
Désigner un tiers administrateur est plus efficace qu'un mandat posthume
Décédé le 20 septembre 2009 alors qu’il était en instance de divorce, un particulier laisse son épouse et ses deux enfants. Par testament olographe du 3 février 2004 et testament authentique du 20 juillet 2009, il institue ses deux enfants légataires universels en pleine propriété et par parts égales et prévoit que son épouse serait privée de ses droits d'administration légale et de jouissance sur les biens revenant à l’un des deux enfants en énonçant que « si mon fils est encore mineur à mon décès, je charge ma sœur, et à défaut mon frère, de veiller à l'application des présentes dispositions et de pourvoir à l'administration légale des biens revenant à mon fils jusqu'à sa majorité ».
Le régime de l’exclusion testamentaire de l’administration légale…
La Cour d’appel confirme l’ordonnance du juge des tutelles admettant la désignation de la sœur du défunt en qualité d'administrateur légal du patrimoine revenant au fils mineur. L’épouse forme alors un pourvoi en soutenant que le testament n’exprimait que l’opposition du défunt de l’administration légale, sans assortir le legs fait à l’enfant d’une quelconque condition. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, les biens qui sont transmis au mineur par l'effet de la loi, notamment au titre de la réserve héréditaire, ne peuvent être soustraits à la gestion parentale, ceci en se fondant sur les articles 389, 389-3 et 913 du Code civil.
… est clarifié.
La Cour de cassation rejette le pourvoi (1). Elle affirme, d’une part, que la Cour d’appel n’a fait qu’interpréter la volonté du défunt, à savoir que ce dernier « avait entendu léguer ses biens à son fils mineur à la condition qu'ils soient administrés par sa sœur et, à défaut, par son frère ». D’autre part, la Haute juridiction indique que « l'article 389-3 du Code civil, qui permet au disposant, sans aucune distinction, de soustraire à l'administration légale des père et mère les biens qu'il donne ou lègue à un mineur, est une disposition générale qui ne comporte aucune exception pour la réserve héréditaire ».
Pour Hubert Fabre, notaire associé à Paris, « l’arrêt du 6 mars vient conforter ce que les praticiens subodoraient, à savoir qu’il est possible de confier à un tiers autre que l’administrateur légal l’administration des biens légués à un enfant mineur, y compris les biens compris dans la réserve héréditaire. Nous allons donc continuer à conseiller à nos clients d’utiliser cette possibilité s’ils le souhaitent ». A noter que la solution vaut également en cas de donation, ce qui permet de sécuriser notamment les opérations de donation avant cession d’entreprise, ainsi que le fait remarquer François Bonte, notaire chez Michelez et Associés (lire l’avis d’expert).
Une clause employée en cas de mésententes familiales…
Cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation permet de sécuriser les clauses excluant l’administration légale à l’occasion d’un testament ou d’une donation. Et celles-ci sont fréquentes en pratique. Elles répondent en effet à différents besoins. « C’est l’hypothèse du grand-parent qui ne souhaite pas que sa belle-fille ou son beau-fils administre des biens qu’il donne ou lègue. Ou du parent divorcé ou séparé qui ne souhaite pas que les biens donnés, tels que les titres d’une entreprise, soient administrés par son ex-conjoint. Ce sont des cas amenés à se présenter de plus en plus compte tenu de la multiplication des transmissions transgénérationnelles et des familles recomposées », fait remarquer Sandrine Quilici, directrice de l’ingénierie patrimoniale chez Pictet & Cie.
… ou pour des nécessités de bonne gestion.
Mais cette technique peut également être utile lorsque l’entente familiale est bonne. Elle permettra de confier la gestion des actifs transmis à une tierce personne ayant les compétences requises pour les gérer. Ce qui en fait un sérieux concurrent du mandat posthume, selon David Boulanger, maître de conférences à faculté d’Artois et directeur du Cridon Nord-Est (2). Les pouvoirs de l’administrateur désigné peuvent en effet être librement organisés en vertu de l’article 389-3 alinéa 3 du Code civil, permettant de confier des pouvoirs de disposition à ce dernier, « en dehors de toute habilitation préalable du juge des tutelles. […] Avec le mandat posthume, les pouvoirs sont limités à l’administration et à la gestion de l’article 812 du Code civil ». Sandrine Quilici rappelle également que « lorsqu’un mandataire à effet posthume a été désigné, celui-ci peut se retrouver écarté dans l’hypothèse où le parent survivant, représentant légal de ses enfants mineurs, décide de vendre les biens objets du mandat (3) ».
(1) Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 11-26.728.
(2) JCP N n° 18, 3 mai 2013, 1121.
(3) Cass. civ. 1, 12 mai 2010, n° 09-10556,disponible sur www.agefiactifs.com