
Des organisations variées pour capter la clientèle patrimoniale
La gestion privée a-t-elle réellement sa place dans une banque à réseau ? », s’interrogeait Gilbert Habermann, responsable conseil formation gestion privée chez First Finance à la suite d’un entretien accordé à L’Agefi Actifs en 2003 (L’Agefi Actifs n° 105). Ancien directeur de la gestion privée du Crédit Lyonnais, Gilbert Habermann ne discutait aucunement de sa légitimité mais de son positionnement et de sa reconnaissance en tant que métier à part entière au sein de la banque de détail ainsi que des problèmes d’affectation du produit net bancaire (PNB) qu’elle génère.
L’interrogation soulève les différents problèmes que rencontrent les banques à réseau pour trouver une organisation opérationnelle et rentable sur un segment de clientèle entre la gestion de masse et la gestion de fortune - disposant de 150.000 à 1 million d’euros -, à la fois exigeante et multibancarisée. « Il n’existe pas de modèle unique », s’accordent à dire la plupart des consultants interrogés.
Néanmoins, certaines caractéristiques communes ressortent comme nécessaires, voire indispensables, au bon fonctionnement de la banque dans son ensemble : il convient de démontrer la valeur ajoutée auprès du réseau d’une gestion différenciée de la clientèle privée, d’organiser la collaboration entre tous les acteurs et de définir leurs responsabilités respectives.
Identifier la clientèle haut de gamme. « Avant de penser au modèle d’organisation, fortement induit par la spécificité de chaque réseau, il s’agit de réfléchir à la façon de détecter la clientèle qui, dans les prochaines années, constituera le segment haut de gamme, explique Yohann Niddam, senior manager chez Périclès. Une banque de détail est en mesure de saisir ces opportunités et de capter les potentiels. » La remarque rappelle la difficulté pour une banque d’établir une segmentation de sa clientèle en adéquation avec ses ressources humaines, la taille de son réseau et sa capacité financière.
Ouverture à la gestion privée. Le seuil d’entrée dans l’univers de la gestion privée fait toujours débat. Si la segmentation de la clientèle diffère d’un opérateur à l’autre, « les gestions privées interviennent pour la plupart à partir de 250.000 euros de patrimoine financier, voire moins », affirme Gilbert Habermann. « A partir de quel montant un client relève-t-il d’un service haut de gamme ? », s’interroge Daniel Pion, associé du cabinet Deloitte, faisant référence à « la pertinence d’une segmentation uniquement par les avoirs et, de surcroît, par les actifs sous gestion. »
Un constat qui interpelle le professionnel quant à la nécessité de décliner les portefeuilles en segments plus homogènes et d’analyser les comportements de la clientèle existante afin de proposer un service différencié pour chacun des segments identifiés. Cela implique de multiplier les offres, mais surtout les coûts. Pour sa part, BNP Paribas Wealth Management distingue les clients actifs de ceux qui ne le sont plus en leur consacrant un interlocuteur, une communication et une offre distincts (lire l’avis d’expert).
Un accès moins élitiste. Si de nombreux acteurs « ont adopté une stratégie de descente en gamme de leur offre en abaissant leur seuil d’accès », précise Daniel Pion, « il est possible de conserver une réelle activité de banque privée dans une banque de détail en se positionnant comme une structure très haut de gamme complémentaire au réseau, crédible sur sa valeur ajoutée », se défend Albert Boclé, directeur de SG Private Banking France, dont le seuil d’accès s’élève à 1 million d’euros.
« C’est un curseur à positionner, juge Yohann Niddam. La Société Générale le place haut, cela signifie que son réseau doit disposer des compétences et des offres pour gérer cette clientèle intermédiaire. » « Il n’y a pas de seuil de référence, même si je pense qu’il y a une vérité autour de 300.000 euros », souligne Martina Weimert, directeur associé au sein du secteur des services financiers de Capgemini Consulting. Il s’agit avant tout « d’éviter toute incohérence entre segmentation de clientèle et découpage de l’organisation commerciale », ajoute Daniel Pion.
