
Echapper au sort de la grenouille dans la marmite

Plonger une grenouille dans une marmite d’eau bouillante est une entreprise pour le moins compliquée, voire impossible. Elle se débat, elle glisse, puis elle saute. Elle ne se laisse pas faire.
En revanche, il résulte d’une observation scientifique que cette même grenouille introduite dans une casserole d’eau froide placée sur un feu vif ne réagit pas au fur et à mesure que la situation s’aggrave au point que vous pouvez la cuire vivante et intégralement sans qu’elle ne fasse rien ni même qu’elle se plaigne.
Syndrome de la grenouille. Il en va de même pour certains investisseurs – professionnels ou non – qui ont acquis entre 2000 et 2010 un ou plusieurs lots dans une résidence de services, un Ehpad ou un appartement dans un immeuble défiscalisé (Malraux, monuments historiques, Besson...) : ils se laissent cuire dans leur immeuble par voie d’arriérés ou d’impayés de loyers, puis de renégociation du loyer à la baisse en fin de bail, quand ce ne sont pas des travaux inachevés ou des malfaçons qui se multiplient dès le chantier de construction.
Ils ne s’organisent pas, ils ne relisent pas leur documentation juridique, ils ne préparent aucune stratégie de gestion de leur exploitant ou chantier de construction. Bref, ils ne gèrent pas leur actif et laissent leur patrimoine disparaître avec leur immeuble.
La défiscalisation immobilière est pourtant un placement qui peut être très sûr et rentable, même si souvent décrié pour autant que l’actif soit bon et que, pour les Ehpad, l’exploitant soit à même de maintenir son activité.
Il y a des méthodes simples et connues de gestion du bail commercial et de réaction en cas de difficultés sur un chantier de construction. Elles ne sont pas mises en œuvre car les investisseurs et leurs conseils ne les connaissent pas toujours.
En réalité, le marché de la défiscalisation immobilière n’est pas formé aux méthodes éprouvées des professionnels de l’immobilier et des institutionnels. C’est d’ailleurs assez normal puisque les investisseurs en défiscalisation pensent acquérir un déficit fiscal plutôt qu’un actif immobilier.
Deux cas de défauts. Voici donc deux méthodes simples pour sauver son actif quand on rencontre un problème sur un produit de défiscalisation immobilière (soit un problème de loyer, soit un problème de travaux).
Première hypothèse : l’exploitant de la résidence hôtelière ou de l’Ehpad décide de ne plus payer le loyer ou demande en cours ou en fin de bail une baisse de loyer de 20 à 50 % dans un courrier aimable à l’ensemble des investisseurs/bailleurs. Il a surévalué le loyer sur le bail initial mais a souvent dégagé une trop forte marge à l’entrée. Un rapport de force s’instaure donc. Il y a également le sujet des impayés dans un logement d’habitation, mais alors, cela dépend notamment de votre bail (meublé ou non) et de la solvabilité des habitants, et cela doit donc faire l’objet d’un article séparé.
Seconde hypothèse, plus grave : le chantier de construction est stoppé depuis plusieurs mois, voire même plusieurs années, par le promoteur/vendeur ou de graves malfaçons apparaissent en fin de chantier. Le promoteur prend alors le soin de s’expliquer dans divers et nombreux courriers et réunions de chantiers avec chacun des propriétaires. La situation s’aggrave au fur et à mesure et les loyers restent impayés. Ce promoteur a payé ses artisans et ses corps de métiers, il ne souhaite plus terminer ses chantiers mais a dégagé une marge confortable au début de l’opération qui lui donne envie de prendre sa retraite. Là encore, un rapport de force s’instaure.
PROBLÈME DE LOYER SUR UN BAIL COMMERCIAL AVEC UN EXPLOITANT
Diagnostic de la qualité du bail : huit points à vérifier. Le statut des baux commerciaux est particulièrement complexe car la jurisprudence est excessivement changeante, quand ce n’est pas la loi (la loi Pinel a notamment opéré une refonte importante du régime des baux commerciaux, lire notre édition du 25 juillet 2014, p. 18).
La revue par un juriste spécialisé en baux commerciaux est indispensable afin d’éviter que le preneur ne puisse négocier le loyer ou menacer de sortir du bail en invoquant une cause de nullité fréquente (par exemple sur la clause d’indexation), en sous-louant les locaux ou en cédant son bail trop facilement, ou encore même parce que la clause de durée du bail ne le lie pas.
- Le bail a-t-il une période ferme (au moins 9 ans et au maximum 12 ans afin d’éviter d’avoir à payer des droits d’enregistrement) ?
