divorces, ruptures de pacs ou les séparations de corps. « A la suite de la précédente crise économique, en 2011, le droit de partage est passé de 1,1 % à 2,5 %, rappelle Fabien Vatinel, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Neuflize OBC. Pour des époux ou partenaires pacsés qui se séparent, c’est parfois très lourd à porter et cela empêchait presque certains divorces. » Une baisse progressive a donc été actée : 2,5 % en 2020, 1,8 % en 2021 puis retour à 1,1 % en 2022.
Successions
- La clause « mes héritiers », qui définit les bénéficiaires des contrats d’assurance vie, peut renvoyer aux héritiers légaux comme institués. La Cour de cassation avait posé ce principe dans un arrêt de 1978 où elle accordait l’intégralité du montant d’un contrat d’assurance vie à un légataire universel en l’absence d’héritier réservataire. En 2020, elle valide l’appréciation des juges du fonds qui ont institué légataire à titre universel une petite-fille en interprétant souverainement la volonté du souscripteur (4). Ils s’étaient basés sur un testament olographe du défunt désignant ses héritiers. « A titre personnel, je remets une note au client expliquant les points centraux d’un contrat d’assurance vie parmi lesquels figurent la rédaction de la clause bénéficiaire, éclaire Barthélemy Barthelet. Les notaires doivent se préoccuper de l’existence des contrats d’assurance vie et de leurs bénéficiaires au moment de conseiller sur la rédaction du testament. »
- Un rapport du 13 décembre 2019 s’inquiète de l’utilisation de l’assurance vie comme moyen de contourner la réserve héréditaire, et préconise de soumettre sa liquidation au droit commun des succession. L’assurance vie est aujourd’hui hors succession, sauf primes manifestement exagérées ou si elle a été utilisée comme un vecteur de donation indirecte, ce qui ne fait pas obstacle à sa transmission dans la pratique. « Les primes ne seront pas manifestement exagérées compte tenu des critères dégagés par la jurisprudence : l’exagération s’apprécie au moment de chaque versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, explique Barthélemy Barthelet. L’assurance vie ne sera pas non plus qualifiée de donation indirecte lorsque le souscripteur conserve une possibilité de rachat. »
Si le rapport n’a pas encore été suivi d’effet, un deuxième sera remis au plus tard le 30 septembre 2021. Il présentera l’impact économique du dispositif et l’évolution de son coût, conformément à une demande récurrente de la Cour des comptes. Pour le conseiller en gestion de patrimoine et juriste patrimonial, le régime civil de l’assurance vie risque d’être intégré dans la liquidation, et l’abattement conséquent ainsi que la fiscalité progressive de l’assurance vie pourraient tomber. « Cela pourrait survenir dans un avenir proche, prévient-il. J’avertis aujourd’hui tous les clients qui souscrivent une assurance vie du risque de remise en cause du régime. »
Donations
- Un arrêté du 23 septembre 2020 (5) réhausse le seuil des obligations déclaratives pour les prêts familiaux de 760 à 5.000 euros. Un écrit est toujours obligatoire au-delà de 1.500 euros.
- Alors que Bercy propose comme solution miracle au ruissellement de la « surépargne Covid » la défiscalisation des donations, une mesure temporaire de cet ordre existe déjà, bien qu’elle soit passée relativement inaperçue. La troisième loi de finances rectificative pour 2020 autorise, depuis le 15 juillet 2020, un abattement exceptionnel de droits de mutation à titre gratuit jusqu’à 100.000 euros par donateur, mais sans limite pour le donataire qui peut recevoir différents dons. Le don peut être consenti aux enfants, petits-enfants, arrières-petits-enfants ou aux neveux et nièces en l’absence de descendance. A charge pour le donataire d’utiliser la somme dans les trois mois pour créer ou développer une PME de moins de cinq ans dans laquelle il exerce son activité principale ou une fonction de direction ; de rénover énergétiquement ou construire sa résidence principale. L’abattement étant valable jusqu’au 30 juin 2021, les retardataires vont devoir délier les cordons de leur bourse prestement. « Dans cette même logique, un projet de loi du 9 mars 2021 ‘visant à alléger la fiscalité applicable aux successions et aux donations afin de faciliter la transmission de patrimoine aux jeunes générations’ propose notamment d’augmenter les abattements actuellement en vigueur, ainsi que de réduire les taux d’imposition et le délai du rappel fiscal des donations (de 15 ans actuellement) », apprend Audrey Ferry, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Bordier & Cie (France).