Des enseignes spécifiques. « La vraie différence ne tient pas tant au seuil d’entrée qu’au bien-fondé de créer une enseigne spécifique à cette clientèle intermédiaire », précise Martina Weimert. C’est une démarche que l’on retrouve chez HSBC avec HSBC Premier, chez Citibank avec Citigold Select, ou chez Barclay’s avec Barclay’s Gestion Privée, mais pas chez les banques françaises disposant pourtant d’une clientèle suffisamment large pour une telle stratégie. Cette approche correspond peut-être à une réponse à la concurrence des conseillers en gestion de patrimoine indépendants (CGPI), très présents sur ce créneau dans les pays anglo-saxons.
« Les enseignes dédiées à part entière sur la gamme intermédiaire sont peu développées car très difficiles à rentabiliser », reprend Martina Weimert. « Dans une grande banque française, par exemple, les clients disposant d’un minimum de 250.000 euros, même s’ils n’auront pas accès à l’ensemble de l’offre, sont intégrés directement à la banque privée », explique-t-elle.
Deux schémas principaux. Il existe autant de modèles que de structures à adapter au réseau de la banque de détail. Néanmoins, il ressort deux modèles opérationnels principaux avec des possibilités intermédiaires et une dichotomie nettement marquée entre banques nationales et mutualistes. Ainsi, on trouve d’un côté le modèle intégré dans lequel la gestion privée fait partie de la banque de détail, la hiérarchie est commune et le transfert des clients vers la structure haut de gamme davantage naturel, à l’instar de BNP Paribas.
De l’autre, on observe une organisation dans laquelle les partenariats locaux régissent les relations. Pour sa clientèle haut de gamme, le teneur de compte, autonome, se comporte comme un courtier en quête du bon partenaire, induisant au passage un soupçon de concurrence entre les entités filiales du groupe et les partenaires externes, démarche constatée parfois au sein des caisses régionales du Crédit Agricole et des Banques Populaires.
Entre les deux approches, SG Private Banking France se distingue par son indépendance vis-à-vis de la banque de détail et son rattachement au département gestion d’actifs et services titres, jouant sur son savoir-faire pour séduire le réseau tout en lui laissant la gestion des clients représentant moins de un million d’euros d’actifs financiers. Ceci étant, à la suite du redéploiement de SG Private Banking en régions, le réseau bénéficie à présent de « l’expertise en ingénierie patrimoniale et financière de la gestion de fortune ainsi que de l’accès à l’intégralité des produits et services » (L’Agefi Actifs n°355, p. 2).
Déclinaison de l’interface client. « Certaines banques proposent au client en gestion privée deux interlocuteurs en fonction de la complexité des tâches à effectuer. Les opérations courantes - virement, retrait, cartes bancaires… - sont du ressort du responsable de compte en agence tandis que celles liées à la gestion patrimoniale sont de la responsabilité d’un CGP. Ce modèle tend à disparaître au profit d’une interface unique entre le client et les spécialistes, compétente pour le traitement de l’ensemble des opérations et pouvant déléguer en interne leur exécution », explique Daniel Pion.
En fonction des établissements, l’organisation de la relation client varie. Trois catégories ressortent. Un conseiller patrimonial peut être placé « à la disposition d’une agence pour gagner en réactivité auprès des clients et des conseillers clientèle. Ce système implique en revanche de disposer, au niveau du réseau, de conseillers formés à la gestion de patrimoine capables de répondre aux besoins d’une clientèle avertie », dépeint Emmanuel Gorny, chef de projet senior du département banque-finance-assurances d’IHS Global Insight France.
On trouve également des organisations dans lesquelles un expert patrimonial opère auprès du réseau dans un secteur géographique déterminé. N’étant pas directement lié à la vente d’un produit, « il permet de mieux garantir l’objectivité de la relation et de lever toute appréhension liée à son intervention », poursuit-il.
Enfin, il existe des centres ou pôles de banque privée dans lesquels les conseillers en patrimoine ont pour mission « d’assurer la pérennité de leurs relations en établissant un contact fort avec le client. Pour autant, le CGP n’est, souvent, pas détaché des pressions marketing liées au réseau », explique le consultant.
Organiser les relations. « La clé d’un système fluide réside dans l’existence d’une structure métier centrale et respectée, qui imposera une méthode, des règles et une déontologie communes à l’ensemble des entités du territoire ainsi que dans le positionnement du responsable GP dans l’organigramme de la banque », résume Gilbert Habermann, faisant référence ainsi aux différences d’organisation entre banques mutualistes et nationales.