- Les charges et taxes sont-elles récupérables auprès de l’exploitant ? Pour cela, il faut viser une à une toutes ces charges et taxes selon des formules validées par la jurisprudence et bien penser aux taxes qui pourraient être créées, aux quotes-parts de parties communes, à la taxe sur les ordures ménagères... Usuellement, dans les investissements en Ehpad ou résidences hôtelières ou de services, il arrive que le propriétaire conserve à sa charge la taxe foncière. Les autres charges et taxes restent en revanche assumées par l’exploitant. Souvent aussi, l’exploitant prévoit un mandat qui lui permet d’établir lui-même les charges et taxes avec malheureusement certains abus.
- Les travaux sont-ils à la charge de l’exploitant ? En pratique, seules les grosses réparations (définies par l’article 606 du Code civil) sont à la charge du bailleur. Il faut alors, de la même manière, que chaque catégorie de travaux soit visée et en particulier les travaux de mise en normes qui peuvent coûter très cher (électricité, accès handicapés...), ainsi que les travaux liés à la vétusté et à la force majeure.
- Les sous-locations sont-elles interdites ? Sauf si une clause du bail l’autorise expressément, toute sous-location, totale ou partielle, d’un local commercial est interdite sans l’autorisation du bailleur.
- Les cessions du bail sont-elles limitées ? En théorie, le locataire peut librement céder son bail, sous réserve que celui-ci ne contienne pas une clause qui viendrait limiter, voire interdire, les cessions. Par une clause du bail, le bailleur peut en effet limiter la cession au cessionnaire achetant également son fonds de commerce en se réservant la faculté d’agréer le cessionnaire, en prévoyant un droit de priorité à son bénéfice ou en exigeant au cédant de demeurer garant solidaire du cessionnaire.
- La clause d’indexation est-elle valide ? La jurisprudence a récemment sanctionné bons nombre d’entre elles. En particulier, il ne faut pas qu’il y ait un plafond d’indexation mais pas de seuil équivalent, sans quoi l’exploitant risque fort de menacer d’annuler le bail sur le fondement de cette clause d’indexation irrégulière pour négocier un loyer plus bas.
- Y a-t-il une clause résolutoire qui permet de résilier le bail en cas de manquement de l’exploitant ? Cette clause du contrat de bail prévoit que le bail cessera de produire ses effets en cas de manquement et/ou faute du locataire aux clauses et conditions du bail.
- Il faut enfin et surtout s’assurer que l’exploitant n’a pas de lot dans la résidence ou dans l’Ehpad, sans quoi il sera beaucoup plus difficile de résilier le bail et de l’expulser.
Plan d’action.
1- Etablir une liste de tous les propriétaires (soit avec le notaire qui a mis en place l’opération s’il est accessible, soit auprès de l’exploitant, soit dans les documents de la copropriété ou de l’Association foncière urbaine libre (Aful) qui a été constituée – il est également possible de se référer au cadastre).
2- Convoquer une assemblée générale de la copropriété ou de l’Aful.
3- Nommer un nouveau représentant parmi les propriétaires et éventuellement un conseil pour contrôler son activité.
A partir de là, deux hypothèses se présentent :
Premier scénario : l’exploitant ne paye plus le loyer
4- Faire une analyse des comptes de l’exploitant pour vérifier s’il est ou non en état de cessation des paiements. L’état de cessation des paiements se caractérise par l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Si la société d’exploitation n’a plus de trésorerie, des capitaux propres largement négatifs et une dette de loyers importante, il est fort probable qu’il soit en état de cessation des paiements et que donc vous puissiez exiger du tribunal de commerce une mise en procédure collective.
5- En cas de difficulté pour obtenir les comptes (s’ils ne sont pas déposés au greffe du tribunal de commerce du siège social de l’exploitant), une procédure prévue par l’article 145 du Code de procédure civile pourra être mise en œuvre afin de saisir les comptes au siège social. Cet article du Code de procédure civile prévoit que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. En pratique, il est demandé sur requête au président du tribunal ou au référé d’autoriser les investisseurs à diligenter un huissier et un expert informaticien, accompagnés pour leur sécurité de la force publique, pour saisir les comptes bancaires de l’exploitant au siège social. Au-delà de l’effet que produit cette procédure, elle permet de récupérer l’ensemble des informations financières et comptables de l’exploitant peu coopératif. L’avantage de cette procédure est notamment qu’elle est extrêmement rapide.