Propriété
- Le décès du créancier de la restitution d’un quasi-usufruit est étranger à l’exigibilité de la dette de l’usufruitier. Il n’éteint pas la créance que l’héritier d’un nu-propriétaire peut faire valoir au moment du décès. Un principe rappelé par la Cour de cassation (6).
- La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) impose depuis 2020 la réalisation d’études géotechniques préalables dans certaines zones – notamment celles concernées par le retrait-gonflement argileux – lors d’une vente de terrain non bâti constructible. De nombreux notaires les perçoivent comme inutiles dans les faits. « Depuis que l’on applique ce texte, on s’aperçoit que les clients nous demandent d’y déroger : le vendeur trouve cela cher et la valeur des terrains constructibles dans beaucoup de régions n’est pas très élevée, sauf en périphérie des villes », regrette Régis Casso. Texte difficile à mettre en œuvre, impression d’un impôt supplémentaire, étude géotechnique de meilleure qualité réalisée par le bâtisseur sont autant de griefs à l’encontre de cette nouvelle obligation. Pire, le notaire craint que la mesure ne fasse augmenter la valeur du foncier libre d’argile en créant de facto un régime de terrain à part, et que le prix de l’étude ne soit refacturé à l’acquéreur dans les zones concernées. « Son utilité réelle n’est-elle pas que la société d’études géotechniques prenne sur elle la garantie des vices cachés et exonère le vendeur ? interroge le notaire. En réalité, seuls les gens qui bâtissent eux-mêmes sont concernés, en faisant les fondations ou le gros œuvre. » Peut-être le texte aurait dû être plus circonscrit…
- MaPrimRénov a remplacé depuis octobre 2020 le Crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite). Le montant de l’aide varie en fonction de la nature des travaux avec un système de bonification. Elle est ouverte à toutes les catégories de revenus et à tous les propriétaires : de résidence principale comme secondaire, aux bailleurs et aux copropriétés dont 75 % des lots sont des lots d’habitation principale. Dans la perspective du calendrier de rénovation imposé par la future loi climat et résilience, nul doute qu’elle sera sollicitée. « Ne plus pouvoir louer à terme des logements de catégories F et G est une bonne chose car ce sont quasiment des fenêtres ouvertes, mais ce n’est pas un objectif très ambitieux : même la catégorie E implique de grosses déperditions énergétiques, commente Fabien Vatinel. Outre MaPrimRénov’, les travaux sont déductibles des revenus fonciers, le bailleur ne supporte donc pas l’intégralité de l’effort de rénovation. » Un crédit d’impôt pour la rénovation énergétique complète le dispositif pour les particuliers comme les entreprises.
Sociétés
- A rebours de la tendance américaine, la baisse progressive de l’Impôt sur les sociétés (IS) se poursuit : de 33 % en 2015, le taux atteindra 25 % en 2022 pour toutes les entreprises, après être passé par 28 % en 2020 et 26,5 % en 2021. Existe-t-il un risque de demi-tour national ? « L’Impôt sur le revenu (IR) est beaucoup plus une variable d’ajustement que l’IS, il est donc moins à craindre que la France revienne sur cette trajectoire, rassure Fabien Vatinel. La question ne concerne d’ailleurs pas uniquement le taux mais également l’assiette d’imposition en tenant compte des modalités d’amortissement, réductions et crédits d’impôts. »
- Si l’administration fiscale admet l’éligibilité des sociétés holdings au dispositif Dutreil, elle en limite le plein bénéfice aux holdings animatrices de leur groupe. Dans le cas contraire, l’assiette de l’exonération (7) sera plus restreinte : « si la holding n’est pas animatrice, on regarde la société d’exploitation ou la sous-holding éligible, précise Fabien Vatinel. Idem pour les droits de donation, car seule la qualification de holding animatrice permet de bénéficier d’un paiement différé et fractionné des droits de donation ou succession. » Le Conseil d’Etat (8) comme la Cour de cassation (9) sont allés à l’encontre de la doctrine administrative en se basant sur la notion de prépondérance de l’activité opérationnelle. Des holdings qui n’animent pas l’intégralité de leurs filiales peuvent donc être éligibles au Pacte Dutreil dès lors que l’activité d’animation est prépondérante. Celle-ci doit s’apprécier en considération d’un faisceau d’indices, déterminés en fonction de la nature de l’activité et des conditions d’exercice plutôt que sur la base de de critères arrêtés administrativement.
