Grand Paris

Faire de la région la locomotive économique du pays

Le projet est destiné à transformer l’agglomération parisienne en mégalopole internationale capable de rivaliser avec Londres ou New York - Au-delà de la création d’un nouveau réseau de transport, le Grand Paris constitue un immense chantier aux effets encore flous sur le patrimoine.

Jugeant l’enjeu d’envergure nationale, Nicolas Sarkozy a décidé, en juin 2007, de mettre le dossier du Grand Paris sous l’égide de l’Etat français. Le projet a vocation à renforcer l’attractivité économique et le rayonnement international de l’agglomération parisienne afin que celle-ci se positionne comme une grande métropole mondiale compétitive comparable à Londres, New York ou encore Shangaï. En résumé, il s’agit de remettre le développement économique au cœur de la stratégie de l’Ile-de-France qui, en tant que locomotive de croissance, entraînera par ricochet l’ensemble du pays. Le pari est donc national.

Evidemment, l’ambition proclamée de l’Etat, qui annonçait un retour de son interventionnisme dans la planification régionale, n’a pas été accueillie avec enthousiasme par la région Ile-de-France, cette dernière ayant arrêté dès février 2007 le nouveau projet de schéma directeur régional d’Ile-de-France (SDRIF), document d’aménagement du territoire et d’urbanisme permettant de programmer pour une durée de 25 ans l’organisation de la région.

Adopté par le Conseil régional d’Ile-de-France le 25 septembre 2008, le SDRIF ne sera transmis pour avis au Conseil d’Etat que le 8 juin 2010 pour finalement être rejeté par ce dernier le 2 novembre de la même année au motif de son incompatibilité avec la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris votée entre-temps. Quand les divergences politiques s’en mêlent...

Un match musclé…

En effet, deux visions sur l’avenir de l’Ile-de-France coexistent dès lors : celle de la région d'une part, à gauche, qui prévoit la création de 700.000 emplois d’ici à 2030, la construction de 60.000 logements nouveaux par an ainsi que le développement des transports en commun avec un projet phare, Arc Express - dont l’objectif est de favoriser les déplacements de banlieue à banlieue - ; et celle de l’Etat d'autre part.

Ce dernier anticipe, de son côté, la production de 1,3 million d’emplois d’ici à 2035, de 70.000 logements neufs par an ainsi qu’un réseau de transport desservant gares et aéroports et reliant entre eux différents territoires stratégiques de développement, nommé Double Boucle ou Grand Huit. Notons que l’Institut de l’aménagement et de l’urbanisme (un bureau d’études rattaché à la région Ile-de-France) ne prévoit, quant à lui, à horizon 2030 qu’un peu plus de 300.000 actifs supplémentaires par rapport à 2006.

… sur l’organisation du réseau de transport.

C’est sur le volet déplacement que se sont fortement affrontés Jean-Paul Huchon, président de la région et le gouvernement, représenté successivement par Christian Blanc (secrétaire d’Etat en charge du Développement de la région capitale), Michel Mercier (alors ministre de l’Espace rural et de l’aménagement du territoire) et Maurice Leroy (actuel ministre de la Ville). C’est avec ce dernier que vient de poindre, le 26 janvier dernier, un accord entre les deux protagonistes sur le tracé (qui sera rendu définitif au 31 mars 2011) du futur réseau rebaptisé pour l’occasion Grand Paris Express, synthèse des deux projets enrichis des réflexions des architectes de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) et des idées issues du débat public qui s’est déroulé du 30 septembre 2010 au 31 janvier 2011 (voir le schéma).

La Société du Grand Paris (SGP), établissement public créé par la loi 3 juin 2010, et le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) devraient se partager la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire en assurer la mise en place y compris pour le financement. Pour l’heure, 11, 9 milliards d'euros sont prévus pour moderniser les transports existants et 20,5 milliards d'euros pour la construction du métro de rocade interbanlieues.

Un projet urbain global.