6- En l’absence d’état de cessation des paiements :
- La première étape consiste à faire délivrer des commandements de payer à l’exploitant visant la clause résolutoire. Cela prend la forme d’une mise en demeure de payer les loyers en menaçant de résilier le bail qui est signifiée par huissier de justice à l’exploitant.
- Ce prérequis effectué, et un mois après la signification, une assignation doit être délivrée à l’exploitant aux fins de constater la résiliation du bail lors d’une audience de référé obtenue à brève échéance. Cette audience de référé sera aussi l’occasion de condamner l’exploitant au paiement des impayés de loyers.
- Sur la base de cette décision de justice, il sera possible de saisir les comptes bancaires de l’exploitant ou tout autre actif, et notamment ses actifs immobiliers, même si la procédure, bien que possible, est assez complexe.
7- En cas de constatation d’un état de cessation des paiements :
- S’il est possible de démontrer un état de cessation des paiements (impossibilité de l’exploitant de faire face à ses passifs avec son actif disponible), il est recommandé d’assigner l’exploitant en redressement judiciaire. En effet, le risque majeur est d’engager une procédure classique en paiement du loyer et en condamnation et que l’exploitant, en fin de procédure, décide de se placer sous une procédure collective (redressement, liquidation), ce qui remettrait alors les « compteurs à zéro » et obligerait à reprendre ses demandes dans le cadre de cette procédure. Aussi, il est préférable de l’anticiper, de déclencher ce redressement et de remplacer par là-même la direction par un mandataire judiciaire. Les passifs et notamment le loyer seront apurés avec les actifs disponibles de la société. Il sera également et surtout parfois possible de demander le déclenchement d’une action en comblement de passif visant à condamner non pas la seule société d’exploitation mais également ses dirigeants de droits ou de faits en cas de faute de gestion à payer le passif et donc les arriérés de loyers de la société d’exploitation.
- Enfin, les investisseurs pourront proposer directement un plan de reprise à la barre du tribunal en créant une société entre tout ou partie d’entre eux pour reprendre eux-mêmes l’activité d’exploitation. Cette reprise d’exploitation, qui constitue un véritable projet économique et entrepreneurial, peut prendre différentes formes et bon nombre de sociétés sont capables d’assister les investisseurs dans cette démarche. En résumé, soit les investisseurs reprennent l’exploitation directement dans le cadre d’une autogestion par voie de SARL ou de SAS constituée entre eux avec un pacte d’associés régissant leur gouvernance, les pouvoirs de chacun et surtout la liquidité et les clauses de sortie et de distribution de dividendes, soit les investisseurs concluent un mandat gestion avec une société d’exploitation, soit ils mettent en place une location-gérance de fonds de commerce avec un exploitant reconnu. Chaque structuration a ses avantages et ses inconvénients. Le choix dépend du type d’actifs, du profit et de la motivation des investisseurs à participer directement ou moins directement au projet d’exploitation.
Deuxième scénario : L’exploitant propose une baisse considérable de loyer
4- Le bailleur ne peut refuser la demande de renouvellement sans avoir à verser une indemnité d’éviction. En revanche, il peut accepter le renouvellement et refuser le loyer. A noter toutefois que si l’exploitant n’a pas respecté des obligations significatives aux termes du bail, les investisseurs peuvent refuser le renouvellement sans verser d’indemnité d’éviction. Aux termes de l’article L. 145-10 du Code de Commerce, à compter de la réception de la demande de renouvellement de l’exploitant, le bailleur dispose d’un délai de trois mois pour faire connaître sa position au preneur. Si le bailleur reste silencieux dans ce délai, il est « réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent ». Cette acceptation n’a qu’un caractère provisoire et les investisseurs peuvent la rétracter ultérieurement en exerçant leur droit d’option.
5- Faire un état des travaux devant être menés dans la résidence et qui pourraient justifier une baisse de loyer. Cette baisse pourrait alors éventuellement être acceptée pour autant que l’exploitant s’engage à répercuter cette baisse dans des investissements en travaux pour remettre aux normes la résidence et réparer ce qui est vétuste.
6- Faire un état de la rentabilité de la résidence pour vérifier si celle-ci n’est effectivement pas rentable ou si au contraire elle l’est, afin de pouvoir positionner le loyer normal qui doit être versé.
7- Engager des discussions directes sur le montant du loyer avec l’exploitant en se fixant une date limite, étant précisé que l’ancien loyer devra être versé tant que les négociations n’auront pas abouti.