- La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, modifie les dispositions de l’article 1833 du Code civil sur l’objet social. Toute société doit maintenant prendre en considération « les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». « Les organes de direction doivent veiller au respect de ses obligations. Quand une entreprise est vendue, il y a aujourd’hui un audit social et environnemental qui joue sur son attractivité. Ce sont des pratiques qui se développent », constate Fabien Vatinel. Les législateurs proposent à l’entreprise de prendre conscience d’elle-même avec sa « raison d’être » : elle peut inscrire dans ses statuts les principes pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. Troisième niveau d’engagement, devenir une entreprise à mission. La société doit respecter les principes de deux niveaux précédents tout en se dotant d’objectifs sociaux et environnementaux dont l’exécution est contrôlée par un tiers indépendant. « Cette qualité peut être retirée si l’entreprise ne respecte pas ses objectifs : ce n’est pas une sanction financière, mais c’est désastreux en termes d’image », affirme Fabien Vatinel.
Produits
- Certains apports de la loi Pacte se sont réellement déployés en 2020. A commencer par le Plan épargne retraite (PER) qui remplace définitivement le contrat Madelin et le Plan d’épargne retraite populaire (PERP) depuis le 1er octobre 2020. Autre avancée, « la possibilité de transférer un contrat d’assurance vie au sein d’une même compagnie d’assurance, en conservant l’antériorité fiscale qui permet de bénéficier d’un contrat plus récent avec des options de gestion plus larges et des supports d’investissements plus diversifiés », détaille Audrey Ferry. Enfin, depuis le 1er juillet 2020, les différents frais du PEA ou du PEA-PME sont plafonnés.
- Quid des effets du Brexit sur les investissements Outre-Manche ? Une phase transitoire est prévue pour les Plans d’épargne en actions (PEA) jusqu’à fin septembre 2021 (10), pendant laquelle l’éligibilité des titres est maintenue. Les teneurs de PEA ont dû, avant le 2 mai, prévenir les titulaires concernés afin qu’ils procèdent à un arbitrage où à une vente. Les détenteurs d’assurance vie n’ont quant à eux pas à s’inquiéter de l’avenir de leurs Unités de compte (UC) : l’épargne investie dans des OPCVM britanniques avant le 1er janvier 2021 peut être maintenue en l’état sans limitation de temps (11). Il n’est en revanche plus possible d’effectuer de nouveau versement sur les UC concernées.
- Depuis la loi du n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, un tuteur peut sans autorisation du juge placer de l’argent sur le compte d’un majeur protégé. La Cour de cassation fait une lecture stricte du nouvel article 501 du Code civil (12) : celui-ci ne s’applique pas à une assurance vie. Le contrôle du juge doit s’exercer au moment de la souscription comme pour les versements ultérieurs.
(1) Arrêt du 03/03/2021 de la chambre commerciale (18-19.259)
(2) Arrêt du 10/03/ 2021 de la chambre commerciale (19-16302)
(3) Arrêt du 27/01/2021 de la 1re chambre civile (19.26-140)
(4) Arrêt du 30/09/2020 de la 1re chambre civile (19.11-187)
(5) JO n° 0235 du 26/09/2020 texte n° 38
(6) Arrêt du 4/11/2020 de la 1re chambre civile (19-14.421)
(7) Pour rappel, le Pacte Dutreil permet de bénéficier d’une exonération de 75 % de la valeur taxable d’une entreprise, assortie d’une obligation de conservation
(8) CE n° 435562, 23/01/2020
(9) Arrêt du 14/10/2020 de la chambre commerciale (18-17.955)
(10) Ordonnance n° 2020-1595 du 16/12/2020 tirant les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en matière d’assurances, de placements collectifs et de plans d’épargne en actions
(11) Décret n° 2021-262 du 09/03/2021 relatif à l’éligibilité des titres aux contrats d’assurance vie en unités de compte à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
(12) Avis du 18/12/2020 de la 1re chambre civile (20-70.003)