Pour Yohann Niddam, « si leurs logiques sont très différentes, notamment parce que les réseaux mutualistes sont matériellement dans l’impossibilité d’avoir une hiérarchie commune entre leurs banques privée nationale et de détail régionales, comme ce peut être le cas pour une structure nationale », explique-t-il, il s’agit néanmoins davantage d’organiser l’animation commerciale et de trouver « le bon niveau d’interaction et de partage entre les différents acteurs, comme s’attachent par exemple à faire les Caisses d’Epargne à la suite de la fusion annoncée entre la Compagnie 1818 et Banque Privée Saint Dominique », nuance-t-il.
Etablir les règles du jeu… Ce segment situé entre clientèle fortunée et clientèle de masse suscite à la fois l’intérêt du réseau et des banques privées. Il est, pour les uns, générateur non négligeable de PNB et, pour les autres, une extension naturelle de leur activité et une source de développement. « Dans de nombreux cas, le rôle d’apporteur d’affaires du réseau est essentiel, assure Martina Weimert. Dès lors, il est fondamental de veiller au bon fonctionnement du modèle de coopération entre l’agence et la structure patrimoniale - quelle que soit sa forme -, et de s’assurer de leur satisfaction mutuelle en reconnaissant l’apport de chacun des intervenants. »
Dans les grands réseaux, le conseiller sait que les clients à potentiel sont identifiés et qu’il sera considéré comme un mauvais coopérant s’il ne respecte pas les règles du jeu. Cependant, ses objectifs mensuels poussent à la déraison d’autant plus que sa progression hiérarchique dépendra sans conteste de ses performances commerciales. Son bulletin de salaire également. « Les schémas de commissionnement jouent ici un rôle prépondérant pour stabiliser les relations », insiste Yohann Niddam.
… d’une coopération vertueuse. Dans la sphère bancaire, on parle de modèle gagnant/gagnant. Une organisation opérationnelle où la banque commerciale et la gestion privée ont un intérêt commun à coopérer. Cependant, au-delà d’un partage équitable du PNB généré pour qu’une collaboration puisse s’établir face à un dilemme récurrent, la GP n’a d’autre choix que de bénéficier d’une grande crédibilité. Lorsqu’elle est reconnue pour ses conseils, ses services et ses produits, les conseillers transfèrent plus volontiers un client potentiel. Dans le cas contraire, la fluidité peut se révéler complexe à organiser même si, dans certains cas, elle n’est pas discutable.
Il convient également de définir de façon précise les responsabilités des interlocuteurs potentiels du client dans l’exécution des transactions afin d’éviter l’insatisfaction, notamment au niveau de la banque au quotidien. « Ce dernier regrette souvent la défaillance du modèle multicanal au niveau des informations reçues de son agence et de l’unité spécialisée », explique Martina Weimert. On rentre ici dans des aspects pratiques tels que l’organisation du poste de travail ou la transversalité du reporting. La plupart du temps, la banque s’aligne sur la demande du client.
Rentabilité du modèle. « Trouver un modèle de développement rentable est extrêmement complexe sur ce segment de clientèle, qui recherche des services différents de ceux de la banque à réseau tout en exigeant une tarification proche de celle-ci », affirme Martina Weimert, dubitative quant à la rentabilité d’une enseigne dédiée à ce segment non disposé à payer le prix d’un service haut de gamme.
Gilbert Habermann considère pour sa part que « cette clientèle, relativement captive, est un moyen de multiplier les mandats, source de rentabilité pour la banque ». « Généralement, complète Martina Weimert, le conseil fait office de conquête et s’amortit sur la vente de produits. Si le client ne perçoit pas la valeur ajoutée du service, il va comparer les tarifs de son établissement avec ceux d’une banque en ligne. D’un autre côté, se rémunérer sur le conseil sous-entend un engagement de suivi strict de la relation par les conseillers. Or, sur ce segment, les portefeuilles oscillent le plus souvent entre 200 à 300 clients. »
Un point que souligne avec insistance Marie-Claire Capobianco, directrice de BNP Paribas Wealth Management. En dépit d’un seuil d’entrée de 250.000 euros, les interlocuteurs sont des CGP en charge uniquement de 80 à 120 clients formés pour gérer des clients jusqu’à 5 millions d’euros.
La rentabilité passe aussi par la gestion des ressources humaines, et notamment par la fidélisation des collaborateurs, dont la stabilité s’avère un critère majeur de satisfaction des clients et, par voie de conséquence, de conservation des encours.