8- Une baisse de loyer peut éventuellement être consentie mais à la condition que l’exploitant s’engage sur une période plus longue dans le cadre d’un bail pro-investisseur refondu au regard notamment des critères qualitatifs du bail visé ci-dessus, et en particulier que l’exploitant s’engage dans le cadre d’une période ferme. Il pourra également être prévu que le loyer puisse être renégocié à la hausse en fonction de la rentabilité de la résidence de services ou hôtelière.
9- En l’absence d’accord, le juge des loyers pourra être saisi mais il faut alors garder à l’esprit que l’exploitant pourra quitter la résidence à tout moment sans pour autant toutefois qu’il soit en mesure de transférer ses autorisations d’exploitation si c’est un Ehpad.
Par conséquent, l’enjeu principal est d’être en mesure d’agir de front avec au besoin plusieurs résidences car les baux arrivent souvent à échéance en même temps. En effet, si un ou deux propriétaires sont isolés et que les autres ne se défendent pas, il sera sans doute difficile d’obtenir un loyer de marché.
DIAGNOSTIC DE LA QUALITÉ DU MARCHÉ DE TRAVAUX
Sept points à vérifier. Dans un projet de construction, deux principaux risques doivent être couverts en amont, à savoir le risque que l’entreprise de travaux ne respecte pas les délais de construction ou abandonne le chantier, et le risque que le prix des travaux soit augmenté par l’entreprise après la signature du marché et la vente du ou des lots.
- Le prix versé à l’entreprise est-il global, forfaitaire et définitif (et ne pourra donc être revu à la hausse en cas de travaux supplémentaires ou modificatifs) ?
- L’entreprise est-elle tenue par une obligation de résultat sur le calendrier de construction ou de rénovation ? La conséquence pour l’entreprise est qu’en cas de non-respect du calendrier, sa responsabilité sera engagée de plein droit.
- L’échéancier de paiement prévoit-il des versements au fur et à mesure de l’exécution des travaux ?
- L’entreprise a-t-elle fournit une garantie financière d’achèvement par laquelle les fonds nécessaires à la construction sont bloqués en séquestre chez un notaire ou une banque ? Cette garantie permet, de manière préventive, de garantir que, même en cas de manquement du promoteur, le projet sera mené jusqu’au bout.
- Le marché prévoit-il le versement de pénalités qui s’appliquent dès qu’un retard est constaté sur une des étapes du calendrier d’exécution ?
- Le marché détaille-t-il les modalités de calcul de l’indemnisation en cas de retard (frais liés à l’intervention d’une nouvelle entreprise, coûts liés aux financements, loyers, perte fiscale) ?
- Les modalités selon lesquelles sera constaté un retard sont-elles fixées ? Car, en pratique, le constat d’huissier ne suffit pas et le recours à une expertise judiciaire dure entre 12 et 18 mois. La meilleure solution est donc de prévoir une expertise amiable avec les modalités d’intervention de l’huissier pour éviter toute discussion.
Plan d’action.
1- Comme dans le cas des problèmes de loyers, il faut d’abord établir une liste de tous les propriétaires.
2- Convoquer une assemblée générale de la copropriété ou de l’Aful.
3- Nommer un nouveau représentant parmi les propriétaires et éventuellement un conseil pour contrôler son activité.
4- Si aucun dispositif efficace n’est prévu dans le marché (garantie financière, pénalités...), ce qui est malheureusement souvent le cas, alors il convient de vérifier auprès du greffe du tribunal de commerce, au Registre des hypothèques et au cadastre, l’importance du patrimoine de l’entreprise de travaux pour déterminer les chances d’obtenir le paiement de dommages et intérêts.
5- Si l’entreprise semble à même de conduire les travaux, le plus pertinent est de tenter de trouver un accord avec elle tout en la menaçant d’une action judiciaire. Si un accord est trouvé, celui-ci devra être entériné dans un protocole transactionnel soumis à l’article 2044 du Code civil pour avoir pleine valeur. Dans ce protocole, les investisseurs renonceront à poursuivre l’entreprise, et en échange l’entreprise s’engagera à conduire les travaux dans le cadre d’un marché de travaux sécurisé et détaillé prévoyant notamment une garantie financière d’achèvement, des pénalités de retard, et un prix global et forfaitaire.
6- Si l’entreprise ne semble pas à même de conduire les travaux, il convient de rechercher la résiliation du marché de travaux et d’organiser la reprise du chantier au plus vite car le préjudice s’alourdit au fur et à mesure que le temps passe. Parallèlement, il faut rechercher la responsabilité de l’entreprise en justice pour obtenir indemnisation du préjudice subi (arriérés de loyers, risque fiscal, coût de l’intervention d’une nouvelle entreprise...).