Un point d’interrogation demeure toutefois sur le visage de l’autorité coordinatrice du projet dans son ensemble. Car les affrontements récents ne doivent pas faire oublier que le Grand Paris ne se résume pas à la seule question de la mobilité mais bien aussi à l’organisation d’un développement équilibré entre le transport, l’immobilier d’entreprise et l’immobilier résidentiel.

Qui des élus locaux ou de l’Etat est-il le plus légitime pour mener à bien un projet de transformation urbaine ? Certains préconisent, dans le cadre d’une telle entreprise, la constitution d’un organisme centralisateur afin d’en assurer l’harmonie. En s’immisçant fortement dans le dossier transport, l’Etat annonce sa volonté de jouer, dans le cadre du Grand Paris, un rôle fort dans l’aménagement du territoire alors que ce dernier est en partie du ressort des communes (lire l'encadré ci-contre)sous réserve du respect d’un certain nombre de contraintes (1).

La composante logement écartée.

Paris serait une des seules grandes métropoles européennes qui ne dispose pas d’une entité centrale capable de regrouper l’ensemble des communes qui la compose afin de prendre en charge les politiques d’aménagement et les politiques foncièresà l’échelle régionale. « A force d’établir des schémas directeurs trop vagues et de donner trop de pouvoirs aux communes, les actions menées sur le territoire ne sont pas cohérentes et les objectifs en termes de construction de logements sont loin d’être atteints »,rappelle Miguel Padeiro, géographe urbaniste, chercheur à l'Ecole des Ponts et à l'INRS-UCS. Et bien que l’Etat ait réitéré sa volonté de densifier les communes, la programmation urbaine liée au Grand Paris semble ne pas constituer une priorité politique.

Les débats paraissent ne s’être concentrés que sur le tracé du transport et avoir sérieusement occulté le volet logement. « Subsiste le credo que l’apparition d’une infrastructure de transport fait émerger une dynamique urbanistique, explique Jean-Pierre Orfeuil, professeur à Paris Est et président de l'Institut pour la Ville en mouvement. Or, cette idée est loin d’être validée. Les Franciliens continueront à choisir leurs résidences et les moyens de déplacements qui leur conviennent le mieux, y compris la voiture quand elle est plus pratique  », poursuit-il.

En attendant, la région n’arrive pas à produire plus de 40.000 logements par an quand elle en prévoit 60.000. Par conséquent, « je ne vois pas très bien comment l’Etat, en reculant par ailleurs sur ses prérogatives, pourrait en construire 70.000. Actuellement, on ne se donne pas les moyens de réaliser ces objectifs », explique Miguel Padeiro.

Les outils de programmation urbaine.

En effet, l’Etat affichait une grande ambition avant qu’elle ne retombe comme un soufflé. L’avant-projet de la loi relative au Grand Paris prévoyait l’exercice par la Société du Grand Paris d’un droit de préemption dans un rayon de 1.500 mètres autour des gares pour que cette dernière puisse conduire des opérations d’aménagement et de construction dans ce périmètre. Mais lors du vote de la loi au Parlement, il a été réduit à 400 mètres sous la pression des élus locaux qui n’entendent pas si facilement revenir sur leurs acquis (lire l'encadré p. 21).

« L’Etat a reculé sur cet élément clé du projet », explique Miguel Padeiro. En contrepartie, la loi instaure un système participatif Etat-communes en créant le contrat de développement territorial (CDT). « Au-delà de ses effets incantatoires, le contrat de développement territorial devrait produire des effets juridiques importants tels que la création de zones de préemption au bénéfice de l’Etat (ZAD) et la mise en compatibilité des documents d’urbanisme (le SDRIF devra être rendu compatible avec le CDT) », note Rozen Noguellou, professeur de droit public à l'université Paris Est-Créteil. Pour Miguel Padeiro, « c’est un outil d’aménagement qui se veut puissant mais qui, dans les faits, risque de suivre les orientations et les projets urbains déjà élaborés par les communes dans leurs PLU (plans locaux d’urbanisme) ».

(1) Les communes doivent respecter le schéma directeur régional, les différentes lois de protection du territoire (loi littoral, loi montagne) et la directive territoriale d’aménagement et de développement durables (DTADD) depuis la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 qui impose notamment une plus grande densification du tissu urbain.